A y regarder de plus près, les élans proclamés ne sont ni authentiques, ni libres ; ils procèdent d’une logique de captation, de conditionnement, de mise en scène où l’adhésion affective tient lieu de discernement, et l’émotion brute supplante l’analyse factuelle.
La classe politique congolaise, dans son écrasante majorité, ainsi qu’une frange importante des professionnels des médias, ne s’engagent plus dans le débat à partir d’un examen rationnel et contradictoire des faits, mais au gré de stimuli émotionnels soigneusement cultivés.
Ce qui devait être une médiation rigoureuse de la réalité devient, trop souvent, un théâtre d’indignation surjouée, d’enthousiasmes fabriqués et de loyautés mécaniques. Loin d’être de simples mouvements d’humeur, ces émotions sélectives deviennent les instruments d’un système de dissimulation et de contrôle, par lequel la falsification se pare des atours de la sincérité et la désinformation trouve dans la ferveur affective son plus docile relais.
La haine politique, en particulier, confère à ceux qui la distillent un sentiment d’évidence morale et de surplomb vertueux. Mais ce sentiment, aussi grisant soit-il, n’est souvent qu’un écran, dissimulant la complexité des rapports de force, la fragilité des convictions, et surtout la paresse de l’intelligence.
Le piège est d’autant plus redoutable qu’il est intériorisé : l’on croit penser librement, alors que l’on épouse des impulsions orchestrées, des récits calibrés pour flatter ou effrayer, pour enrôler ou marginaliser.
Ce n’est donc pas seulement d’un déficit d’information que souffre notre espace public, mais bien d’une forme d’aliénation émotionnelle. Les médias organisent l’indignation à flux tendu, les tribuns attisent les ressentiments, les "experts" improvisés apportent des justifications de circonstance, et la raison, épuisée, se retire sur la pointe des pieds.
Une docilité affective s’installe alors, faite de réflexes partisans et de soumissions idéologiques, qui interdit toute lucidité, toute nuance, toute dissidence intellectuelle.
Dans un tel climat, la falsification devient une seconde nature, la manipulation un outil banal de conquête ou de préservation du pouvoir. Pire encore : cette fabrique du faux ne rencontre guère de résistance, tant elle s’abrite derrière le paravent de l’émotion sincère. On ne la conteste pas, on l’éprouve. Et c’est là que réside la mécanique la plus perverse de cet asservissement : il est consenti.
Pourtant, il n’y a point de fatalité à cette abdication généralisée. Identifier les circuits de production des émotions collectives, en interroger les relais, en déconstruire les fonctions politiques et symboliques, c’est amorcer une forme de réappropriation critique.
Il ne saurait être question de renier les affects, ni de les reléguer au rang de faiblesses à dompter. Ce serait méconnaître leur puissance expressive, leur fonction de signal dans la conscience individuelle et collective. Mais il est urgent de les soustraire aux enclaves idéologiques qui les capturent et les instrumentalisent à des fins de domination symbolique ou d’aveuglement partisan.
Loin de les abolir, il convient de les désenclaver, de les affranchir de ces dispositifs qui les asservissent, afin de les réinscrire dans une éthique de la lucidité, où l’émotion, loin d’oblitérer la pensée, en serait le prolongement éclairé. Cette réorientation exige une élévation de la conscience citoyenne, un sursaut critique qui restitue aux affects leur dignité, non comme moteurs d’adhésion aveugle, mais comme leviers d’intelligibilité, au service du discernement, de la vérité et du bien commun.
Car si les émotions peuvent être fabriquées, elles peuvent aussi être réorientées, redisciplinées, réinventées. A condition de faire le choix du courage intellectuel. Et de substituer, à la facilité de la réactivité, la rigueur de l’analyse.

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