Le référendum, expédient pour temps de crise

Redigé par Le Temps
Le 19 décembre 2018 à 12:31

Dans les systèmes démocratiques en crise, le référendum est brandi comme une solution pour redonner la parole au peuple. L’outil a ses limites, comme le montre l’exemple suisse, rappelle notre chroniqueuse Joëlle Kuntz

Les « gilets jaunes » ont obtenu la réouverture du dossier référendum. En France, il a pour nom « référendum d’initiative citoyenne » (RIC), un objet compliqué que le premier ministre, Edouard Philippe, tient pour « un bon instrument dans une démocratie », ajoutant quand même, par prudence, « pas sur n’importe quel sujet ni dans n’importe quelles conditions ».

Le référendum est la cérémonie de l’innocence, le couronnement de la parole authentique du peuple. Que celui-ci soit serein, fâché, ignorant ou manipulé, à partir de 50% de ses voix plus une, il est « le peuple ». Pur. Souverain. Les 50% des voix moins une ne comptent plus. Le référendum divise radicalement. Comme « bon instrument dans une démocratie », on pourrait peut-être trouver mieux.

Exemples britannique et italien
Le référendum du Brexit est un cas d’école. Il a été pensé démagogiquement comme un moyen de conforter l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne par un gouvernement très mal informé sur l’état de l’opinion. La défaite avérée, il a ensuite été considéré comme intouchable, toute nouvelle consultation passant pour une tentative de trahison du vote populaire. Ainsi, la voix du peuple est non seulement sacrée mais figée dans le temps, quelles que soient les catastrophes économiques et humaines qu’elle entraîne. Le peuple ayant dit, il n’est pas censé changer d’avis. Il a toutes les libertés, sauf celle-ci.

Sans une approche moins absolutiste dans les semaines à venir, le 29 mars 2019 à minuit, la moitié du Royaume fêtera son indépendance tandis que l’autre pleurera ses liens perdus avec le continent. Il est des victoires « démocratiques » dont le peuple, pris dans son entier, ne se remet pas.

Le référendum italien de Matteo Renzi sur la réforme constitutionnelle a abouti à un non tonitruant qui n’était pas contre la réforme proprement dite mais contre Renzi et la démocratie italienne telle qu’elle allait. En lieu et place d’une nouvelle Constitution, il a rendu l’Italie à ses divisions classiques, le Nord contre le Sud, les extrêmes contre le centre, les aspirations à un chef contre le désir de pouvoirs démocratiquement partagés. Le référendum a produit Matteo Salvini. On attend de voir ce que l’extrême droite contemporaine va faire à la démocratie.

Une Suisse paralysée
Le référendum est l’expédient qui répond à la crise de la gouvernance démocratique. Les partis existants n’étant plus capables de former des majorités, ni seuls, ni en coalition, le parlement perd la main. Les parlementaires eux-mêmes sont tentés d’y recourir pour aller chercher des appuis de circonstance auprès du peuple. A ce stade, loin d’être la marque d’une avancée de la démocratie, la popularité du référendum en signale le délabrement. La construction des compromis ne se faisant plus dans l’architecture constitutionnelle de la représentation nationale, les citoyens se voient légitimés à se défier de leurs élus, à retirer leur confiance dans le jeu établi pour la placer dans un ailleurs meilleur où ils espèrent être vus et entendus. A Utopia ?

Le oui/non du référendum est l’issue simplifiée d’un affrontement qui n’a pas été tranché par le travail de la négociation politique. A moins d’une majorité très forte enregistrant un acquis politique, il ne résout pas le conflit, il le perpétue, laissant chez les perdants l’amertume de l’impuissance, l’hostilité à l’égard des gagnants et la rancœur contre les gouvernants.

Même en Suisse où le système de démocratie directe est construit sur la suspicion envers les pouvoirs, le référendum et l’initiative populaire tendent à diviser la société bien plus qu’à la charpenter comme il était prévu. Les blessures du référendum de 1992 sur l’Espace économique européen ne sont pas guéries, pour ne rien dire de celles qui ont suivi suite aux initiatives gagnées de justesse contre les minarets ou l’immigration de masse. Du coup, plus rien ne bouge plus à Berne. Les pouvoirs ont peur. Les « gilets jaunes » sont partout, référendum brandi.


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