Mais au cœur de ces commémorations, une dimension reste souvent tue, même si son absence se fait profondément sentir : la libération de la musique instrumentalisée — ces chansons conçues pour endoctriner, déshumaniser et diviser. Il ne s’agissait pas seulement de reconquérir un territoire ou de sauver des vies ; il fallait aussi délivrer le Rwanda des rythmes empoisonnés qui dansaient sur les ondes et résonnaient dans les cours d’école, les églises et les bars.
C’est pourquoi le 31 décembre 2001 est une date d’une importance historique et symbolique immense. Ce jour-là, le Rwanda a officiellement mis fin à ses anciens symboles nationaux : le drapeau, les armoiries et l’hymne Rwanda Rwacu. Ce fut le dernier jour de l’hypocrisie, de la haine officialisée déguisée en patriotisme.
Le lendemain, le 1er janvier 2002, ne marqua pas seulement le début d’une nouvelle année civile, mais la naissance d’un nouveau Rwanda. Non pas seulement une nouvelle année, mais une nouvelle ère. Un nouveau drapeau porteur d’espoir et de réconciliation. De nouvelles armoiries soulignant l’unité et le développement. Et surtout, un nouvel hymne national — Rwanda Nziza (Beau Rwanda).
Finies les lignes glorifiant les militants. Finies les divisions insidieuses, le suprémacisme codé. Le nouvel hymne chante l’unité, la paix et la vérité — non comme un oxymore, mais comme une mission.
Ce fut une purification. Une renonciation. Le Rwanda n’a pas seulement fait taire les armes de 1994 ; il a démantelé la machine idéologique qui les avait alimentées.
Dès le tout début de l’« indépendance » dite du Rwanda en 1962 — une souveraineté factice fabriquée par la Belgique au moyen d’élections truquées et de purges violentes — une idéologie politique imprégnée de suprémacisme Hutu fut non seulement instaurée, mais soigneusement mise en scène pour paraître légitime.
Contrairement à d’autres nations africaines qui accédèrent à l’indépendance par une réforme institutionnelle progressive ou sous l’impulsion d’un leadership nationaliste clair, la « république » rwandaise fut proclamée alors que le pays était encore sous contrôle colonial belge.
Prenons l’exemple du Tanganyika, aujourd’hui partie continentale de la Tanzanie : il accéda à l’indépendance le 9 décembre 1961 et ne devint une république qu’un an plus tard, en 1962, à l’issue d’un processus constitutionnel interne.
Le Rwanda, en revanche, se déclara République le 25 septembre 1961 — avant même d’obtenir son indépendance, le 1er juillet 1962. Comment une colonie peut-elle devenir une République avant de devenir une nation ? La réponse se trouve dans la manipulation coloniale.
Cette « République » fabriquée était le fruit de la stratégie belge visant à installer un régime ethnique majoritaire docile, sous couvert de choix démocratique. Les autorités coloniales belges, dirigées par le colonel Guy Logiest, organisèrent de prétendues élections communales et un référendum sur la monarchie en 1961.
L’objectif politique du Royaume de Belgique était clair : détruire la monarchie rwandaise et remettre le pouvoir d’État à la « majorité Hutu » fabriquée — en particulier au Parti du Mouvement de l’Émancipation Hutu (PARMEHUTU) de Kayibanda, formé en 1959 et ouvertement anti-Tutsi. Pour un instant — imaginez seulement : une République créée par un Royaume !
Ce n’est pas un hasard si ce tournant politique ne s’est pas simplement traduit par des décrets ou des textes de loi — il s’est chanté. La musique est devenue la colle idéologique du nouveau régime. Le PARMEHUTU comprenait que pour ancrer sa version de la vérité, il ne suffisait pas de gouverner. Il fallait chanter.
Le PARMEHUTU, parti au pouvoir sous la présidence de Grégoire Kayibanda, maîtrisait un puissant outil d’endoctrinement de masse : la musique. C’est ainsi que le Pouvoir Hutu est né — pas seulement dans des brochures ou des discours, mais dans des paroles, des mélodies et des refrains.
