En réalité, il s’inscrit dans un registre bien plus familier, et bien plus dangereux. C’est un acte soigneusement enrobé de relativisation du génocide, de réhabilitation des FDLR et de fabrication sélective de la vérité, drapé dans le langage de la géopolitique critique.
L’article, malgré son ton anti-Rwanda, est surtout pro-impunité, pro-négation du génocide contre les Tutsi, et s’inscrit sans ambiguïté dans la mission idéologique de longue date de Jambo Asbl : blanchir les réseaux génocidaires pour les rendre fréquentables tout en délégitimant tout discours qui met en lumière la vulnérabilité des Tutsi, que ce soit au Rwanda ou en République démocratique du Congo.
La banalisation des FDLR
Rares sont les phrases qui illustrent mieux la manière dont le déni se déguise en analyse que celle-ci : « Les FDLR ne représentent pas une menace stratégique pour le Rwanda », affirme Ishimwe. L’argument est familier et de plus en plus recyclé : les FDLR n’auraient pas lancé d’attaques transfrontalières « majeures » depuis plus de vingt ans ; la plupart de leurs membres étaient des enfants, ou n’étaient pas encore nés, en 1994.
Selon Ishimwe, il s’agirait de réfugiés socialement intégrés plutôt que d’acteurs idéologiques. Dès lors, les préoccupations sécuritaires du Rwanda relèveraient d’une construction politique plutôt que d’une réalité sécuritaire. Cela sonne digne, presque civilisé. Ce n’est rien de tout cela.
Ce raisonnement repose largement sur une interprétation délibérément erronée du fonctionnement de l’idéologie génocidaire. Le génocide n’est pas un événement unique figé dans le temps. C’est une idéologie dotée d’une mémoire, d’une pédagogie et d’une filiation. Le génocide survit précisément parce qu’il se transmet, par le langage, le mythe, le grief fabriqué et l’organisation politique.
Le temps ne dissout pas une idéologie lorsque ses dépositaires restent vivants, organisés et non repentants. Soutenir le contraire revient à prétendre qu’Adolf Hitler n’aurait aucune responsabilité dans l’Holocauste parce qu’il n’a pas inventé l’antisémitisme. La haine n’a pas besoin de nouveauté ; elle a besoin de continuité.
Affirmer que les FDLR seraient inoffensifs au motif qu’ils n’ont pas mené d’incursions « majeures » au Rwanda depuis deux décennies est un critère moralement vide. Les incursions enregistrées sur le territoire rwandais seraient-elles imaginaires ? Les massacres commis dans l’est du Congo seraient-ils négligeables parce qu’ils se produisent du « mauvais » côté de la frontière ? La violence doit-elle être suffisamment spectaculaire pour être jugée menaçante ? C’est une cécité sélective. Minimiser ces attaques n’est pas de la neutralité, c’est de la complaisance, frôlant la déception qu’elles n’aient pas été plus meurtrières.
Encore plus révélateur est l’argument selon lequel la majorité des membres des FDLR seraient de « jeunes gens nés et élevés en exil » qui n’ont jamais mis les pieds au Rwanda. Cela est présenté comme une exonération. En réalité, c’est un réquisitoire contre la persistance de l’idéologie. Être né en exil n’immunise pas contre l’endoctrinement génocidaire ; cela l’approfondit souvent.
L’histoire elle-même démolit l’alibi d’Ishimwe. Le 22 novembre 1992, Léon Mugesera prononça son fameux discours incendiaire à Kabaya, appelant ouvertement à l’extermination des Tutsi et se lamentant que les pogroms antérieurs n’avaient pas été suffisants. Dans ce discours, il déclara :
« J’ai récemment dit à quelqu’un qui se vantait d’être au PL (Parti Libéral) : ‘L’erreur que nous avons faite en 1959, même si j’étais enfant à l’époque, a été de vous laisser partir.’ … Permettez-moi de vous dire que votre maison est en Éthiopie, et que nous vous y renverrons par la rivière Nyabarongo afin que vous y arriviez rapidement. »
Mugesera avait six ans en 1959, lors des premiers pogroms de masse anti-Tutsi qu’il regrettait plus tard d’avoir été incomplets. L’âge ne l’a pas empêché de devenir l’un des propagandistes les plus éloquents de l’idéologie génocidaire.
