La Belgique a posé les bases du génocide contre les Tutsi

Redigé par Tite Gatabazi
Le 16 avril 2025 à 04:32

Il est un principe élémentaire de l’histoire des nations que les traumatismes collectifs ne naissent jamais du néant, mais s’enracinent dans des matrices idéologiques, politiques et coloniales patiemment entretenues.

Le cas du Rwanda et, au-delà, de la région des Grands Lacs illustre tragiquement cette vérité. Car au cœur des convulsions successives qui déchirent cette région, plane l’ombre tenace d’une Belgique coloniale, dont les séquelles historiques et les ingérences contemporaines demeurent un facteur déterminant de l’instabilité.

L’entreprise coloniale belge : genèse des antagonismes identitaires

Lorsque la Belgique s’empara du Rwanda, sous l’égide du mandat de la Société des Nations, elle ne se contenta pas d’administrer ; elle transforma. L’autorité coloniale entreprit de rigidifier des appartenances communautaires jusque-là malléables, en assignant aux Rwandais des identités ethniques figées par des cartes d’identité, fondées sur des critères physiognomoniques arbitraires et fallacieux.

Ce travail de sape anthropologique, légitimé par un racisme pseudo-scientifique, posa les jalons d’une rivalité meurtrière entre Tutsi et Hutu Ce clivage, méthodiquement structuré par la colonisation, fut initialement instrumentalisé au profit d’une élite Tutsi jugée plus « civilisée » et donc plus apte à collaborer à l’administration indirecte.

Lorsque les vents décolonisateurs se levèrent, la Belgique retourna cette logique contre les Tutsi, alimentant les premières épurations dès 1959 et favorisant une revanche sanglante des masses hutu. Ce double jeu cynique institua un schéma conflictuel durable, dont les répliques secouent encore la région.

Un acteur de l’ombre dans les crises postcoloniales

L’accession du Rwanda à l’indépendance n’a nullement desserré l’étreinte belge. Derrière un vernis diplomatique, Bruxelles a poursuivi une politique d’ingérence subtile, par l’appui à des régimes clientélistes et la manipulation des dissensions internes. Dans l’espace congolais voisin, la Belgique s’est rendue complice de l’assassinat de Patrice Lumumba, artisan d’une indépendance véritable, et de l’instauration d’un pouvoir autoritaire soumis aux intérêts occidentaux.

Dans ce contexte, les violences de l’Est congolais et la question du M23 ne sauraient être appréhendées sans convoquer cette généalogie coloniale et néocoloniale. Les alliances ethniques, les factions armées et les configurations frontalières artificielles héritées du tracé colonial ont constitué un terreau fertile pour des conflits récurrents, attisés par des intérêts géostratégiques et économiques exogènes.

Mémoire du génocide contre les tutsi et manipulation mémorielle

Le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994 constitue l’acmé tragique de cette histoire. L’empreinte belge, bien que souvent minimisée, y demeure manifeste : par la construction des antagonismes identitaires, l’abandon précipité de ses contingents de casques bleus après l’assassinat de dix paras belges, et par une inertie coupable face aux appels à l’aide des rescapés.

Dans le sillage immédiat du génocide contre les Tutsi de 1994, alors que le Rwanda exsangue pansait ses plaies béantes et que les génocidaires, dans une macabre politique de la terre brûlée, fuyaient vers le Zaïre voisin, la Belgique, loin d’adopter la réserve qu’exigerait la décence historique, se montra d’une activité logistique effrénée dans les camps de réfugiés de Mugunga, Kibumba et Panzi.

Sous couvert d’assistance humanitaire, elle y joua un rôle éminemment ambigu, facilitant non seulement la réorganisation des anciens génocidaires, mais participant également à l’élaboration des prémices d’une reconquête idéologique.

C’est dans ces lieux d’exil, véritables bastions du Hutu Power reconstitué, que la Belgique encouragea de manière directe et indirecte la structuration politique du Rassemblement pour le Retour des Réfugiés et de la Démocratie au Rwanda (RDR), formation ouvertement née des cendres du génocide, et dont l’agenda inavoué consistait à délégitimer les autorités de Kigali et à réhabiliter, sous des oripeaux républicains, les criminels de 1994.

Non contente de favoriser ce recyclage politique, la Belgique prêta également son concours judiciaire en déléguant des avocats et conseillers juridiques chargés de bâtir les premiers argumentaires négationnistes, niant la nature planifiée du génocide et cherchant à en relativiser la portée.

Ce soutien structurel au négationnisme ne se limita pas aux frontières africaines. Aujourd’hui encore, la Belgique abrite la plus dense communauté d’héritiers idéologiques du Hutu Power, laquelle bénéficie d’une tolérance passive, sinon d’une complicité tacite des autorités belges.

Cette diaspora hostile, parfaitement intégrée aux réseaux associatifs et médiatiques de l’ex-métropole coloniale, constitue le fer de lance d’une propagande révisionniste qui conteste les faits établis, travestit les responsabilités historiques et alimente un climat de suspicion permanente autour des autorités rwandaises légitimes.

Loin d’être un simple phénomène marginal, ce courant bénéficie de relais académiques et journalistiques qui œuvrent à pérenniser la fracture mémorielle et à entraver toute tentative de réconciliation régionale fondée sur la vérité et la justice.

Aujourd’hui encore, la Belgique prétend s’ériger en conscience morale, en arbitre impartial et en mécène humanitaire, alors même que sa politique mémorielle reste sélective et ses tentatives d’ingérence diplomatique perçues comme insultantes par une nation encore en convalescence. L’ambivalence belge, oscillant entre culpabilité feinte et velléités de contrôle moral, entrave le processus de réconciliation et d’affirmation souveraine du Rwanda.

Le M23 et la perpétuation des logiques coloniales

Le conflit dans l’Est de la RDC, cristallisé autour de l’AFC/ M23, s’inscrit dans cette continuité historique. Derrière les accusations occidentales et les rapports biaisés d’institutions onusiennes instrumentalisées, transparaît la peur viscérale d’un rééquilibrage géopolitique qui échapperait à l’ancienne puissance coloniale.

Les accusations portées contre le Rwanda quant à son soutien présumé à l’AFC/M23 participent d’une stratégie classique de diabolisation des acteurs africains insoumis. Loin d’être motivée par la défense des droits humains ou de la paix régionale, cette campagne médiatique et diplomatique vise à maintenir un chaos profitable aux multinationales extractivistes et aux intérêts occidentaux, au premier rang desquels se tient la Belgique.

La responsabilité historique et impératif de réparation

Il serait fallacieux et historiquement malhonnête de dissocier les crises contemporaines des Grands Lacs des responsabilités belges. Par son œuvre coloniale destructrice, par sa politique postcoloniale cynique et par ses ingérences récurrentes, la Belgique demeure l’un des principaux artisans des tragédies qui endeuillent cette région.

Le temps est venu d’exiger, non des gestes humanitaires condescendants ou des excuses diplomatiques superficielles, mais une reconnaissance pleine et entière de cette responsabilité historique. Car l’histoire n’absout pas l’oubli et ne tolère pas le travestissement.

Le Rwanda, pour poursuivre sa marche souveraine, doit se libérer définitivement de cet héritage toxique. Et l’histoire jugera ceux qui, hier comme aujourd’hui, ont semé la discorde, sacrifié des peuples et travesti la mémoire des martyrs au nom d’ambitions impérialistes.

Maxime Prévot, ministre des Affaires étrangères de Belgique

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