En réalité, le moyen le plus efficace pour pénétrer l’esprit des analphabètes et même endoctriner les lettrés était la musique. Les chansons pouvaient aller là où les idéologues ne pouvaient pas. Elles séduisaient l’âme, contournaient la pensée critique, et inscrivaient les idéologies génocidaires dans la mémoire comme des berceuses.
Il fallait rendre la haine harmonieuse en musique. Et c’est ce qu’ils firent, par le biais d’une troupe musicale appelée Abanyuramatwi, littéralement « ceux qui apaisent les oreilles ». Mais loin de réconforter, ces voix étaient perfides. Elles déguisèrent la haine sous les rythmes du patriotisme.
Abanyuramatwi
Les voix apaisantes de la haine, ou l’ensemble Abanyuramatwi, sous la direction de Michel Habarurema — n’étaient pas simplement un bras culturel ; c’était une arme psychologique. Leurs chansons fournissaient les effets sonores à la réécriture méthodique et schématique de l’histoire et de la hiérarchie sociale du Rwanda par le régime PARMEHUTU.
Ils composaient des chansons trompeusement jolies, mélodieusement agréables et faciles à mémoriser — mais en leur sein, l’idéologie génocidaire était insidieusement mêlée comme du poison dans du miel. La musique normalisait la division, glorifiait la discrimination et romantisait la violence ethnique. Ces chansons passaient à la Radio Rwanda et étaient jouées dans les écoles, les églises et lors des célébrations nationales. Elles faisaient partie du quotidien, rendant ainsi l’endoctrinement constant, jamais occasionnel.
Parmi ces chansons, trois se distinguent par leur toxicité extrême : Rwanda Rwacu (Notre Rwanda), Turatsinze (La Victoire est à Nous) et Jya Mbere Rwanda (En Avant Rwanda). Ces chansons offrent une fenêtre sur la manière dont l’idéologie du Pouvoir Hutu fut construite, diffusée et sanctifiée.
Rwanda Rwacu ou Notre Rwanda n’a pas été composée, mais façonnée pour glorifier les militants du PARMEHUTU et prêcher l’hypocrisie. Ce fut l’hymne national du Rwanda de 1962 jusqu’au 31 décembre 2001. En apparence, il semble patriotique.
Mais en disséquant ses paroles, on découvre comment il a transformé en armes des mots comme République, Démocratie et Féodalisme pour tromper les gens et les diviser. Ces termes n’étaient pas utilisés dans leur sens habituel ; ils furent redéfinis pour servir une agenda politique.
La strophe la plus troublante est la première : « Je loue les Militants / Qui ont établi une République inébranlable. »
En kinyarwanda, « Nsingiza abarwanashyaka bazanye Repubulika idahinyuka. » Le mot nsingiza n’est pas neutre. C’est le même mot utilisé dans les chants religieux pour glorifier Dieu. Ici, il glorifie des militants politiques — dont beaucoup avaient du sang sur les mains.
Ces militants n’étaient pas des combattants de la liberté ; ils étaient les architectes du nettoyage ethnique. Ils ont mené des pogroms contre les Tutsi en 1959, 1961, 1963 et 1973. Pourtant, l’hymne les élevait au rang de héros quasi-divins. C’était l’hymne que les écoliers étaient obligés de chanter, internalisant ainsi la glorification des tueurs comme martyrs nationaux.
Le deuxième couplet dit : « La République a déraciné le féodalisme / Le colonialisme a disparu pour toujours / Sois fortifiée, ô Démocratie. »
Mais que signifient ici le féodalisme et la démocratie ? Dans le lexique du régime PARMEHUTU, le féodalisme est devenu un code pour désigner les Tutsi. Il ne s’agissait pas d’une structure socio-économique, mais d’un ennemi racialisé.
La République signifiait la destruction de la classe dirigeante tutsi. La démocratie n’impliquait ni pluralisme ni droits humains — c’était un raccourci pour désigner la majoritarisme ethnique. Un seul groupe ethnique, les Hutu, gouvernait. Les autres étaient exclus ou éliminés. Ainsi, la « Démocratie » est devenue la dictature d’une seule identité ethnique.
Le troisième couplet de l’hymne prétend à l’inclusivité : « Nous avons tous combattu pour l’obtenir — Tutsi, Twa et Hutu / Et vous, Rwandais naturalisés. »
Mais ce n’était rien d’autre que de la pure propagande. Les Tutsi fuyaient pour sauver leur vie durant cette prétendue lutte. Le « nous » ici est une fiction politique. En suggérant que les Tutsi ont combattu pour la République, le régime s’innocentait et manipulait ses victimes.