Mugesera n’a pas été condamné par le TPIR. Le Canada l’a jugé inéligible à la protection des réfugiés et l’a expulsé vers le Rwanda, où il a été jugé et condamné par les tribunaux rwandais pour crimes de génocide. Cette correction ne fait que renforcer le point : l’idéologie génocidaire mûrit, voyage et attend, parfois des décennies.
Ishimwe sait également que Laure Uwase, figure éminente de Jambo Asbl, avait deux ans en 1994. Pourtant, cela ne l’a pas empêchée de devenir active dans une organisation qui défend des génocidaires condamnés, promeut la négation du génocide contre les Tutsi et reconfigure les auteurs en victimes. La jeunesse n’a pas neutralisé l’idéologie. Elle en a assuré la survivance.
Tout aussi absurde est l’invocation du TPIR. L’affirmation selon laquelle le Tribunal « n’a jamais classé les FDLR comme une organisation génocidaire » est techniquement exacte mais intellectuellement malhonnête. Le TPIR avait une compétence temporelle clairement définie : les crimes commis en 1994.
Il a rempli ce mandat. S’attendre à ce qu’il classe des organisations criminelles formées ultérieurement revient à accuser un tribunal de négligence pour avoir refusé de juger des crimes qui n’avaient pas encore été commis. L’appel d’Ishimwe au TPIR n’est pas un raisonnement juridique, c’est une tentative désespérée de conférer de la pertinence à une institution dont la finalité est mal représentée.
Vient ensuite la « banalisation par les chiffres » : selon Ishimwe, le Rwanda aurait intégré « des dizaines » d’anciens membres FDLR et ex-FAR dans son armée et ses institutions. L’arithmétique est idéologique. Il faut que ce soit « des dizaines », et non des milliers, pour maintenir l’insinuation selon laquelle les institutions rwandaises seraient ethniquement exclusives et que l’intégration n’aurait été que cosmétique.
La vérité est plus simple et beaucoup moins utile pour le récit : les personnes intégrées étaient des Rwandais individuels, traités comme tels et non comme représentants d’organisations génocidaires. Toute personne crédiblement impliquée dans le génocide contre les Tutsi est tenue responsable. L’intégration n’était pas une réhabilitation des FDLR ; c’était leur démantèlement, un défecteur à la fois.
Cette distinction est importante. Le Rwanda ne négocie pas avec des idéologies fondées sur l’extermination. Les FDLR, FDU-Inkingi, MRND, CDR, DALFA-Umulinzi et autres familles politiques apparentées partagent une vision « macheto-cratique », une vision qui considère la violence comme un héritage et le déni comme une stratégie. Ils ne se verront jamais accorder le moindre espace politique, non pas parce que le Rwanda serait intolérant à la dissidence, mais parce qu’aucune société ne négocie avec ceux qui nient ses morts.
La véritable critique, par conséquent, n’est pas la falsification ; elle est l’exposition. La frustration que la « neutralisation des FDLR » occupe une place centrale dans le cadre politique de Washington est logique, pour ceux qui s’abritaient derrière l’ambiguïté. Une fois que la neutralisation devient une politique claire et nette, les refuges linguistiques disparaissent. Le langage de « réfugiés », de « racines sociales » ou d’« interlocuteurs politiques » ne protège plus ce qui est, au fond, une organisation criminelle animée par une idéologie non réformée.
C’est là que l’argument revêt son habit analytique tout en révélant son noyau émotionnel. Il y a de l’angoisse dans l’insistance à ce que les FDLR soient reconnus, légitimés, valorisés. Ce n’est pas la douleur de la marginalisation, mais la douleur de perdre son couvert. Lorsque les FDLR sont nommées comme une menace, ceux qui parlent en leur nom, comme Jambo Asbl, se sentent soudainement exposés, idéologiquement nus, dépouillés de leurs euphémismes.
Les dirigeants des FDLR n’ont jamais renoncé à l’idéologie génocidaire. Pourtant, Ishimwe veut que le lecteur les voie non pas comme des auteurs ou héritiers idéologiques, mais comme des civils lésés, injustement criminalisés par l’histoire. Son article porte un deuil à peine dissimulé : celui de voir les FDLR traitées comme une menace plutôt que comme ce qu’il souhaite qu’elles soient perçues : un acteur politique légitime en attente de reconnaissance.
Ici, Jambo Asbl ne fonctionne pas comme un observateur critique, mais comme un bureau de communication pour une milice génocidaire, polissant le langage, reconfigurant les crimes et faisant du lobbying pour la réhabilitation politique.
