Le document fut publié plus tard dans son livre de 1996 intitulé Rwandan Refugees in Bukavu : New Palestinians ? En tant que membre de la Congrégation des Pères Blancs, Dorlodot bénéficiait du type de crédibilité morale dont jouissaient de nombreux missionnaires catholiques en Afrique centrale.
Le prêtre a abusé de cette position en instrumentalisant son autorité pastorale pour produire un texte qui, sous des dehors de préoccupation humanitaire, s’avérait être une véritable leçon d’inversion morale, de tromperie politique et de négation du génocide.
Par une ambiguïté délibérée, une indignation sélective et des justifications à peine voilées des génocidaires, Dorlodot s’est fait la voix non pas des sans-voix, mais des architectes et bénéficiaires d’un génocide qui venait de coûter la vie à plus d’un million de personnes en moins de cent jours.
Ce texte constitue une analyse approfondie de sa rhétorique, un dévoilement de ses sympathies, ainsi qu’un appel à la responsabilité des institutions — tant laïques qu’ecclésiastiques — qui continuent de tolérer des théologies de l’impunité. Si l’hypocrisie était un sacrement, Dorlodot en serait le plus fervent célébrant.
Introduction idéologique
Le texte du Père Dorlodot s’ouvre sur un ton mélodramatique : « La population hutue déferle sur Goma le 14 juillet dans un silence assourdissant. Un peuple marche en silence pour échapper à la mort. » Une telle stylisation poétique pourrait être pardonnable si elle n’était pas mobilisée pour établir une équivalence morale entre les bourreaux et leurs victimes.
Nulle part, dans son introduction, Dorlodot n’explique clairement pourquoi ces réfugiés fuyaient : non pas à cause d’une « mort » abstraite, mais parce qu’ils redoutaient la justice. Ils ne fuyaient pas un ennemi génocidaire, mais la reddition de comptes.
Il s’agit là d’une éradication du contexte si flagrante qu’elle frôle la faute doctrinale ou théologique. Gaudium et Spes, la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps promulguée par le Concile Vatican II, nous rappelle que « tout acte de génocide et toute politique de discrimination raciale sont des crimes contre Dieu et contre l’humanité, et doivent être condamnés comme tels » (GS, n° 27).
Et pourtant, ce prêtre, le Père Dorlodot, bascule aussitôt dans la manipulation émotionnelle. Il présente la fuite des réfugiés comme une souffrance noble : « Mieux vaut mourir du choléra au Zaïre que d’être massacré au Rwanda. » Mais qui, précisément, était massacré au Rwanda après le 4 juillet, lorsque le FPR prit Kigali et mit fin aux tueries ? Il ne s’agit pas ici d’empathie, mais d’obscurcissement volontaire.
Un prêtre avec les prête-plume du Hutu Power
Dès les premières pages de son texte, le Père Dorlodot affirme citer un père endeuillé : « Nous avons été trahis, notre pays a été livré à une minorité. Il y a un embargo contre nous, mais pas contre eux ! » Mais ce père prétendument rwandais ne parle pas de son enfant disparu ; il exprime des doléances politiques qui reprennent, de manière troublante, les éléments de langage du régime génocidaire défait.
Le Père Dorlodot ne se contente pas de relayer ces paroles ; il les adopte, concluant : « Ils ressentent cette trahison comme une profonde injustice. » Le prêtre belge se montre particulièrement habile à manipuler le langage pour laver le sang des mains des massacreurs.
En recourant à des sources anonymes et invérifiables, le Père Dorlodot ne devient pas un témoin de la souffrance, mais un ventriloque de l’idéologie. Le génocide contre les Tutsi, à ce stade de son récit, n’a plus de poids moral distinct. Les auteurs du génocide sont présentés comme des victimes, les libérateurs comme des agresseurs, et lui, le prêtre, comme un défenseur d’une machine politique dénuée de tout remords.
L’un des procédés les plus insidieux de l’arsenal rhétorique du Père Dorlodot réside dans sa manière d’user de mots tels que « peuple », « réfugiés », ou « victimes » comme des armes. Jamais il n’utilise le mot « Hutu » pour désigner les réfugiés fuyant le Rwanda. Il universalise plutôt leur identité sous les termes vagues de « population » ou « peuple », suggérant une neutralité morale. En revanche, lorsque le terme « Tutsi » apparaît, c’est toujours dans un contexte évoquant le pouvoir, la domination ou la manipulation.