Turatsinze Ga ye !
Dans cette chanson, les Abanyuramatwi et le PARMEHUTU chantaient la victoire par ethnicité et non par nationalité.
Cette chanson, La Victoire est à Nous, a été écrite pour célébrer le référendum truqué de 1961 et les élections communales. Le refrain : « La victoire est enfin à nous ! / Le référendum… a été remporté par le PARMEHUTU ! »
Ce ton triomphaliste n’est pas du tout national. Il est tribal. L’essence même de la chanson et son venin se concentrent dans la deuxième strophe : « Gahutu, où que tu sois, réjouis-toi / Les débats sont terminés / Le Rwanda retourne à ses véritables propriétaires / Gahutu, triomphe sans contestation ! »
Ce n’est pas de la politique. C’est du suprémacisme ethnique. Le terme « Gahutu » est invoqué comme un cri de guerre. La référence à « les débats sont terminés » est une déclaration que le pluralisme politique est mort. Le pays a été conquis, et tous ceux qui s’opposent à ce récit sont des ennemis.
Le message est limpide : le Rwanda appartient aux Hutu. La chanson présente les Tutsi comme des usurpateurs, des éléments étrangers qui ont pris ce qui ne leur appartenait pas. C’était un appel à tous les Hutu pour s’unir et récupérer ce qu’ils croyaient volé.
Puis vient la vénération de Kayibanda dans la dernière strophe : « Gahutu, où que tu sois, baigne-toi dans le bien-être / Kayibanda, que nous avons élu, vient de nous libérer de la pire servitude / Qui consumait le Rwanda ! »
La « servitude » ici n’est pas la colonisation belge ; c’est un code désignant la période où la monarchie tutsi existait. La colonisation sert de voile. En vérité, l’ennemi, ce sont les Tutsi. La réécriture de l’histoire est sans vergogne. En présentant les Tutsi comme des co-colonisateurs, la chanson justifie leur exclusion puis leur extermination.
Une marche vers la folie
La troisième chanson, Jya Mbere Rwanda (En avant Rwanda), est un chef-d’œuvre d’euphémismes. Son premier couplet introduit le terme Interahamwe comme un insigne d’unité :
En avant, Rwanda / Tu es soutenu par des hommes qui sont Interahamwe, membres du PARMEHUTU.
À première vue, INTERAHAMWE signifie simplement « ceux qui sont unis vers un même objectif ». Mais nous savons aujourd’hui quel est devenu cet objectif : l’extermination. En 1992, ce terme même sera repris par le régime MRND comme nom de la milice génocidaire qui traquait et massacrait les Tutsi. Mais déjà dans les années 1960, le terme portait une connotation de militantisme et d’exclusion.
Les deuxième et troisième couplets sont diaboliquement rusés :
« Comment était le Rwanda ? / L’homme blanc et le Tutsi l’avaient englouti / En écartant le Gahutu qui en était le véritable propriétaire. »
« L’homme blanc parlait et le Tutsi acquiesçait / Ce dernier ne voulait qu’une chose : survivre jusqu’à demain. »
Ici, le colonialiste et le Tutsi sont rendus synonymes. Ce mensonge historique est répété comme une doctrine. En réalité, de nombreux colonialistes considéraient l’élite tutsi comme un moyen pour atteindre leurs propres fins, puis se sont retournés contre elle au profit d’un nationalisme hutu populiste. Mais en fusionnant le Tutsi et le colonisateur, la chanson les présente tous deux comme des oppresseurs. Ce récit a servi de justification morale à la violence ethniquement ciblée.
Les quatrième et cinquième strophes vénèrent Kayibanda et les prétendus révolutionnaires hutus :
« Gahutu a triomphé, la démocratie s’est répandue / Acclamons tous Kayibanda et ses compagnons. »
Ce n’était pas la démocratie. C’était un majoritarisme imposé par l’expulsion, l’intimidation et les massacres de masse. De 1959 à 1973, des centaines de milliers de Tutsi fuirent vers les pays voisins. Ceux qui restaient vivaient en citoyens de seconde zone.
