La RTNC est une chaîne publique. Elle est financée, régulée et politiquement alignée sur le gouvernement. Sa vocation n’est pas le divertissement, mais l’autorité. Lorsque le porte-parole de l’armée nationale s’exprime sur la RTNC, il ne le fait pas en tant que citoyen privé, ni analyste, mais comme porte-voix institutionnel du pouvoir d’État.
Ce qui s’est déroulé n’était donc pas l’opinion d’un citoyen privé. Ce n’était pas un débat. C’était un discours prescriptif, prononcé calmement, sans interruption, sans contestation et sans encadrement correctif.
Le général de division Ekenge a déclaré publiquement : « Il faut être très prudent lorsqu’on épouse une femme tutsie… elle peut agir avec perfidie en faisant venir son cousin dans le foyer pour avoir des enfants avec lui au lieu de son mari… et elle vous convaincra que la race tutsie est supérieure… Ubwenge… Ils sont capables de tout… »
Chaque clause de cette déclaration a son importance. Chaque mot porte un poids historique. Cette déclaration :
Identifie les femmes tutsies comme un collectif, et non comme des individus ; Leur attribue la tromperie sexuelle, la conspiration biologique et une idéologie raciale ; Présente ces accusations comme des faits connus, et non comme des allégations ; Le général conclut par l’affirmation générale : « Ils sont capables de tout. »
Dans le vocabulaire de la violence de masse, il ne s’agit pas simplement de discours de haine. C’est une déshumanisation préparatoire. Il mobilise l’animosité. Il supprime les frontières morales en suggérant une criminalité illimitée inhérente à un groupe. Le droit pénal international reconnaît ce type de langage. L’histoire aussi.
Kangura comme modèle pour les FARDC
À Kinshasa, le tristement célèbre Kangura n’est pas de l’histoire, c’est un modèle à suivre. Quiconque a lu Kangura ne perçoit pas le discours d’Ekenge comme une parole inédite. On l’entend comme une résurgence.
En mai 1992, Kangura n°36 publiait l’avertissement suivant à l’attention des Tutsis : « La guerre que vous avez menée aura, pour vous-mêmes et pour les Hutus que vous avez conquis, de graves conséquences. Allez-en en enfer avec eux ou en Abyssinie, nous ne nous en occuperons pas. »
C’était déjà un langage exterminatoire. Il présentait la violence comme un destin et l’expulsion comme une solution. En novembre de la même année, Leon Mugesera reprenait ce que Kangura avait dit six mois plus tôt : les Tutsis seraient envoyés en Abyssinie par les fleuves.
Le même numéro s’adressait ensuite aux hommes hutus mariés à des femmes tutsies : « Que ceux qui ont des femmes tutsies divorcent tant qu’il est encore temps ; sinon, vous subirez un destin défavorable à cause de ces femmes que vous gardez » Le message était clair : les femmes tutsies sont une menace à l’intérieur du foyer.
En juillet 1993, Kangura n°46 élargit le récit de la conspiration : « Personne n’a oublié comment les Tutsis ont falsifié leur identité afin d’occuper des postes réservés aux Hutus dans le cadre de l’équilibre ethnique avec l’exécutif, au parlement, au niveau judiciaire, dans les ambassades, en tant que hauts fonctionnaires de l’État… »
Puis vint le passage qui reflète presque mot pour mot Ekenge : « Entre-temps, les femmes tutsies se sont mariées à des Hutus mais veillaient à ne pas avoir d’enfants avec leurs maris hutus et, lorsque des enfants naissaient de ces unions, ces enfants devenaient très engagés dans cette lutte afin de restituer le pouvoir aux Tutsis. C’est à cause de cette infiltration des Tutsis au sein de la société que le pays n’a plus de secrets et qu’il est facilement envahi… »
Ce n’est pas un discours. C’est un credo : le mariage est perçu comme une infiltration. Les femmes tutsies sont des armes biologiques, tandis que la reproduction devient une guerre politique.
La similitude entre Kangura et la RTNC n’est pas thématique. Elle est doctrinale. Les accusations se correspondent. Les mêmes obsessions et manies. La même paranoïa genrée. La même construction des femmes comme instruments d’anéantissement collectif.