Soutenir que les préoccupations sécuritaires du Rwanda ne seraient que des « constructions discursives » revient à demander aux survivants de croire en la même idéologie qui leur avait un jour déclaré que l’extermination était une nécessité politique. C’est exiger que la mémoire se soumette à la commodité, et que l’histoire s’excuse d’être incommode.
Les FDLR ne sont pas dangereux pour ce qu’ils ont échoué à faire récemment. Elles sont dangereuses pour ce qu’elles refusent de renoncer à faire, pour ce qu’elles continuent d’enseigner et pour ce qu’elles rêvent encore de devenir. Prétendre le contraire n’est pas de la recherche académique. C’est du militantisme, à peine voilé, émotionnellement engagé et de plus en plus transparent.
Certaines opinions se démodent mal. D’autres naissent périmées. Celle-ci appartient à la seconde catégorie.
L’alerte génocidaire présentée comme « manipulation »
L’attaque de Norman Ishimwe contre ce qu’il appelle avec condescendance le « Saving Narrative », la thèse selon laquelle les Tutsi congolais, les Banyamulenge et d’autres communautés rwandophones font face à une menace existentielle en RDC, révèle davantage la psychologie de son camp politique que la diplomatie rwandaise. Ce qu’il présente comme une déconstruction du récit est en réalité un exercice type de banalisation du génocide contre less Tutsi, déguisé en critique médiatique.
Au cœur de l’argument d’Ishimwe se trouve une proposition stupéfiante : les alertes concernant un possible génocide contre les Tutsi congolais ne seraient pas fondées sur la réalité, mais constitueraient une invention stratégique de Kigali, fabriquée après 2022 pour des raisons géopolitiques.
Selon cette logique, l’histoire elle-même fonctionnerait selon un calendrier synchronisé sur des poignées de main présidentielles. Lorsque Kagame et Tshisekedi étaient cordiaux, aucun danger n’existait ; lorsque les relations se sont détériorées, le génocide est soudain apparu, de manière commode. Il s’agit davantage de pensée magique que d’analyse.
Le génocide ne se déclare pas poliment, et il n’attend pas l’hiver diplomatique. Il se développe dans des environnements permissifs, où les discours de haine circulent librement. Il éclate lorsque des groupes armés ciblent des civils en fonction de leur identité et que l’État tolère ou coopère avec des forces animées par des idéologies exterminatrices.
L’Est du Congo a offert précisément ce type d’environnement pendant des décennies. Affirmer que les alertes n’ont émergé que parce que le Rwanda « en avait besoin » revient à prétendre que la fumée est inventée par les détecteurs de fumée.
Ishimwe est principalement irrité que le Rwanda, les instances de l’ONU et d’autres parlent ouvertement des discours de haine visant les communautés banyamulenge et tutsi. Mais les discours de haine ne deviennent pas imaginaires sous prétexte qu’il est problématique de les reconnaître.
Lorsque des tracts circulent en qualifiant les Banyamulenge d’« envahisseurs étrangers », lorsque des groupes armés reprennent des slogans hérités de vocabulaires génocidaires, lorsque des massacres ciblent sélectivement des civils en raison de leur identité et non de leurs actes, alors le langage d’alerte n’est pas une manipulation. C’est notre responsabilité.
L’effort visant à discréditer les preuves en qualifiant les vidéos « d’invérifiables » ou les témoignages de « faux » est tout aussi révélateur. Dans des régions où les lanceurs d’alerte sont assassinés, où l’accès est restreint et où des milices soutenues par l’État contrôlent le territoire, les preuves n’arrivent que rarement avec la précision esthétique préférée des négationnistes.
Pourtant, la norme d’Ishimwe est claire : à moins que la souffrance ne soit documentée de manière à absoudre ses alliés idéologiques, elle doit être fabriquée. Ce n’est pas du scepticisme, c’est de l’incrédulité sélective.
Plus troublante encore est sa présentation des interventions diplomatiques du Rwanda, en particulier la référence de l’ambassadeur Martin Ngoga à son expérience de survivant du génocide de 1994 contre les Tutsi, comme un chantage émotionnel cynique.
Dans sa vision macheto-cratique du monde, les survivants sont censés oublier leur histoire précisément lorsqu’ils en reconnaissent les signes avant-coureurs. Pour les membres de Jambo, la mémoire n’est tolérable que lorsqu’elle reste silencieuse.