Ce tour de passe-passe linguistique rend les Tutsi invisibles en tant que victimes et les Hutu anonymes en tant que bourreaux. Le Père Dorlodot efface les responsabilités en recourant à des termes génériques, absout les coupables en diluant leur identité.
Ce n’est pas un hasard. Comme l’a souligné Hannah Arendt, le langage n’est jamais neutre en période d’atrocités de masse. Le génocide dépend non seulement des armes, mais aussi des mots qui déshumanisent, obscurcissent et sanitatisent.
Se moquer des cadavres dans le lac Victoria
Peut-être que le passage le plus macabre de tout le document est la spéculation de Dorlodot sur le sort de « 400 000 à 500 000 » personnes disparues, y compris celles prétendument noyées et entraînées dans le lac Victoria. Il écrit :
« Il n’y a aucune trace de ces réfugiés. Ne seraient-ils pas les dizaines de milliers de corps échoués dans le lac Victoria ? »
Ce n’est pas une question, c’est un mépris. Il ignore le fait historique que les corps retrouvés dans le lac Victoria étaient ceux des victimes tutsi du génocide, dont beaucoup avaient été jetés dans la rivière Nyabarongo et ses affluents, accomplissant ainsi la prophétie apocalyptique lancée par Léon Mugesera le 22 novembre 1992 — que les Tutsi seraient envoyés en Abyssinie par la rivière.
Ce prêtre belge ne mentionne rien de tout cela. Il ne parle pas du fait que les tueurs utilisaient systématiquement les rivières pour massacrer les victimes et se débarrasser des corps. À la place, il insinue que ces cadavres flottants seraient des Hutus tués par le FPR.
Cela va au-delà de la négation du génocide ; c’est une profanation. Il ne se contente pas de réécrire le génocide — il recycle ses images à des fins de propagande.
Le récit du double génocide
Après avoir préparé émotionnellement ses lecteurs, Dorlodot introduit sa thèse centrale : « Il y a deux génocides au Rwanda. » L’un commis par « certaines autorités, l’armée et les Interahamwe », et l’autre par le FPR.
Cette stratégie rhétorique est profondément mensongère et intrinsèquement corrompue. Ce prêtre catholique reconnaît le génocide uniquement pour le relativiser. Le premier génocide est décrit avec des réserves : « certaines autorités », « Interahamwe », comme s’il s’agissait d’un événement marginal.
Puis, comme un prestidigitateur qui fait passer une carte d’une main à l’autre, il détourne l’attention vers le FPR, affirmant sans preuve : « Il n’y a aucune nouvelle de 400 000 à 500 000 déplacés dans la préfecture de Byumba… Ne seraient-ils pas les dizaines de milliers de corps échoués dans le lac Victoria ? »
C’est à ce moment que Dorlodot abandonne même la prétention à la vérité. Les déplacés de Byumba n’étaient pas des entités statiques ; ils se sont déplacés vers le sud dès 1992, beaucoup ayant fini en Tanzanie ou à Goma. L’affirmation concernant les corps dans le lac Victoria n’est pas seulement infondée, elle s’aligne de manière absurde avec des théories du complot utilisées par les négationnistes du génocide.
Il convient de rappeler le jugement du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), mandaté par l’ONU, dans l’affaire Akayesu, qui a explicitement rejeté la thèse du double génocide, affirmant que le génocide était « dirigé exclusivement contre les Tutsi en tant que tels ».
L’insistance du Père Dorlodot à attribuer au FPR la commission d’un génocide parallèle ne naît pas des faits, mais d’une inversion théologique. Dans son récit, les agents du salut sont coupables, et les agents de l’anéantissement sont incompris.
Le prêtre est un maître dans l’art de réécrire le langage moral, sinon juridique, uniquement pour semer la confusion chez les lecteurs. Il suffit de lire sa jonglerie entre génocide et crime.
Le Père Dorlodot va plus loin : « Plus d’un million de réfugiés se sont déversés à Goma et dans ses environs parce qu’ils étaient paniqués par le FPR… C’est du génocide ! Dans le sud-ouest… c’est le gouvernement intérimaire et Radio Mille Collines qui ont incité la population à fuir… C’est un crime ! »
On remarque l’écart dans le langage moral. Les actions du FPR, qui auraient suscité la panique (sans aucune preuve de ciblage des civils), sont qualifiées de génocide. Pendant ce temps, les architectes des massacres de masse, les propagandistes de l’extermination ethnique, sont réduits à la qualification de simple « crime ». Ce n’est pas une question de sémantique ; c’est un échec moral profond.