Les seules différences sont le temps, la géographie, l’accent et le moyen de communication. Hassan Ngeze au Rwanda, 1992–1993. Le général de division Sylvain Ekenge en RDC, décembre 2025. Hassan Ngeze diffusait cette doctrine par le biais de l’imprimé. Le général Ekenge l’a diffusée par la télévision d’État. Le média a évolué. Le crime, non.
L’incitation genrée est centrale
L’idéologie génocidaire ne commence pas avec les soldats. Elle commence par cibler les femmes, parce que les femmes sont perçues comme les vecteurs de la continuité : lignées, culture, mémoire et générations futures.
Cibler les femmes n’est jamais accidentel dans la propagande génocidaire. C’est stratégique. Les paroles d’Ekenge accomplissent exactement cela. Elles déclarent qu’une catégorie entière de femmes est indigne de confiance dès la naissance. Elles invitent à surveiller les mariages. Elles légitiment la suspicion comme patriotisme. Elles transforment la vie privée en un théâtre de guerre ethnique.
En présentant les femmes tutsies comme sexuellement perfides ou peu fiables, racialement manipulatrices et reproductivement dangereuses, le discours venimeux d’Ekenge remplit plusieurs fonctions simultanées :
Il légitime la suspicion dans les espaces intimes : le foyer, le mariage, la chambre à coucher ; La rhétorique prépare la violence sexuelle en présentant les femmes tutsies comme des trompeuses méritant un contrôle particulier ; Il brise les familles en transformant les conjoints en ennemis potentiels, voire permanents ; Enfin, il racialise la reproduction, faisant des enfants des objets de terreur.
Le discours d’Ekenge attaque : la cohésion familiale, la confiance sociale, l’autonomie corporelle et le droit d’exister sans suspicion collective. Ce type d’incitation prépare simultanément plusieurs crimes : ostracisme, expulsion, violences sexuelles, séparations forcées et, ultimement, destruction physique.
C’est pourquoi les propos d’Ekenge sont si dangereux. Ils ne se contentent pas d’insulter. Ils reconfigurent les relations sociales.
Le droit pénal international reconnaît depuis longtemps ce schéma. Le TPIR n’a pas seulement poursuivi des assassinats ; il a poursuivi des discours qui préparaient les esprits, en particulier lorsqu’ils étaient tenus par des figures d’autorité.
La jurisprudence internationale, du TPIR à la doctrine contemporaine sur les crimes de genre, a établi que la propagande ethnique genrée est un signe précoce et avertisseur de génocide, et non un simple effet secondaire.
Le silence comme autorisation
Dans les heures et les jours qui ont suivi, de nombreux observateurs raisonnables ont attendu une réaction immédiate du président Félix Tshisekedi, commandant en chef des FARDC. Au minimum, l’arrestation et la poursuite judiciaire. Une réprobation claire émanant de la plus haute autorité de l’État.
Au lieu de cela, il y eut le silence. En droit international comme dans la réalité politique, le silence du commandant en chef après une telle intervention n’est pas neutre. Il est interprétatif. Il signale la tolérance, l’approbation ou l’aval stratégique. Lorsque le porte-parole de l’armée parle à la radio et à la télévision nationale et que le chef de l’État ne dit rien, le message aux rangs est clair : ce discours est dans les limites permises.
Implicitement, Ekenge a dit ce que son commandant suprême ne pouvait pas, ou n’avait pas besoin, de dire lui-même. Le silence du président Tshisekedi est politique, et non procédural. Ekenge n’a pas chuchoté. Il était en direct à la télévision, sûr de lui. Le président n’a pas manqué le sens de la virulence. Il l’a laissée passer.
Ce silence du commandant suprême communique : d’abord, aux soldats congolais et aux milices soutenues par le gouvernement, que ce type de pensée n’est pas seulement toléré mais accepté ; ensuite, aux citoyens ordinaires, que la protection est sélective. Aux victimes, le message est clair : elles sont seules.
Dans un pays au long passé de massacres ethniques, ce silence n’est pas anodin. C’est une gouvernance par abdication. Il indique que la persécution peut se poursuivre sans responsabilité.
La normalisation de l’impensable
Peut-être l’aspect le plus glaçant de cet épisode est la manière dont il a été traité avec une banalité déconcertante. Où était l’encadrement d’urgence ? Où étaient les alertes en première page ? Où était le contexte historique ?
