De l’apothéose à l’opprobre ou l’exécution symbolique de Nicolas Sarkozy

Redigé par Tite Gatabazi
Le 17 juin 2025 à 10:54

Au terme d’un inexorable chemin judiciaire, Nicolas Sarkozy se voit infliger l’infamie suprême  : l’exclusion de l’ordre de la Légion d’honneur et de celui du Mérite, double sanction d’une rareté presque mythologique depuis la destitution du maréchal Pétain en 1945.

Par un arrêté daté du 5 juin 2025, le général François Lecointre, grand chancelier de la Légion d’honneur, a appliqué le mécanisme automatique prévu par le Code de l’ordre  : toute personne définitivement condamnée à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins un an est, «  de droit  », radiée des registres. Ainsi se ferme provisoirement le cercle judiciaire pour l’ancien chef de l’État, dont le pourvoi en cassation, rejeté en décembre 2024, a rendu définitive sa condamnation à trois années d’emprisonnement, dont une ferme, pour corruption et trafic d’influence dans la désormais célèbre affaire des écoutes.

Une trajectoire pénale aux ramifications multiples

L’onde de choc actuelle se nourrit d’un faisceau de décisions répressives qui, depuis 2021, érodent méthodiquement le prestige de l’ex locataire de l’Élysée  :

Affaire «  Bismuth  » (écoutes)  : reconnu coupable d’avoir tenté d’obtenir auprès du magistrat Gilbert Azibert des informations couvertes par le secret, Nicolas Sarkozy se voit infliger trois ans d’emprisonnement, dont un ferme. La Cour d’appel confirme le jugement, et la Cour de cassation, en décembre 2024, scelle l’arrêt.

Affaire Bygmalion (financement illicite de la campagne 2012)  : en 2021, l’ex chef de l’État est condamné à un an de détention à domicile sous bracelet électronique pour avoir largement excédé le plafond légal des dépenses électorales.

Affaire des sondages de l’Élysée  : renvoyé devant la Cour de justice de la République pour favoritisme et détournement de fonds publics, l’ancien président attend toujours son procès, tandis que l’ombre de nouveaux déboires plane sur son horizon.

Affaire du financement libyen présumé  : placé sous contrôle judiciaire, Nicolas Sarkozy est mis en examen pour «  association de malfaiteurs  » et «  corruption passive  ». L’instruction, tentaculaire, pourrait déstabiliser davantage encore la stature de l’homme qui promettait naguère une «  République irréprochable  ».

Dissonances institutionnelles et crispations partisanes

La décision «  de droit  » ne laisse, techniquement, aucune marge d’appréciation au grand maître de l’ordre, Emmanuel Macron qui s’était publiquement déclaré hostile à un retrait qu’il jugeait «  malvenu  ». D’où la cacophonie  : le chef de l’État, tout en tenant un propos conciliateur envers son prédécesseur, se trouve politiquement désavoué par la mécanique réglementaire.

A droite, l’indignation s’exprime avec vigueur  ; l’ex-majorité présidentielle, déjà fragilisée par la percée des droites concurrentes, crie au traitement inique. À l’inverse, plusieurs descendants de titulaires de la Croix soutenus par une partie de la société civile rappellent l’impératif d’«  exemplarité  » et somment l’exécutif de préserver l’aura du ruban rouge.

Symbole, mémoire et anthropologie de la sanction

Au delà du strict juridique, la radiation de Nicolas Sarkozy relève d’une dimension quasi rituelle  : elle inscrit l’ancien président dans la typologie infamante des parjures de la République, aux côtés du vaincu de 1940. Cette analogie, certes disproportionnée quant à la gravité des faits, n’en souligne pas moins la force intégratrice de l’institution  : la Légion d’honneur, confondue avec la nation, distribue l’éloge et l’opprobre avec la même solennité.

Cette «  mort civique honorifique  » constitue, pour l’intéressé, une peine symbolique dont l’impact social excède la correction pénale  ; elle fissure l’habit de gloire qui vêt tout ancien président et rappelle que la démocratie ne tolère que des vertus sous contrôle.

Dans l’immédiat, l’ancien chef de l’État mise sur un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme  ; son défenseur, Me Patrice Spinosi, escompte qu’une hypothétique condamnation de la France conduirait à réviser le jugement interne, et partant, à rétablir l’ordre national bafoué. L’horizon, pourtant, demeure incertain  : le temps long des procédures strasbourgeoises se heurtera aux effets instantanés de l’arrêté de radiation, dont la portée symbolique résonne déjà jusque dans les travées d’un Sénat qui n’a cure de l’argumentaire victimaire. Reste qu’avec cette décision, la République réaffirme au prix de tensions politiques palpables qu’aucun piédestal n’est assez élevé pour soustraire ses figures tutélaires à la rigueur du droit commun.

Nicolas Sarkozy a été exclu de la Légion d’honneur et de l’ordre du Mérite, une double sanction rarissime depuis la chute du maréchal Pétain en 1945

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