Dans la tradition éthique chrétienne, la justice n’ignore pas le contexte. La théorie de la guerre juste de saint Augustin, souvent citée en théologie morale catholique, met l’accent sur le jus ad bellum (le droit de faire la guerre) et le jus in bello (la conduite juste en temps de guerre). Le FPR a arrêté un génocide. Le gouvernement génocidaire n’a pas incité la panique ; il a orchestré l’extermination.
Dorlodot poursuit avec le majoritarisme en tant que théologie : « Bien qu’une solution politique négociée soit nécessaire — une solution qui respecte les droits respectifs des Hutu (85 %) et des Tutsi (15 %)… »
Cette formulation révèle une logique glaçante. En ancrant la légitimité dans la majorité démographique, Dorlodot légitime l’idéologie même qui a rendu le génocide pensable. Le clivage « 85 % contre 15 % » était une pierre angulaire de la propagande du Hutu Power : une pseudo-justification démocratique pour l’exclusion ethnique, la dépossession, et, in fine, le massacre de masse.
Mais son affirmation en juillet 1994 selon laquelle 85 % de la population serait encore hutu et 15 % tutsi révèle quelque chose de plus grotesque. En substance, aucun Tutsi n’aurait été tué. Comme si le million de morts n’existait pas. Comme si le génocide n’avait pas décimé des familles, des villages, toute une intelligentsia. Quelle sorte d’arithmétique compte les morts et les trouve encore vivants ?
Le pape Jean-Paul II, dans Evangelium Vitae, rappelait au monde que « le consensus de la majorité ne crée pas la vérité morale ». Mais pour le Père Dorlodot, le droit moral découle des chiffres. Il est connu que les génocidaires au Rwanda ont commis leurs crimes pour préserver la réalité d’une majorité démographique absolue.
Dans son schéma, les Tutsi sont à jamais des minorités, des élites suspectes dont la quête d’égalité constitue une menace existentielle. On peut se demander : appliquerait-il la même logique aux premiers chrétiens dans la Rome païenne ? Ou aux catholiques en Angleterre protestante ?
Des prophéties dangereuses qui s’auto-réalisent
Dans son document, le Père Dorlodot prédit que « la guerre reprendra dans un avenir… pas si lointain ». Ce n’était pas une prédiction, mais un plan. En légitimant les griefs des génocidaires, Dorlodot alimente l’idéologie des guerres futures. Sa rhétorique se retrouve dans les discours de groupes comme les FDLR, qui sont issus des mêmes camps de réfugiés qu’il a idéalisés.
Ces mêmes idées sous-tendent les discours génocidaires qui circulent aujourd’hui dans l’est de la RDC, où des extrémistes hutus accusent les Banyamulenge et d’autres Tutsi congolais de faire partie d’un complot rwandais. La guerre qu’il avait annoncée est celle qu’il a contribué à intellectualiser.
Entrons maintenant dans cet interlude satirique, intitulé « Une confession à Bukavu ». Imaginons un instant que Dorlodot soit de retour à Bukavu, non pas pour écrire des éditoriaux, mais assis dans un confessionnal. Un survivant entre :
Survivant : Pardonnez-moi, Père, car j’ai tout perdu. Mes parents, mes frères et sœurs, mes voisins — tous tués parce que nous étions Tutsi.
Père Dorlodot : Hmm. Êtes-vous sûr que ce n’était pas juste un malentendu politique ? Peut-être que les deux camps étaient extrêmes. Peut-être que vous l’avez imaginé.
Survivant : J’avais neuf ans. Je les ai vus être découpés à la machette.
Père Dorlodot : Ne soyons pas émotifs. Le véritable génocide aurait peut-être eu lieu plus tard, à Byumba, par le FPR.
L’absurdité s’écrit d’elle-même. C’est la voix du clerc, non pas en berger, mais en maître manipulateur.
Alors que Dorlodot insiste sur un génocide fictif à double face, des chercheurs et témoins réfléchis ont maintes fois démystifié ce récit. Scott Straus, dans The Order of Genocide, souligne que le massacre des Tutsi n’était pas un chaos spontané, mais une campagne planifiée et organisée impliquant des responsables locaux, l’armée et des leaders communautaires.
Linda Melvern a démontré comment Radio Mille Collines et le régime Habyarimana ont créé un prétexte pour le massacre de masse.