Les médias internationaux ont largement traité ce discours comme une « remarque controversée » de plus, dans un conflit déjà « complexe ». C’est ainsi que le langage génocidaire se blanchit, par la normalisation. Quand l’incitation est rapportée sans urgence, elle apprend au public que ce type de propos est routinier. Elle en dépouille la fonction d’avertissement. Elle forme l’indifférence. Le silence des médias n’est pas neutre. Il est préparatoire.
Il y eut des condamnations diplomatiques, mais sans conséquences. Le 28 décembre, le ministre belge des Affaires étrangères, Maxime Prévot, écrivait sur X : « Extrêmement choqué par les propos tenus aujourd’hui par le porte-parole de l’armée congolaise, le général Ekenge, visant la communauté tutsie. Cela est absolument indigne de la part d’un représentant officiel. Je les condamne avec la plus grande fermeté. Tout discours de haine doit être rejeté en toutes circonstances. La cohésion nationale ne peut se construire que dans un esprit d’inclusion de toutes les communautés. »
Les propos de Prévot, bien que paraissant fermes, n’exigent rien de substantiel. Aucun appel à l’intervention de Tshisekedi, aucune demande de poursuites, aucun recours au droit international. La Belgique, dont les politiques coloniales ont façonné les hiérarchies ethniques des Grands Lacs, démontre une abdication morale face à une incitation diffusée en direct.
Human Rights Watch, Amnesty International et d’autres acteurs des droits humains se limitent à la documentation rétrospective, incapables ou peu disposés à agir contre une incitation en direct et diffusée.
Ils documentent habilement les crimes graves. Mais lorsque l’incitation est en direct, indubitable et diffusée à l’échelle nationale, ils se taisent souvent. La question doit être posée : l’incitation ne mérite-t-elle d’être condamnée que lorsqu’elle a réussi ?
Ce schéma n’est pas une négligence ; c’est une défaillance structurelle du système international des droits humains, qui privilégie le reportage sûr à l’intervention immédiate, la prudence diplomatique à la protection de la vie. Ils rédigent des rapports après coup. Ils profitent du confort du retard.
Conseil de sécurité de l’ONU et autres mis en garde
Le système international, Conseil de sécurité de l’ONU, CPI, UA, SADC, CAE, est mis en garde. Le schéma est historiquement familier : les paroles qui précèdent l’atrocité sont ignorées, banalisées ou traitées comme de la politique courante. Le silence devient la politique par défaut. Ne pas agir maintenant constitue une négligence historique et juridique.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a été créé pour prévenir exactement ce type de trajectoire. Ses membres connaissent ce langage. Ils l’ont déjà jugé. Ils l’ont archivé.
Le silence aujourd’hui ne sera pas interprété comme de l’ignorance. Il sera enregistré comme une défaillance. Le système international a été averti, une fois de plus, par l’histoire : les paroles qui précèdent les massacres ne sont pas abstraites ; ce sont des signaux. Ce qui s’est produit le 27 décembre 2025 n’était pas un accident. Ce n’était pas non plus une erreur de jugement ou un malentendu culturel. La diffusion ne sera pas mal comprise par l’histoire. Elle sera correctement classifiée.
Ekenge n’a pas été imprudent ; il a été précis. Le président Tshisekedi n’était pas mal informé ; il est resté silencieux. La réponse internationale n’a pas été insuffisante par accident ; elle a été calibrée pour éviter l’inconfort.
Le monde a reconnu ce langage au Rwanda avant 1994 et n’a rien fait. Il l’entend maintenant à nouveau, presque mot pour mot, et feint qu’il est nouveau. Le silence, encore une fois, n’est pas de l’ignorance. C’est un choix.
C’était un discours menaçant, prononcé clairement, publiquement et avec autorité institutionnelle. Le porte-parole des FARDC a utilisé un langage que l’histoire a déjà traduit. C’est le langage qui prépare le terrain à l’exclusion, au viol, au massacre et à l’extermination. C’est le langage qui apprend aux gens ordinaires à voir leurs voisins comme des ennemis et les femmes comme des armes.
Le silence du président Félix Tshisekedi a transformé ce discours en idéologie tolérée par l’État. Le leadership ne se mesure pas seulement à ce qui est dit ; il se mesure à ce qui est laissé en place. Le silence est complicité. Le silence légitime la menace. Le silence prépare la société au pire.