La sixième strophe ajoute une touche hypocrite : « Comment est le Rwanda aujourd’hui ? / Chaque Rwandais est libre / Et chaque étranger se sent bienvenu. »
Le régime avait déjà rendu les réfugiés tutsi apatride. Et pourtant, cette chanson ose prétendre que les étrangers sont les bienvenus. C’est un mensonge sadique.
La dernière strophe se moque des dépossédés : « Si seulement nous pouvions ramener un de ces réfugiés ennemis du Rwanda / Pour voir Gatutsi, Gatwa et Gahutu assis ensemble / Il n’aurait plus rien à dire / Sinon grincer des dents. »
Ce n’est pas un chant de réconciliation. C’est une moquerie cruelle. Cela dit aux réfugiés : vous êtes insignifiants. Ce que vous considérez comme votre Rwanda a avancé sans vous.
Comment les chansons ont pénétré les esprits
La musique, dans ce contexte, n’était pas un divertissement. C’était de la propagande. Elle atteignait les gens là où les journaux ne pouvaient pas. Elle rendait la haine mélodique, mémorable et facile à digérer. Des chansons comme celles-ci étaient répétées à l’école, lors des cérémonies publiques, à la radio nationale. Elles s’installaient dans la mémoire comme des catéchismes. Elles rendaient l’idéologie génocidaire chantable.
Ces chansons n’étaient pas seulement diffusées — elles étaient apprises, récitées, intériorisées. Les enfants les chantaient lors des assemblées scolaires. Les chorales d’églises harmonisaient sans le savoir cette idéologie. Les réfugiés nés en exil captaient ces airs à la Radio Rwanda sans en comprendre la portée profonde.
Quand les enfants des exilés tutsi se mettaient à fredonner ces chansons, leurs parents les réprimandaient — non par mépris culturel, mais par reconnaissance traumatique. Ils savaient ce que ces paroles signifiaient vraiment. En grandissant en exil, ces enfants comprenaient la duplicité : qu’une chanson intitulée « Notre Rwanda » était en réalité un hymne à la division — glorifiant des criminels. Qu’une chanson appelée « En avant Rwanda » était un ordre de marche vers la ségrégation, et qu’un refrain de « La victoire est à nous » était l’hymne du nettoyage ethnique.
Ces chansons étaient des sérénades de la supériorité ethnique. Elles enseignaient à un enfant que le Gahutu était le véritable propriétaire du Rwanda, et que le Tutsi était un usurpateur étranger. Les Interahamwe n’étaient pas encore une milice, mais déjà ils étaient loués comme l’avenir du Rwanda.
L’endoctrinement était complet. Une génération a grandi non pas dans la haine ouverte, mais dans des euphémismes mis en musique. C’est ce qui a rendu l’idéologie durable et efficace. On peut censurer un livre. On peut emprisonner un journaliste. Mais comment faire taire une chanson déjà mémorisée par toute une population ?
Quand les chansons devinrent des sermons de haine
L’un des aspects les plus spirituellement pervers de l’endoctrinement musical rwandais sous le Pouvoir Hutu fut le mauvais usage du langage et des symboles théologiques. Dans l’hymne Rwanda Rwacu, la phrase « Je loue les Militants qui ont établi une République inébranlable » utilise le verbe kinyarwanda gusingiza — un terme profondément ancré dans la tradition religieuse et la révérence.
C’est le même mot que l’on emploie pour louer Dieu : Gusingiza Imana. Ce n’est pas un vocabulaire anodin. Dans la liturgie chrétienne, il signifie une adoration sacrée. Diriger ce langage sacré vers des militants politiques n’est pas seulement inapproprié — c’est sacrilège.
Dans la culture rwandaise, gusingiza est utilisé lors de moments d’honneur exceptionnel. Traditionnellement, il était réservé à ceux qui accomplissaient un acte extraordinaire bénéfique à la société — héros, bienfaiteurs ou sages. Celui qui est « gusingizwa » n’est pas seulement reconnu — il est exalté.