Le général Roméo Dallaire a écrit dans Shake Hands with the Devil que ce dont il a été témoin au Rwanda était une extermination préméditée. Il n’y a aucune ambiguïté dans les collines ensanglantées du Rwanda. Seulement dans la mémoire sélective du Père Dorlodot.
Le Vatican et le problème du silence
La question plus large demeure : qu’a dit le Vatican à propos de prêtres comme le Père Dorlodot, dont les écrits contredisent directement les enseignements de l’Église sur la dignité humaine, la réconciliation et la vérité ? La réponse courte : presque rien.
Gaudium et Spes nous rappelle à nouveau : « Chacun doit considérer tout prochain sans exception comme un autre soi-même, en tenant compte avant tout de sa vie et des moyens nécessaires pour la vivre dignement » (GS, n° 27). Dorlodot ne l’a pas fait. Il a vu les Tutsi non comme des prochains, mais comme des intrus.
Il n’y a eu ni censure publique, ni correction, ni admonestation doctrinale de la part des autorités ecclésiastiques. Ainsi, sa théologie du déni continue de circuler parmi ceux qui cherchent l’absolution sans repentir.
Le Vatican a présenté des excuses générales pour « le rôle de certains membres de l’Église » dans la tragédie rwandaise, mais il n’a jamais nommé de noms, jamais clarifié les doctrines violées, ni donné l’exemple en sanctionnant les complices. Le Père Dorlodot reste sans réprimande. Pire encore, son livre demeure accessible et est cité dans des cercles révisionnistes.
De toute évidence, il ne s’agit pas d’un simple oubli. C’est une complicité avec l’impunité.
Lorsqu’un prêtre propage la haine, protège par ses mots des massacreurs, et réécrit l’histoire pour ressusciter l’idéologie du Hutu Power, l’Église ne peut pas se contenter d’appeler à la réconciliation et passer à autre chose. Elle doit faire ce que le droit canon exige : condamner, discipliner et corriger publiquement.
Tant que les positions de Dorlodot ne seront pas condamnées depuis la chaire, sa théologie du massacre continuera de résonner à travers de nouveaux génocides. Tant que son nom ne sera pas rayé de la liste des témoins de l’Église et inscrit à l’index de la disgrâce, le Vatican restera un partenaire silencieux dans la profanation de la mémoire.
L’héritage dangereux de la complicité cléricale
Le Père Philippe de Dorlodot a écrit son document quelques jours seulement après la fin du génocide, non pas en pleurant ou en prophète, mais en propagandiste de la haine. Son texte est le symptôme d’une maladie sans fond : le résidu colonial dans la pensée religieuse occidentale qui perçoit l’Afrique à travers le prisme du tribalisme, de la hiérarchie et d’équilibres inventés.
Il est temps que les institutions religieuses, en particulier l’Église catholique, affrontent ces héritages de front. Dorlodot doit être nommé, non pas comme un clerc égaré, mais comme un facilitateur du mal, vêtu de sa soutane et de sa croix. Sa théologie est une trahison du Christ, qui a dit : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice » (Matt. 5:6). Pas des mensonges. Pas d’obscurcissements. Pas de double génocide. Et certainement pas des pleurs avec les tueurs.
Le Père Dorlodot est-il vraiment prêtre ? Est-il réellement catholique ou simplement un impie en soutane ?
Tant que des hommes comme Dorlodot seront considérés comme des humanitaires et non comme des idéologues, l’histoire continuera d’être écrite à l’encre de l’impunité et aux larmes des morts non enterrés.
Que le Vatican n’offre pas seulement des excuses, mais qu’il se repente. Qu’il ne se contente pas de prier, mais qu’il purge. Qu’il nomme le péché, nomme le pécheur, et purifie l’autel.
Car — si l’Église ne peut pas dire la vérité sur le génocide, elle risque de prêcher un évangile qui ne sera plus une bonne nouvelle pour les victimes du monde.
En réalité, si l’Église ne peut pas dire la vérité sur le génocide, elle risque de prêcher un évangile qui ne sera plus une bonne nouvelle pour les victimes du monde.
Que le Vatican n’offre pas seulement des excuses, mais qu’il se repente. Qu’il ne se contente pas de prier, mais qu’il purge. Qu’il nomme le péché, nomme le pécheur, et purifie l’autel.
Puisqu’une Église qui sent l’encens mais pas le sang ne conduit plus ses fidèles au salut — elle se contente de réarranger les bancs de l’Arche pendant que le déluge monte.
