La fermeture de ses frontières avec le Rwanda d’abord, puis avec la République démocratique du Congo (RDC) courant décembre 2025, a plongé l’économie burundaise dans une asphyxie dont les répercussions révèlent les fragilités structurelles d’une nation dépendante de corridors uniques et vulnérable aux tensions régionales.
C’est le paradoxe tragique d’un pays qui, au moment même où ses voisins négocient leur avenir dans l’économie mondiale des minerais stratégiques, choisit l’isolement comme réponse à l’instabilité régionale. Le résultat est sans appel : une inflation qui a atteint 39% en moyenne au cours des deux premiers mois de 2025 selon le FMI, une population dont plus de la moitié vit dans la pauvreté, et des régions frontalières au bord de la famine.
Un isolement construit par étapes
Le 11 janvier 2024, la rupture est consommée : Bujumbura ferme toutes ses frontières avec le Rwanda, accusé d’héberger les rebelles du RED-Tabara responsables d’une attaque meurtrière à Gatumba fin 2023. Kigali dément catégoriquement. Cette fermeture intervient après une courte réconciliation : les postes frontaliers n’avaient rouvert qu’en octobre 2022, après sept années de tensions héritées de la crise politique de 2015.
Le 9 décembre 2025, l’autre porte stratégique se referme : la frontière avec la RDC devient une zone militaire, alors que la progression du AFC/M23 vers Uvira menace d’atteindre Bujumbura par le lac Tanganyika. En quelques jours, 200 000 personnes sont déplacées et plus de 25 000 Congolais fuient vers le Burundi.
Aujourd’hui, seuls les corridors vers la Tanzanie demeurent fonctionnels, forçant le Burundi à dépendre presque exclusivement du port de Dar es Salaam pour 80% de son commerce international. Cette situation crée un goulet d’étranglement commercial sans précédent.
L’Impact sur les populations frontalières : des vies brisées
Derrière les décisions politiques se cache une réalité sociale brutale. Pour les populations des provinces frontalières, la fermeture n’est pas une affaire diplomatique, mais un choc direct sur leurs revenus, leurs projets et leur mode de vie.
À Rugombo, la commerçante Générose Nshimirimana ne peut plus écouler ses tomates sur les marchés rwandais où elle triplait ses revenus. À Ngozi, Dévote perd son marché de prédilection pour ses oignons rouges. Ces femmes, comme des milliers d’autres, rejoignent la catégorie des populations en détresse dans un pays où 62 % des habitants vivent déjà sous le seuil d’extrême pauvreté.
À Ruhwa, la dévastation économique est visible : les infrastructures touristiques autrefois animées sont abandonnées. Les boutiques, les bureaux de change et les bistrots s’effondrent sous les mauvaises herbes. Les files de taxis-motos qui animaient la zone ont disparu. Jérôme Bukuru, guide touristique, voit ses revenus divisés par trois.
À Gatumba, dernière porte vers la RDC, la militarisation entraîne une paralysie totale du commerce. Pour un pays dont l’économie repose largement sur les échanges de proximité, c’est un choc comparable à une coupure d’oxygène.
Un impact macroéconomique massif : la machine commerciale à l’arrêt
Les effets en chaîne sur l’économie nationale ne se font pas attendre. Le Burundi dépend à 32,9 % de l’agriculture pour son PIB, avec 70 % de sa main-d’œuvre active dans ce secteur. Les produits périssables, cœur du commerce transfrontalier, n’ont plus d’issues rapides. Les camions transportant le poisson d’Uvira ou les légumes de Cibitoke courent désormais contre la montre sur des routes plus longues et chères. Les pertes sont quotidiennes, les marges s’évaporent.
Le pays, déjà frappé depuis cinq ans par une pénurie énergétique chronique, perd aussi l’accès informel mais vital au carburant Congolais et Rwandais. Cette fermeture aggrave les ruptures d’approvisionnement qui paralysent hôpitaux, entreprises, transports publics et même écoles.
Le corridor Kobero-Kabanga vers la Tanzanie, par lequel transitent 80 % du commerce burundais, subit une pression inédite. Malgré les investissements qui ont réduit les temps de passage, il ne peut absorber l’ensemble du commerce national.
