À Cotonou ou l’Afrique pense sa souveraineté dans le tumulte du monde

Redigé par Tite Gatabazi
Le 14 mai 2025 à 11:16

Du 9 au 11 mai 2025, Cotonou, capitale économique du Bénin, s’est muée en haut lieu de réflexion stratégique à l’occasion de la 6ᵉ Conférence internationale du Groupe Initiative Afrique (GIAF). Cet aréopage de personnalités politiques, économiques et intellectuelles africaines s’est rassemblé autour d’un thème d’une acuité brûlante : « Comment penser les souverainetés africaines dans un monde fracturé et incertain ? »

La cérémonie d’ouverture, présidée par le ministre d’État béninois chargé du Développement et de la Coordination de l’action gouvernementale, Abdoulaye Bio Tchané, a donné le ton. Dans une adresse empreinte de gravité et d’ambition, il a exhorté les nations africaines à s’émanciper des marges où l’Histoire les a longtemps reléguées, pour s’imposer en acteurs majeurs de la gouvernance mondiale.

Il a dressé un tableau sans fard des multiples déchirures qu’elles soient géopolitiques, économiques, climatiques ou sécuritaires qui mettent à l’épreuve les marges de manœuvre du continent, et plaidé pour l’édification d’une souveraineté africaine à la fois lucide, solidaire et tournée vers l’avenir.

Au fil des interventions, la conférence s’est affirmée comme un laboratoire d’idées où les défis de l’heure ont été analysés avec une rare densité. Jean-Louis Ekra, ancien président de l’Afreximbank, a alerté sur les convulsions systémiques de l’ordre mondial, de la réémergence du populisme occidental à la fragilisation des institutions multilatérales, en passant par les périls climatiques. Il a appelé à une reconquête des leviers économiques, saluant l’essor d’un souverainisme panafricain porteur de cohérence et d’intégration.

De son côté, Sidi Ould Tah, ex-président de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique, a structuré sa réflexion autour de quatre chantiers majeurs : la résurgence des conflits, l’ampleur du défi démographique, la révolution technologique en cours, et la nécessité d’une réforme de l’architecture financière continentale.

Soulignant l’urgence d’une éducation en phase avec les exigences du marché de l’emploi, il a plaidé pour une mobilisation plus affirmée des ressources endogènes, notamment à travers le secteur privé et les petites et moyennes entreprises. À cet égard, il a mis en lumière la Zone économique spéciale de Glo-Djigbé, présentée comme un modèle de transformation industrielle et de création d’emplois pérennes.

Cinq sessions thématiques ont prolongé les travaux, explorant tour à tour les déclinaisons politique, économique, culturelle, éducative et sécuritaire de la souveraineté africaine. Des thématiques ambitieuses y furent abordées, à l’instar de « Souveraineté et souverainisme : (re)construire une souveraineté équilibrée en politique intérieure africaine » ou encore « Les conditions de conquête de la souveraineté économique de l’Afrique ».

Les recommandations formulées feront l’objet d’une compilation destinée à nourrir les politiques publiques futures sur le continent.

À travers cette conférence, l’Afrique s’est une fois encore posée la question de son devenir, non plus en posture d’attente ou de réclamation, mais dans un élan de projection et de responsabilité.

Il est des conjonctures historiques où les peuples, las de l’infantilisation qui leur est imposée, reprennent la plume de leur propre narration. La 6ᵉ Conférence internationale du GIAF, qui s’est tenue à Cotonou, s’inscrit dans cette veine de réaffirmation intellectuelle et politique. Loin des tribunes stériles ou des indignations rituelles, elle a donné chair à une pensée stratégique de la souveraineté africaine, non comme posture nostalgique, mais comme projet résolument contemporain et prospectif.

Il est devenu périlleux de continuer à faire de l’Afrique un réceptacle passif des normes globales ou un simple terrain d’ajustement des stratégies d’influence. La tectonique géopolitique actuelle entre la déliquescence du multilatéralisme, la résurgence des impérialismes, et l’accélération des crises climatiques rappelle avec fracas que l’autonomie ne se négocie plus dans les marges, mais s’arrache dans la pleine conscience de sa nécessité.

En ce sens, les voix africaines réunies à Cotonou n’ont pas seulement diagnostiqué les fractures du monde : elles ont esquissé les lignes de force d’une souveraineté pensée par et pour les Africains. Cette souveraineté ne saurait être réductible à l’incantation ou au repli identitaire. Elle se veut plurielle, différenciée, stratifiée économique, culturelle, technologique, éducative, sécuritaire et avant tout articulée à des instruments concrets de puissance.

Ce moment intellectuel singulier marque peut-être le seuil d’une inflexion plus vaste : celle où l’Afrique cesse de quémander sa place à la table du monde pour entreprendre, enfin, d’en redessiner les contours. Reste à savoir si les États transformeront ce souffle en volonté politique, en ingénierie institutionnelle, en investissements soutenus.

Car la souveraineté n’est pas une rhétorique : c’est une architecture, un édifice patient, fait de décisions courageuses, d’efforts assumés, et d’un regard clair sur le réel.

À l’heure où le monde chancelle, l’Afrique, si elle en prend la mesure, a devant elle une page vierge. Encore faut-il que la plume ne tremble pas.

À Cotonou, l’Afrique réfléchit à sa souveraineté au cœur du tumulte d’un monde en perpétuelle mutation

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