La réponse internationale a suivi un scénario familier : choc sans conséquence, condamnation sans exigence, silence sans honte. La Belgique a protégé son alliance. Les organisations de défense des droits humains ont tardé. Les médias ont banalisé. L’ONU a attendu. Chaque institution a joué son rôle avec une précision bureaucratique, un théâtre de sécurité morale alors que des vies humaines étaient en jeu.
Ce schéma n’est pas triste parce qu’il est inconnu. Il est triste parce qu’il est choisi. Le génocide n’arrive pas sans avertissement. Il envoie des signaux précurseurs, dans des discours, des diffusions, des silences. Le 27 décembre 2025, un tel avertissement a été adressé à plus de 120 millions de personnes.
L’humanité ne peut pas se prévaloir de l’ignorance. Les paroles sont enregistrées. Les précédents sont documentés. Les conséquences sont connues. Le choix se présente désormais devant chaque institution, chaque État, chaque observateur : agir pour prévenir, ou ne rien faire et être complice.
Le silence, encore une fois, n’est pas une absence. C’est une politique. C’est une autorisation. Et le monde sera un jour jugé pour les décisions qu’il prend aujourd’hui.
Leçons non apprises
Les échos du Rwanda 1992–1994 sont effrayants. Les médias imprimés alors, la diffusion audiovisuelle aujourd’hui ; les cibles locales alors, le public national et international aujourd’hui ; la doctrine alors, la doctrine aujourd’hui. L’effet d’amplification est immense. En 1992–1994, le monde n’a pas tenu compte de signes menaçants clairs, et plus d’un million de vies ont été perdues. Aujourd’hui, des millions de Congolais, en particulier des femmes et des enfants des communautés tutsies, font face à la terreur psychologique, à la fragmentation sociale et à une violence physique potentielle, précisément parce que les réponses internationales et nationales restent limitées.
La diffusion d’Ekenge peut être analysée phrase par phrase : « épouser une femme tutsie » – identifie un groupe ; « perfidement amener son cousin » – construit une trahison sexualisée ; « vous convaincre que la race est supérieure » – racialise l’idéologie ; « Ubwenge… ils sont capables de tout » – absout la criminalité potentielle des auteurs et préfigure une justification de la violence. Il s’agit d’un cas classique d’incitation à la haine avec des dimensions ethniques et de genre.
La normalisation médiatique réduit le contrôle public. La Belgique et d’autres États publient des déclarations cérémoniales sans conséquences. Les organisations de défense des droits humains tardent à agir. L’ONU ne se mobilise pas. Chaque inaction n’est pas passive ; c’est un choix d’ignorer les mécanismes de la violence de masse.
Permettre à ce type de rhétorique de rester sans contestation, c’est laisser l’histoire se répéter. La communauté internationale doit intervenir avec urgence :
Enquête et poursuites immédiates selon le droit congolais et le droit international ; Réprobation publique par le président de la RDC afin de contrecarrer l’idéologie tolérée par l’État ; Responsabilité des médias pour contextualiser, expliquer et alerter la population ; Pression internationale du Conseil de sécurité de l’ONU, de la CPI et des instances régionales africaines pour prévenir toute escalade ; Soutien aux femmes tutsies et aux familles ciblées par cette doctrine, incluant protection et intervention psychosociale.
Les mots ne sont pas neutres. Le silence n’est pas innocent. La haine diffusée par les médias d’État avec une approbation tacite est un prélude à la catastrophe. L’histoire a documenté ce schéma : de Kangura à la RTNC, du Rwanda à la RDC. L’humanité ne peut se permettre ni l’ignorance ni le retard. L’avertissement a été lancé. Le choix demeure : intervenir de manière décisive ou être complice des conséquences.
Il s’agit d’un appel à la justice préventive, d’une leçon pour les médias, les gouvernements et les institutions de défense des droits humains, et d’un impératif moral pour tous ceux qui accordent de la valeur à la vie humaine. Le discours d’Ekenge n’est pas seulement offensant ; il constitue un modèle d’atrocité, une démonstration en direct des mécanismes de l’idéologie génocidaire et une mise à l’épreuve de la responsabilité collective. Le silence, le retard ou les demi-mesures seront retenus par l’histoire comme une complicité. Une action immédiate est requise, non par souci diplomatique, mais pour la protection de l’humanité.














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