Ishimwe accuse le Rwanda « d’instrumentaliser » le génocide contre les Tutsi. Ce qu’il ne peut pas dire, mais qu’il ressent clairement, est bien plus douloureux : ce génocide a échoué. La légitimité acquise par le FPR en l’arrêtant, en sauvant des vies et en démantelant les structures du pouvoir génocidaire reste un fait insupportable pour des familles politiques dont la vision du monde dépendait du succès de l’extermination. Cette légitimité n’est pas un mythe. C’est le résidu de la survie.
Lorsque Ishimwe affirme que le Rwanda « transpose » sa légitimité de 1994 au Congo, il révèle le véritable grief. Le problème n’est pas que le Rwanda alerte contre un génocide ; c’est que le Rwanda sait à quoi ressemble un génocide avant que le monde ne décide de le remarquer. Aucun pays sur ce continent ne comprend le coût du génocide comme le Rwanda : plus d’un million de vies perdues en moins de cent jours. Cette expérience ne s’éteint pas. Elle instruit.
L’ironie s’accentue lorsque Ishimwe insiste pour dire que le discours de prévention du génocide n’est qu’un prétexte à l’agression, tout en défendant ou en minimisant des groupes dont les ancêtres idéologiques portaient la machette, et non des pancartes. C’est le paradoxe de la psychologie macheto-cratique : la violence est niée jusqu’à ce qu’elle réussisse ; les avertissements sont ridiculisés jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Qualifier la peur d’un génocide de « récit » est un vieux tour. Les négationnistes de l’Holocauste l’ont utilisé. Le génocide de Bosnie a lui aussi été écarté de la même manière, jusqu’à ce que les fosses communes rendent le récit indécent. Les morts sont toujours accusés, à titre posthume, d’exagération.
Le véritable problème n’est pas que le Rwanda parle de prévention du génocide, mais que d’autres se voient dotés d’un tel pouvoir pour faire taire ce discours. Pourquoi la simple évocation de la vulnérabilité des Tutsi provoque-t-elle une telle hostilité ? Pourquoi faut-il que la souffrance des Banyamulenge ou des Hema soit dévalorisée en propagande avant même d’être entièrement documentée ?
C’est là que l’amnésie organisée devient mortelle. Les organisations et individus qui promeuvent l’oubli ne se contentent pas de mal interpréter l’histoire, ils désarment activement les sociétés contre sa répétition.
Imaginez un monde sommé d’oublier le cannibalisme filmé, les femmes dénudées et exhibées publiquement pour humilier leur corps en soumission. Imaginez aussi des villages réduits en cendres tandis que les auteurs scandent des insultes ethniques, et que les survivants sont traqués non pour ce qu’ils ont fait, mais pour ce qu’ils sont.
Imaginez tout cela rejeté comme « faux », « non vérifié » ou stratégiquement inconvenant, non parce que cela ne s’est pas produit, mais parce qu’en le reconnaissant, les mauvaises personnes seraient impliquées. C’est ainsi que les atrocités sont blanchies. Lorsque la mémoire est présentée comme propagande et les preuves comme manipulation, les auteurs sont blanchis et disculpés d’avance, les victimes deviennent suspectes, et la violence se voit offrir une seconde vie, cette fois avec une respectabilité intellectuelle.
L’histoire enseigne à l’humanité, avec une brutalité constante, que le génocide n’est jamais précédé par le silence seul, mais par des campagnes exigeant l’oubli. Et lorsque l’amnésie est organisée, coordonnée et récompensée, elle cesse d’être une erreur de jugement pour devenir complice des crimes futurs.
Le triage idéologique de Jambo
Ce qu’Ishimwe omet, systématiquement et délibérément, c’est que la doctrine politique, les structures de commandement, les symboles et les communications publiques des FDLR restent explicitement ancrés dans l’idéologie génocidaire. Il ignore les déclarations mêmes du groupe glorifiant le génocide de 1994 perpétré contre les Tutsi au Rwanda, son usage continu d’un langage génocidaire, et sa collaboration persistante avec des groupes armés congolais engagés dans des violences anti-Tutsi.
Encore plus révélateur est ce qu’il ne demande pas. Nulle part Ishimwe n’appelle les FDLR à se désarmer, à se rapatrier ou à renoncer à leur idéologie. Au contraire, il reconfigure le groupe comme un acteur « résiduel » incompris, dont les racines seraient « sociales » plutôt que criminelles. Cette manœuvre rhétorique remplit une fonction précise : transformer les génocidaires de bourreaux en victimes d’exagérations narratives.