Les finances publiques, autrefois renforcées par la réforme de l’Office burundais des recettes (OBR), stagnent. Les droits de douane chutent au rythme des volumes exportés. Les services, qui représentaient plus de 40 % du PIB et croissaient de 12,5 % en 2023, s’effondrent, notamment le transport, le tourisme et les activités connexes. La grave pénurie de devises au Burundi paralyse la capacité du pays à financer ses importations essentielles, entraînant des ruptures d’approvisionnement, une hausse des prix et une fragilisation accrue d’une économie déjà confrontée à de fortes vulnérabilités structurelles.
La Tanzanie : planche de salut ou nouvelle dépendance ?
Face à l’isolement, la Tanzanie devient le seul partenaire viable. Plus de 80 % du commerce extérieur burundais passe désormais par Dar es Salaam, renforçant une dépendance déjà structurelle. Le projet ferroviaire à écartement standard prévu pour 2028 promet d’améliorer la situation, mais risque de lier encore plus étroitement l’économie burundaise à ce seul corridor.
Les marchés transfrontaliers comme Muhange, modernisés grâce aux Nations Unies, sont envahis par des commerçants burundais cherchant de nouveaux débouchés. Mais ces opportunités, si vitales soient-elles, ne compensent ni les pertes des axes rwandais ni l’impact considérable de la fermeture du corridor congolais.
Le lac Tanganyika représente une alternative sous-exploitée. Mais faute d’infrastructures portuaires adaptées, son potentiel demeure théorique, trop lent face à l’urgence actuelle.
Un choc pour l’intégration régionale : l’EAC fragilisée
La crise burundaise pose un problème plus profond : la fragilité de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). L’organisation prône la libre circulation, mais ses États membres ferment leurs frontières à répétition, sans mécanisme contraignant.
Après le face-à-face Rwanda–Ouganda entre 2019 et 2022 et désormais le Burundi face à ses voisins, c’est toute la crédibilité du projet d’intégration qui vacille. Les fermetures unilatérales de frontières détruisent en quelques semaines ce que les politiques commerciales cherchent à construire depuis des années.
Leçons africaines : résilience, diversification, souveraineté économique
La grande leçon du cas burundais est simple : les économies enclavées ne peuvent dépendre d’un seul corridor commercial. La diversification n’est pas un luxe, mais une exigence de sécurité économique.
Le Burundi a modernisé certains postes frontaliers et engagé des réformes fiscales, mais il n’a ni diversifié ses routes commerciales, ni renforcé ses capacités productives, ni réduit sa dépendance à l’aide extérieure (62 % du budget).
Les opportunités minières, comme le contrat de 15 milliards de dollars sur le nickel avec la Russie, ne transformeront pas le pays à court terme. L’économie reste dominée par l’agriculture de subsistance, structurellement vulnérable aux chocs.
L’urgence du dialogue : sortir de l’impasse géopolitique
La fermeture des frontières, censée protéger la sécurité nationale, s’avère être un piège géoéconomique qui étrangle les civils sans freiner les groupes armés, lesquels continuent d’utiliser des routes clandestines. La seule issue reste diplomatique.
Le Burundi doit renouer le dialogue avec Kigali et Kinshasa. L’EAC doit enfin se doter de mécanismes de résolution des conflits capables d’empêcher qu’un État n’isole un autre en quelques heures. L’avenir du pays, et de l’intégration régionale, se jouera dans la capacité à concilier sécurité, économie et coopération.
Conclusion
L’avenir du Burundi, et par extension celui de nombreux États africains enclavés, se jouera dans la capacité à construire simultanément des infrastructures commerciales résilientes, des mécanismes régionaux d’intégration contraignants, et des économies diversifiées moins vulnérables aux chocs géopolitiques. Sans cette transformation, les fermetures frontalières d’aujourd’hui ne seront qu’un prélude aux crises plus profondes de demain.
Le cas burundais illustre un danger majeur : lorsque la politique prime sur l’économie et que la méfiance remplace la coopération, ce sont les populations et les économies qui en paient le prix. Derrière chaque frontière fermée, des vies et des moyens de subsistance sont brisés. Sans stratégie de résilience, de diversification et d’intégration, des peuples autrefois unis se retrouvent divisés par des barrières érigées en leur nom mais contraires à leurs intérêts.
Teddy KABERUKA est un analyste économique spécialisé dans le développement africain, l’économie des ressources, la stratégie géopolitique et l’Intelligence Artificielle.














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