Dans la liturgie chrétienne, particulièrement chez les catholiques, gusingiza atteint son sommet dans des hymnes comme le Magnificat de Marie, dont le refrain dit : « Louons le Seigneur, car il a fait de grandes choses. » Les chrétiens croient aussi que anges et saints s’unissent au ciel pour louer Dieu. Entendre gusingiza, c’est entendre un chœur sacré. C’est un mot qui appartient aux temples, non aux tribunaux.
Et pourtant, dans l’hymne national, ce verbe sacré a été détourné pour glorifier les « militants » — les mêmes qui ont posé les bases de l’exclusion, de la persécution et des violences de masse. L’hymne ne se contentait pas de les reconnaître — il les élevait, les érigeant en équivalents moraux des saints, voire en vicaires de Dieu. Il ne suffisait pas que ces architectes de la haine soient craints ou obéis ; ils devaient être vénérés.
Ce qui rend cela encore plus accablant, c’est que presque toutes les religions organisées au Rwanda — catholique, protestante, voire certaines sectes pentecôtistes — ont participé à ce chœur de fausse sanctification. Les militants du PARMEHUTU, loin d’être condamnés depuis la chaire, étaient honorés dans un hymne national chanté dans les écoles, les églises et lors des fêtes nationales.
En réalité, ils recevaient une glorification liturgique collective autrefois réservée aux martyrs ou aux apôtres. Ils furent canonisés par le nationalisme et baptisés dans le refrain du génocide.
Cette équivalence blasphématoire élevait essentiellement les architectes du génocide au rang de saints. La classe militante qui organisa les massacres et institutionnalisa la discrimination ethnique n’était pas seulement remerciée — elle était glorifiée, voire canonisée.
La chanson créait une inversion morale : la vertu devenait vice, et le vice devenait vertu. Louer ceux qui ont déchiré le pays n’était pas seulement accepté ; c’était ritualisé par la répétition. Cela reflète ce que les théologiens appelleraient la « liturgie diabolique » — où les actes du mal sont revêtus des habits de la justice.
Le résultat fut une nation spirituellement anesthésiée au mal. Là où des chants de division étaient harmonisés comme des hymnes, et où le sacré était détourné au service de la ségrégation.
Parallèles historiques
L’utilisation de la musique comme outil de propagande par le Rwanda n’est pas unique. À travers l’histoire, les régimes totalitaires et les idéologies racistes ont utilisé la musique pour renforcer leur contrôle, déshumaniser leurs adversaires et normaliser la violence.
En Allemagne nazie : le Troisième Reich a commandé des chansons comme Die Fahne Hoch (Hissez le drapeau), connue sous le nom de Horst-Wessel-Lied, devenue un hymne nazi. Comme Rwanda Rwacu, elle transformait la loyauté politique en destinée spirituelle. La jeunesse hitlérienne apprenait des chants patriotiques glorifiant la suprématie aryenne et le Führer. La musique était utilisée dans les écoles, les rassemblements et les émissions pour conditionner les esprits.
Dans la Confédération américaine, des chansons comme Dixie idéalisaient la vie esclavagiste du Sud, effaçant l’inhumanité de l’esclavage derrière des mélodies joyeuses. Après la Guerre de Sécession, l’idéologie de la Cause Perdue s’est infiltrée dans des hymnes et des chants populaires défendant subtilement la suprématie blanche.
Pendant l’Apartheid en Afrique du Sud — les chants nationalistes afrikaners, souvent chantés en afrikaans, louaient les vertus de l’ascendance boer et le « droit divin » de gouverner. Ces chansons renforçaient l’idéologie de l’apartheid sous le couvert de la préservation culturelle.
La Serbie dans les années 1990 : la musique turbo-folk, largement promue par le régime de Slobodan Milošević, glorifiait le nationalisme serbe et contenait souvent des menaces voilées (ou ouvertes) contre les Bosniaques, les Croates et les Albanais. Les clips musicaux présentaient des images paramilitaires et reprenaient des slogans génocidaires.
Dans chacun de ces cas, la musique permettait à l’idéologie de contourner le jugement rationnel. Elle faisait de la haine un héritage. Le cas du Rwanda, cependant, est sans doute plus insidieux parce que toute la fondation de la première république y a été narrée par le chant. Contrairement à d’autres régimes où la propagande était un projet annexe, au Rwanda la musique était le sermon principal.
