Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), gangrenées par l’indiscipline chronique, la corruption endémique et les allégeances tribales, se sont muées en une constellation opaque de factions armées, tantôt supplétives de groupes criminels, tantôt complices silencieux de forfaits abominables.
A cette armée officielle en pleine décomposition s’ajoutent des milices d’obédience gouvernementale, les Wazalendo, légalisées dans une précipitation coupable, échappant à tout contrôle et agissant en toute impunité, dans un climat de terreur normalisée.
Cette prolifération d’acteurs violents, tous placés sous le sceau d’une légitimité étatique dévoyée, révèle une dilution tragique de la responsabilité tant nationale qu’internationale. En tolérant, voire en soutenant, un État qui pactise avec les forces les plus rétrogrades jusqu’à entretenir des alliances funestes avec les FDLR et d’autres entités aux idéologies génocidaires, la communauté internationale abdique ses principes et participe, par son silence ou sa passivité, à la pérennisation d’un ordre de violence institutionnalisée.
Quand le glaive se retourne contre le peuple, ce n’est plus seulement l’État qui vacille, mais l’idée même de justice universelle qui s’effondre sous le poids de ses renoncements.
Au terme d’un mois de janvier crépusculaire, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a livré un constat d’une gravité sidérante : lorsque les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) se sont repliées de Goma, la chaîne de commandement s’est effondrée « comme un château de cartes », livrant la cité, ses alentours et ses habitants à la rapacité de militaires en déroute, de supplétifs wazalendo et d’une cohorte de groupes armés agissant sous onction gouvernementale.
Exécutions sommaires, viols, pillage méthodique : la liste macabre dressée par le rapport onusien instaure un nouvel étalon de l’ignominie, même dans une région où l’horreur est depuis longtemps banalisée.
Or, cet effondrement n’est pas l’exception ; il est la manifestation la plus récente d’une dérive doctrinale où l’institution militaire, gangrenée par la corruption, l’impunité et le clientélisme, est devenue sa propre caricature. Bien avant Goma, Kavumu, Katana, Kabare, Bukavu et ses environs ; plusieurs enquêtes confirmaient déjà que les FARDC constituaient, pour le citoyen congolais, la première source d’insécurité et non le rempart espéré contre les rebellions : lorsque l’armée se mue en prédatrice, la notion même de sécurité collective se dissout.
A ce noyau délétère s’agrège le phénomène Wazalendo : des milices d’autodéfense que Kinshasa, par un coup de baguette législatif, a légalisées et financées, sans mécanisme de vetting ni chaîne hiérarchique claire. Leur incorporation hâtive a introduit, au sein du théâtre congolais, des logiques de guerre privée où l’allégeance tribale prime sur l’obéissance républicaine. Le résultat est un champ de bataille atomisé ; un patchwork d’acteurs armés dont l’État instrumentalise la violence sans pouvoir ensuite la contenir.
La fragilité du dispositif congolais se lit aussi à l’aune de ses alliances toxiques. L’accointance persistante avec les FDLR, force par excellence du génocide contre les tutsi, a été rappelée en toutes lettres par la résolution 2773 du Conseil de sécurité : elle intime à Kinshasa de cesser tout soutien à cette milice hutu accusée d’exactions contre les civils rwandophones et Tutsi.
En persistant dans cette collusion, le gouvernement congolais outrepasse non seulement ses obligations internationales, mais réactive les fantômes de 1994, transformant l’Est du pays en palimpseste d’une tragédie régionale jamais exorcisée.
Comme si ce ménage infernal ne suffisait pas, la présence désormais assumée de troupes burundaises, dont certaines franges ont épousé une rhétorique de purification ethnique, ajoute une strate supplémentaire à l’entropie sécuritaire.
Les combats meurtriers de Rugezi, où dix sept soldats burundais ont péri, illustrent combien l’exportation des conflictualités burundaises vient se greffer à celles du Kivu, créant un continuum de violence transfrontalière qui échappe à tout contrôle central.
Cette conjonction de facteurs compose un cocktail explosif : armée effondrée, mercenarisation des milices locales, alliances cyniques avec des acteurs génocidaires et intervention opportuniste de forces étrangères. Au cœur de cette centrifugeuse, la population civile demeure un bouclier humain ou pire, une monnaie d’échange. Il est donc illusoire de croire à une quelconque stabilisation si l’architecture d’impunité persiste.
Face à cet état de non droit, l’ONU ne peut se contenter de l’archivage des atrocités. Il lui incombe d’activer sans délai le chapitre VII de la Charte pour imposer un embargo sur les armes et des sanctions ciblées contre les officiers FARDC et les commanditaires politiques identifiés. Mieux, de saisir la Cour pénale internationale afin d’ouvrir des enquêtes pour crimes contre l’humanité, incluant les violences sexuelles employées comme arme de guerre. Mais aussi de délégitimer la reconnaissance officielle des Wazalendo, en conditionnant toute aide militaire ou budgétaire au démantèlement effectif de ces factions.
En dernier ressort, c’est la crédibilité même du multilatéralisme qui se joue sur les rives du Kivu : un système international qui tolèrerait l’alliance incestueuse entre un État membre et des groupes génocidaires signerait son propre désaveu moral. Le silence, ici, n’est pas neutralité ; il est complicité.
Qu’on ne s’y trompe pas : le drame de l’Est n’est pas la dérive ponctuelle d’une armée prise de panique ; il est la manifestation d’une architecture de violence institutionnalisée que le temps, loin d’éroder, a consolidée. L’heure est venue de rompre le cercle vicieux de l’impunité : à défaut, l’histoire retiendra que la communauté internationale aura, une nouvelle fois, préféré la rhétorique des communiqués à la rigueur du droit.

AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!