Justice à géométrie variable ou Human Rights Watch navigue à vue dans le bourbier congolais

Redigé par Tite Gatabazi
Le 14 mai 2025 à 11:03

La déclaration récemment publiée par l’organisation américaine Human Rights Watch, le 12 mai 2025, enjoignant à la République démocratique du Congo de conditionner toute avancée diplomatique avec le Rwanda à la poursuite préalable des auteurs de crimes de guerre, révèle une fois encore l’indéfectible propension de certaines ONG internationales à manier la boussole morale avec un cynisme affligeant.

Sous des dehors universalistes et humanitaires, cette injonction trahit une lecture simpliste, manichéenne et surtout désincarnée d’un conflit aux ramifications infiniment plus complexes que les binarismes éculés de bourreau et de victime.

En choisissant d’ériger la question des poursuites judiciaires comme préalable absolu aux pourparlers de paix, HRW semble, délibérément ou non, ignorer les équilibres fragiles, les logiques croisées de pouvoir et les dynamiques géopolitiques à l’œuvre dans la région des Grands Lacs.
Plus grave encore, elle feint de ne pas voir ou pire, choisit de taire les responsabilités plurielles, protéiformes et souvent institutionnalisées qui ont nourri, des décennies durant, l’économie de guerre dans l’est du Congo.

Car ce conflit ne se résume pas à une agression rwandaise à sens unique ; il est aussi le fruit vénéneux de compromissions internes, de complicités enracinées, et d’un cynisme étatique qui ne dit pas son nom.

Il eût été salutaire que HRW rappelât, à cette occasion, le rôle ambigu, pour ne pas dire criminel, que jouent certaines factions des Forces armées de la RDC (FARDC), régulièrement accusées de viols systématiques, de pillages méthodiques, de bombardements aveugles contre des populations civiles. Ces exactions, documentées de longue date, sont perpétrées dans une impunité absolue, souvent avec la complicité de hauts gradés, de gouverneurs, voire de membres influents du Parlement congolais.

Que dire, en outre, de l’alliance désormais notoire entre Kinshasa et les FDLR, résidus génocidaires dont la présence en RDC constitue, depuis le lendemain du génocide contre les tutsi de 1994, un facteur constant d’instabilité ? Nulle mention, non plus, du recrutement illicite de mercenaires étrangers, ni de la légalisation éhontée de criminels Wazalendo, entérinée par le pouvoir congolais au mépris du droit international, quand bien même ces groupes sont responsables de massacres à caractère ethnique.

Human Rights Watch, dans son empressement à rééquilibrer artificiellement les responsabilités, ne rend service ni à la vérité ni à la justice. En renvoyant indistinctement dos à dos le M23 et les FARDC, l’ONG s’emploie à diluer les responsabilités, à estomper les spécificités des tragédies vécues par certaines communautés. Cette posture revient à gommer les persécutions ciblées subies par les tutsi congolais, réduits à l’état de sous-hommes dans un imaginaire national dévoyé, victimes d’un discours de haine alimenté avec constance par les relais du pouvoir, dans les médias comme dans les institutions.

L’absence de condamnation ferme des appels au génocide, des violences cannibales filmées et revendiquées, témoigne d’une partialité qui confine à la complicité morale.

Quant aux initiatives économiques récentes, telles que l’accord sur les minerais précieux entre la RDC et les États-Unis, HRW semble s’en accommoder à condition qu’elles soient teintées de bonnes intentions. Pourtant, là encore, l’organisation aurait gagné en crédibilité en dénonçant les circuits mafieux qui, depuis les provinces orientales, alimentent les flux miniers mondiaux, au prix de complicités locales profondément enracinées.

Ce sont les FARDC, les autorités provinciales, les élus, et même certains ministres qui assurent la logistique et la protection de ce commerce illicite, en étroite collaboration avec les FDLR, dans un ballet de corruption et de prédation que nul observateur sérieux ne peut ignorer.

Nier l’implication des turpitudes d’un pouvoir congolais tout aussi trempé dans la compromission et la violence, relève d’une posture idéologique biaisée, d’une lecture occidentale et paresseuse de la conflictualité africaine. C’est cette justice à géométrie variable, cette indignation sélective, ce deux poids deux mesures permanent, qui décrédibilisent les ONG occidentales aux yeux des peuples africains.

Il ne saurait y avoir de paix durable sans justice, certes. Mais encore faut-il que cette justice ne soit pas instrumentalisée, politisée, soumise aux agendas géostratégiques du moment.

Le chemin vers la vérité ne peut passer par des raccourcis moraux ou des amalgames douteux. S’il est une exigence urgente pour la région des Grands Lacs, c’est celle de la lucidité : une lucidité courageuse, qui ose nommer chaque responsabilité, fût-elle inconfortable pour les protecteurs habituels des équilibres factices.

La déclaration de HRW, exigeant que la RDC conditionne ses relations avec le Rwanda à des poursuites judiciaires, reflète une nouvelle fois le cynisme de certaines ONG

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