Au lendemain de l’Holocauste, le monde a dit : « Plus jamais ça. » Et ce ne fut pas qu’une formule rhétorique. L’horreur du génocide nazi a engendré toute une architecture juridique et morale : la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, suivie du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD), et plus tard du Statut de Rome qui créa la Cour pénale internationale.
Dans le domaine du droit laïc, l’humanité a évolué. Elle a codifié l’idée que certains crimes sont si abominables qu’ils heurtent la conscience de l’humanité — et doivent être punis en conséquence.
À peu près à la même époque, l’Église catholique vivait sa propre transformation à travers le Concile Vatican II. Elle a produit des documents pastoraux d’envergure comme Gaudium et Spes, qui reconnaissait les défis moraux de la modernité — notamment la guerre, l’injustice et, oui, le génocide.
On aurait pu espérer que la plus grande et la plus ancienne institution chrétienne du monde, ayant été témoin des fours d’Auschwitz et des machettes du Rwanda, grave cette leçon non seulement dans ses sermons mais aussi dans la pierre — dans le droit canon lui-même.
Hélas, cet espoir était prématuré. Car à ce jour, plus de soixante-quinze ans après l’Holocauste et trente ans après le génocide contre les Tutsi, le droit canon de l’Église catholique demeure curieusement muet sur le génocide.
L’Église a des prescriptions pour les clercs qui tentent de se marier, pour ceux qui ordonnent des femmes, pour les impropriétés liturgiques et oui — même pour l’hérésie. Mais le génocide ? Étrangement absent. On peut se demander quel genre de processus bureaucratique permet à la loi divine d’être plus vigilante envers la chorégraphie liturgique qu’envers les crimes contre l’humanité.
Ce silence béant n’est pas académique. Il a des conséquences réelles et tragiques. Prenons le cas du père Athanase Seromba, prêtre rwandais condamné par le TPIR pour complicité dans le massacre de plus de 2 000 Tutsi, en faisant dynamiter son église paroissiale alors que des civils s’y cachaient. Le père Seromba a été condamné à la prison à vie pour génocide.
Et pourtant, malgré sa condamnation, l’Église catholique ne l’a pas excommunié. Il reste prêtre. Il continue de dire la messe. En prison. Pour ses compagnons génocidaires. Avec tous les ornements liturgiques. On imagine l’homélie : « Heureux les impitoyables, car leur confesseur les absoudra de toute façon. »
Puis il y a des hommes comme Philippe de Dorlodot et Serge Desouter, tous deux prêtres belges — qui n’étaient pas de simples spectateurs passifs, mais de véritables idéologues actifs du génocide et du négationnisme. Dorlodot, comme nous l’avons vu, écrivait comme s’il était un porte-parole du mouvement Hutu Power.
Le père Desouter a également prêté sa soutane à des récits qui minimisent ou blanchissent le génocide. Aucun des deux n’a été défroqué ni admonesté. Aucun n’a fait l’objet d’une enquête doctrinale. Apparemment, le Catéchisme ne contient pas de note de bas de page pour « porter de faux témoignages au nom des massacreurs. »
Comment expliquer cette paralysie morale ? Peut-être réside-t-elle dans l’inertie bureaucratique d’une Église plus à l’aise pour surveiller les péchés personnels que les péchés politiques. Ou peut-être existe-t-il un angle mort théologique — une supposition que le génocide est si évidemment mauvais qu’il ne nécessite pas de mention spécifique.
Mais l’histoire montre le contraire : lorsque l’Église reste vague, certains de ses membres du clergé deviennent très précis dans leurs sympathies envers les agents de l’extermination.
Malgré ses manquements, Gaudium et Spes proclamait à juste titre que « tout ce qui s’oppose à la vie elle-même… tout ce qui insulte la dignité humaine… toutes ces choses et d’autres semblables sont en effet des infamies » (GS 27).
Mais si l’infamie ne fait pas l’objet d’une action institutionnelle, elle devient indulgence. Une Église qui ne peut pas dénoncer formellement le génocide dans son propre système juridique risque de bénir le silence de Caïn alors que le sang d’Abel crie depuis la terre.
Il est donc peut-être temps — non pas pour une nouvelle encyclique, mais pour une réforme. Que le droit canon reconnaisse le génocide comme un crime contre l’âme autant que contre le corps. Théologiquement — et logiquement — le génocide est une offense contre la création divine. Qu’il ouvre la porte non seulement à la pénitence, mais aussi à la pénalité. Qu’il affirme que ceux qui bénissent les tueurs ne peuvent pas aussi bénir le pain et le vin.

AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!