Abolir l’illusion et bâtir l’émancipation

Redigé par Tite Gatabazi
Le 17 juin 2025 à 11:01

Désapprendre la supplication, c’est rompre avec l’inertie séculaire d’un geste qui tend la paume vers l’extérieur et ce faisant, abdique déjà la moitié de sa souveraineté  ; c’est consentir à l’ascèse douloureuse, mais féconde, par laquelle une collectivité se déprend de la commode illusion de l’assistanat pour reconquérir la verticalité de son destin.

Dans ce renversement, les nations naguère prosternées découvrent que le préalable à toute résurgence n’est pas la rivière d’allocations qui apaise la soif sans irriguer les racines, mais la lente élaboration d’une musculature civique, forgée dans l’épreuve, qui transmute la plainte en projet et l’attente en puissance créatrice.

Alors seulement se dévoile la renaissance véritable  : non pas une simple convalescence économique, mais la refonte intime du contrat social, où la responsabilité partagée remplace la déréliction importée, où l’on forge des solutions intramuros, pétries de savoir endogène et de technologies appropriées, affranchies des tutelles paternelles. Ainsi l’humanité redécouvre que la dignité ne se monnaye ni ne se délègue  ; elle s’arrache, pièce à pièce, dans la lucidité courageuse de ceux qui préfèrent le risque de l’autodétermination à la sérénité mensongère de l’aumône perpétuelle.

On feint de l’ignorer, mais nulle organisation non gouvernementale, pas même la plus illustre des agences onusiennes, n’a jamais tiré une nation hors de la pénurie ni garanti son essor soutenable  ; si tel avait été le cas, l’humanité entière l’aurait gravé au fronton des mythes fondateurs.

Les convulsions qui secouent la planète obligent désormais chaque société à sonder la frêle architecture de son mode de vie, de sa gouvernance et du rapport, trop confortable, entretenu avec l’aide internationale. Le temps de la main tendue doit laisser place à l’ère de la main qui façonne. L’attente passive, cette posture des bras croisés dans l’espoir qu’autrui viendra étancher nos plaies, relève d’une hallucination collective qu’il faut reléguer aux marges d’un passé révolu, faute de quoi elle se muera en nécrose historique.

La récente annonce des Nations unies contraignant leur plan humanitaire à fondre de 44 milliards à 29 milliards de dollars et à «  hyper prioriser  » 114 millions d’âmes quand 180 millions en requéraient le secours, n’est pas une simple coupe budgétaire  ; c’est la fin d’un paradigme.

Dans la même heure, le HCR rayait 3 500 postes de ses registres, tandis qu’OCHA confessait n’avoir collecté que 13 % de la somme initialement requise. Ces chiffres, qui glacent la raison, dévoilent une évidence  : le puits de l’aide étrangère n’est pas inépuisable. Les coupes américaines jadis pilier de la manne humanitaire précipitent, par effet domino, l’ensemble de l’édifice caritatif mondial dans une tempête qui embrase déjà le Soudan, Gaza, la Birmanie, l’Ukraine ou encore la RDC.

Faut il s’en étonner  ? L’assistance, si généreuse soit elle, demeure par essence contingente  : elle obéit au tropisme électoral, aux aléas géopolitiques, aux sursauts de compassion médiatique. Elle rassure les consciences lointaines, mais ne bâtit ni route, ni école, ni champ irrigué avec la vigueur patiente de la responsabilité locale.

A la longue, elle instille une dépendance, ce poison lent qui atrophie la musculature civique d’un peuple et l’installe dans la promesse illusoire d’une perfusion perpétuelle.

Il est donc urgent de substituer à la logique de l’aumône celle de l’appropriation stratégique. Cela suppose une double révolution  : intérieure, d’abord, par l’exigence d’une gouvernance qui rompe avec la corruption éparse, le fétichisme des subsides et la paresse institutionnelle  ; extérieure, ensuite, en plaidant non plus pour l’irriguation financière mais pour la réparation équilibrée des règles commerciales, l’accès aux technologies, la fin des barrières qui empêchent la transformation locale des matières premières.

Appropriation  : le mot est sévère, mais il trace la voie. Il ne s’agit pas de dresser une autarcie fantasmatique, mais d’investir résolument dans l’agriculture intelligente, l’entrepreneuriat endogène, l’innovation frugale, les savoirs ancestraux réenchantés par la science contemporaine. Il s’agit de convertir l’angoisse d’être délaissé en énergie de la création et de la mutualisation continentale  : une ZLEC Africa nourrie d’infrastructures interrégionales, de chaînes logistiques continentales et d’un marché numérique libéré des intermédiaires prédateurs.

Ce n’est qu’à cette condition que l’aide humanitaire recouvrira son sens véritable  : non un substitut structurel, mais une digue provisoire contre l’urgence, le temps qu’éclôt la résilience domestique. La famine qui pointe déjà au Soudan, à Haïti, au Mali ou à Gaza rappelle la cruauté d’un monde où, sans financement ni accès sécurisé, la logistique du secours vacille. Pourtant, chaque hectare reverdissant grâce à une irrigation solaire locale, chaque start up agro écologique surgie d’un incubateur universitaire, chaque coopérative villageoise reliée par fibre optique incarne la preuve tangible que l’autoproduction du salut est possible.

L’Histoire jugera sévèrement l’ornementation rhétorique des conférences où l’on promet le développement à coups de slogans tandis que l’échafaudage humanitaire s’effondre. Elle encensera, en revanche, les nations qui auront choisi de desceller l’anneau de la dépendance pour forger leur propre destin  : non plus en quémandeurs, mais en architectes.

C’est ici que s’écrit le nouveau contrat social  : celui d’un peuple qui ne délègue plus sa survie à la compassion incertaine de l’ailleurs, mais la confie à l’intelligence collective de l’ici.

Ainsi se clôt l’âge de l’assistanat toison, qui couvrait à bon compte la paresse politique et l’amnésie des puissances donatrices. Voici venir l’ère où chaque société, contrainte par la raréfaction des dotations, devra se découvrir un génie propre. L’on objectera que la tâche est titanesque  ; certes, mais elle est la seule à pouvoir métamorphoser la vulnérabilité en puissance créatrice. L’aumône se tarit  ; qu’il en soit ainsi. Car sous son reflux, peut naître, pour qui le veut, la marée haute de l’autodétermination.

Les nations redécouvrent que la vraie résurgence naît moins des aides que d’une force civique patiemment forgée dans l’épreuve

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