Rwanda Nziza comme libération musicale
Le passage de Rwanda Rwacu à Rwanda Nziza n’a pas été qu’un changement de paroles — ce fut un exorcisme politique, moral et psychologique.
Le nouvel hymne s’ouvre ainsi : « Rwanda, notre beau et cher pays / Paré de collines, de lacs et de volcans / Que la patrie soit toujours remplie de bonheur / Nous tous tes enfants : les Rwandais / Chantons ta gloire et proclamons tes hauts faits. »
Il n’y a aucune mention d’ethnie, aucune glorification des militants criminels, aucun triomphe d’un groupe sur un autre. Au contraire, c’est la terre elle-même — sa beauté, sa sérénité — qui devient l’image unificatrice. Là où Rwanda Rwacu chantait des Républiques « gagnées » par l’exclusion, Rwanda Nziza chante l’unité « née » de la réconciliation.
Les vers suivants insistent : « Tu as surmonté les épreuves / Qui pesaient lourdement sur toi / Et nous as apporté à nouveau la paix. »
C’est un contraste frappant. L’ancien hymne réclamait des louanges pour ceux qui ont créé divisions, discrimination, persécutions et génocide. Le nouvel hymne reconnaît la douleur, la perte et les difficultés — puis offre la guérison. Il ne prétend pas que la paix a toujours existé. Il admet qu’elle a dû être reconstruite.
La dernière strophe de Rwanda Nziza invoque les générations futures : « Nos vaillants ancêtres / Ont donné corps et âme / Aussi clairvoyants qu’ils étaient / Pour que tu deviennes un bon héritage / Même nous, vos enfants / Nous nous engageons à valoriser votre immense héritage. »
Ici, « vaillants ancêtres » n’est pas un euphémisme pour désigner des militants ou une ethnie spécifique. C’est un terme inclusif. Il ouvre le récit à tous ceux qui ont lutté pour la justice, la dignité et l’unité. Le nouvel hymne dignifie plutôt que déifie. Il invite à la réflexion plutôt qu’au ritualisme.
Fin des chansons de suprémacisme
La musique au Rwanda fut autrefois un outil d’endoctrinement, un vecteur de division. Les chansons sponsorisées par l’État des première et deuxième républiques utilisaient le rythme pour renforcer le racisme, et la mélodie pour rendre le meurtre noble.
Mais le Rwanda a changé de canal. Lorsque le pays adopta Rwanda Nziza le 1er janvier 2002, ce ne fut pas seulement la fin d’une chanson — ce fut la fin d’une époque. La bande-son de la suprématie fut réduite au silence. Et à sa place vint un chant de sincérité.
Aujourd’hui, la jeunesse rwandaise doit continuer à porter cette mélodie — non pas par une répétition aveugle, mais par une réflexion consciente. Elle doit se souvenir que la musique, comme le langage, peut bénir ou maudire, construire ou détruire.
Et qu’elle n’oublie jamais : le jour où la musique est morte au Rwanda fut le jour où une nouvelle nation, avec une mentalité différente, est née.
Pourtant, il ne suffit pas de dire que la musique a changé. Il faut dire : le rituel de la haine a été interrompu. Les saints de la suprématie ont été détrônés de leurs autels musicaux. Les chœurs de louanges nationalistes ont été dissous. La messe ne serait plus suivie de mélodies sanctifiant des meurtriers. Les enfants de la nation ne se lèveraient plus en classe pour louer des hommes qui avaient armé l’ethnicité.
C’est une profonde ironie — non, un scandale — que pendant près de quatre décennies, le rituel national le plus sacré du Rwanda ait été la canonisation musicale de criminels politiques. Pendant trente-neuf ans, les Rwandais ont chanté non pour élever leurs meilleurs anges, mais pour bercer leurs pires démons. Si cela n’est pas un parjure spirituel, qu’est-ce que c’est ?
Qu’il soit dit : lorsque le Rwanda a adopté Rwanda Nziza, il n’a pas simplement changé de couplets. Il a exorcisé un démon.
Et à ceux qui regardent en arrière avec nostalgie les « jours de gloire » de la première République, fredonnant ces vieilles chansons en privé, nous devons demander : est-ce vraiment du patriotisme que vous chantez ? Ou n’est-ce pas simplement de la haine en harmonie ?

AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!