C’est la doctrine classique de Jambo Asbl. Le génocide devient un malencontreux détail historique ; les mouvements génocidaires deviennent des acteurs politiques ; et la responsabilité est requalifiée en persécution.
À ce stade, il faut être clair : toute organisation qui défend, minimise ou banalise les FDLR est catégoriquement disqualifiée de l’écosystème des droits humains.
La défense des droits humains repose sur trois principes non négociables : la reconnaissance des victimes, la responsabilité des auteurs et le rejet de l’idéologie génocidaire sous toutes ses formes. Jambo Asbl viole ces trois principes.
En reconfigurant systématiquement les FDLR comme des « réfugiés incompris », en attaquant les efforts visant à neutraliser un groupe ancré dans l’idéologie génocidaire, et en écartant les craintes et les expériences d’extermination des communautés tutsi, Jambo abandonne l’universalité des droits humains pour la remplacer par une sélectivité ethnique et une loyauté idéologique.
Les organisations de défense des droits humains ne font pas pression pour que des milices génocidaires soient reconnues comme interlocuteurs politiques. Elles ne relativisent pas le génocide. Elles ne ridiculisent pas les peurs des survivants en les qualifiant de « récits inventés ». Lorsqu’une organisation franchit cette ligne, elle cesse d’être un acteur des droits humains et devient ce que Jambo Asbl est clairement : une plateforme de promotion du déni, du révisionnisme et de l’impunité.
AFC/M23 à l’envers
Ishimwe accuse le Rwanda de « fabriquer » l’identité congolaise de l’AFC/M23. Pourtant, il réalise le miroir exact de cette même distorsion : nier que les Tutsi congolais puissent jamais être de véritables acteurs politiques congolais à moins d’être sanctionnés par l’orthodoxie ethno-nationaliste de Kinshasa.
En affirmant que l’AFC n’est qu’un « dispositif de camouflage » et que ses combattants sont essentiellement étrangers ou dirigés depuis le Rwanda, Ishimwe reproduit la même logique exclusionniste qui a alimenté des décennies de violences : l’action politique tutsi est, par définition, illégitime.
Aucune communauté congolaise n’est soumise à ce critère. Les groupes Mai-Mai sont congolais malgré un soutien extérieur. Les milices Wazalendo restent congolaises malgré le ciblage ethnique. Seuls les acteurs armés tutsi sont éternellement étrangers, sauf lorsqu’ils sont tués, auquel cas leur « étrangeté » est commodément oubliée.
Son essai est un modèle de fabrication narrative : les génocidaires sont adoucis, les victimes effacées, et l’idéologie rebaptisée « critique ».
L’article d’Ishimwe ne se contente pas de critiquer le Rwanda. Il réhabilite les FDLR en tant que sujet politique, minimise la violence génocidaire contre les Tutsi congolais, et promeut une vision du monde où la vulnérabilité tutsi est toujours suspecte et jamais intrinsèque.
Ce n’est ni du journalisme, ni de l’activisme en faveur des droits humains. C’est une continuité idéologique avec les forces mêmes qui ont rendu le génocide contre les Tutsi possible. Appeler cela « vérité » ne le rend pas vrai. Cela le rend dangereux. Et le monde a trop souvent vu où de telles vérités sélectives mènent.
La tentative d’Ishimwe de mettre moralement sur le même plan les FDLR et l’AFC/M23 est peut-être la manœuvre la plus révélatrice de l’article. Son ressentiment que les FDLR soient prioritaires pour l’éradication tandis que l’AFC/M23 négocie trahit son objectif sous-jacent : élever les FDLR au rang de partenaire de négociation avec l’État rwandais.
Cette équivalence s’effondre instantanément. Quoi qu’on pense de l’AFC/M23, elle est reconnue comme un mouvement politico-militaire congolais engagé dans un conflit politique. Les FDLR, en revanche, sont une organisation née d’un génocide, soutenue par l’idéologie génocidaire, ayant le Rwanda comme horizon.
Exiger une parité entre les deux n’est pas de la construction de la paix. C’est la normalisation du génocide.
Le centre de l’illogisme moral
Qu’Ishimwe écrive que le discours et les actes d’extermination « n’existaient pas » avant 2022 et sont apparus uniquement pour répondre aux besoins diplomatiques du Rwanda est tout simplement absurde. Si tel était le cas, des centaines de milliers de réfugiés congolais au Rwanda, en Ouganda et ailleurs seraient des personnes ayant quitté leur pays pour de meilleurs pâturages.
Il n’y a aucun engagement avec les massacres documentés des Banyamulenge, aucune reconnaissance du nettoyage ethnique à Minembwe, aucun examen des discours de haine des responsables congolais, chefs de milices ou médias appelant à l’élimination des Tutsi en tant qu’« étrangers ». La souffrance des Tutsi congolais n’est pas traitée comme une tragédie humaine, mais comme une matière première pour la propagande rwandaise.
L’implication est sans équivoque : la vie des Tutsi congolais n’a d’importance que dans la mesure où elle sert le récit de Kigali. Lorsqu’ils sont massacrés, déplacés ou traqués, la prose d’Ishimwe devient curieusement silencieuse. Leur mort n’est pas une tragédie à affronter, mais un inconvénient à gérer rhétoriquement.
On cherche en vain une seule phrase exprimant une préoccupation morale pour ces communautés. Leur anxiété face à l’extermination est rejetée comme invention ; leur peur est pathologisée comme stratégie.
Ishimwe invoque à plusieurs reprises la « rigueur empirique », les « preuves » et la « réalité », mais sa relation à la vérité est profondément instrumentale. Ce qui s’aligne avec sa posture idéologique est élevé au rang de fait ; ce qui la contredit est rejeté comme fiction.
Ainsi, tous les rapports documentant la violence anti-tutsi sont traités comme des produits narratifs. Les menaces génocidaires deviennent des « vidéos invérifiables ». Pendant ce temps, ses propres assertions, non étayées par un examen comparable, sont présentées comme allant de soi. Ce n’est pas involontaire. Cela reflète une épistémologie plus profonde, courante dans les cercles de négation du génocide contre les Tutsi : la vérité n’est pas ce qui est démontrable, mais ce qui est politiquement utile.
Dans ce cadre, le Rwanda ment par définition, tandis que les affiliés de Jambo disent la vérité par conviction. Les preuves ne sont pas jugées selon leur vérifiabilité, mais selon leur alignement idéologique.
Parlons donc clairement et sans réserve. Jambo Asbl n’est pas une organisation incomprise, injustement attaquée pour ses critiques. C’est un théâtre de l’absurde moral, où l’idéologie génocidaire est vêtue du langage de la victimisation et où le déni de la souffrance tutsi est vendu comme pensée critique.
Ses membres parlent de « vérité » tout en rejetant les preuves, invoquent les « droits humains » tout en défendant ceux qui les ont anéantis, et se posturent en société civile tout en agissant comme annexe de relations publiques pour les FDLR.
Voir Jambo Asbl revendiquer une place à la table des droits humains revient à regarder un incendiaire postuler au poste d’inspecteur des incendies, armé d’une leçon sur la façon dont les flammes ne seraient qu’une construction narrative. Ses représentants dénoncent « l’instrumentalisation du génocide » tout en instrumentalisant le déni du génocide contre les Tutsi ; ils accusent les autres de propagande tout en recyclant les arguments de génocidaires condamnés ; ils réclament une gravité morale tout en ricanant sur les tombes des victimes.
Encore plus stupéfiant est le fait que des diplomates, des ONG et des prétendus défenseurs des valeurs universelles accordent à Jambo Asbl le statut d’interlocuteur légitime. Il faut se demander : quelles contorsions éthiques faut-il pour traiter une organisation qui défend une milice génocidaire comme un partenaire en matière de droits humains ? Quelle faillite intellectuelle permet au négationniste du génocide perpétré contre les Tutsi de se faire passer pour de la dissidence, et à l’impunité d’être confondue avec la réconciliation ?
Il y a quelque chose d’horriblement révélateur dans l’angoisse de Jambo que les FDLR soient encore considérées comme une menace. Il ne s’agit pas de larmes pour la paix ; ce sont des larmes pour des occasions politiques perdues. La douleur exprimée n’est pas humanitaire, elle est stratégique. C’est le regret de ceux qui croient que l’histoire pourrait être réécrite, que les crimes pourraient être légalisés, et que l’idéologie meurtrière pourrait renaître sous un nouveau logo.
Le monde a déjà vu ce scénario. Dans chaque génocide, il y a des tueurs, des victimes et, finalement, des apologistes qui insistent pour dire que le temps a adouci tout, sauf la demande de responsabilité. Jambo Asbl a choisi son rôle avec une clarté glaçante.













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