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Le 30 octobre 1974 ou la gloire et la mise en scène du pouvoir de Mobutu

Redigé par Tite Gatabazi
Le 31 octobre 2025 à 12:00

Le 30 octobre 1974 demeure gravé dans la mémoire collective du peuple congolais, comme l’un de ces instants où le destin d’une nation se confondit avec la gloire de son chef.

Ce jour-là, sous le ciel lourd et moite de Kinshasa, la capitale du Zaïre de Mobutu Sese Seko, s’écrivait une page singulière de l’histoire mondiale : celle du légendaire combat entre Muhammad Ali et George Foreman, baptisé avec emphase The Rumble in the Jungle.

Neuf années auparavant, le 24 novembre 1965, Mobutu avait conquis le pouvoir par un coup d’État militaire. En ce milieu des années 1970, il avait solidement assis son autorité, transformant le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) en un parti-État tout-puissant, fusionnant la nation, le pouvoir et sa propre personne dans une symbiose quasi mystique.

Mais cette domination interne ne suffisait pas à son ambition. Mobutu cherchait désormais à inscrire son régime dans l’imaginaire international, à faire rayonner son Zaïre au-delà de ses frontières. Rien ne pouvait mieux servir cette quête de prestige que d’accueillir, au cœur de l’Afrique, le combat le plus attendu du siècle.

Sous l’égide du flamboyant promoteur Don King, le monde entier eut les yeux rivés sur Kinshasa. Dans cette arène improvisée, deux titans de la boxe s’affrontaient : le jeune George Foreman, champion en titre, et le charismatique Muhammad Ali, jadis destitué de son titre pour avoir refusé de servir dans l’armée américaine durant la guerre du Vietnam.

Ce refus, fondé sur des convictions religieuses et morales, lui avait valu admiration et rejet, mais avait fait de lui l’icône d’une génération insurgée contre l’injustice, le racisme et la guerre.

Ali, né Cassius Marcellus Clay Jr. en 1942 à Louisville, descendait d’esclaves affranchis et incarnait, par son parcours, la revanche symbolique d’un peuple sur l’histoire.

Champion olympique en 1960 à Rome, vainqueur de Sonny Liston en 1964, il s’était converti à l’islam et avait pris le nom de Muhammad Ali, revendiquant son identité avec une fierté indomptable. Sa verve poétique et sa confiance légendaire enflammaient les foules. À la veille du combat de Kinshasa, il déclarait dans un de ces monologues flamboyants dont il avait le secret :

« La nuit dernière, j’ai fait un rêve. Quand je suis arrivé en Afrique, j’ai entendu un grondement d’enfer. J’ai d’abord dû botter le derrière de Tarzan, parce qu’il prétendait être le roi de la jungle. J’ai lutté avec les alligators, j’en ai décousu avec une baleine. J’ai menotté la foudre et mis le tonnerre en prison. Je suis si rapide que je peux courir à travers un ouragan sans me mouiller. »

Ces mots, à la fois bravaches et lyriques, résonnaient comme une déclaration d’indépendance spirituelle : un retour triomphal en Afrique, terre d’origine symbolique, où l’enfant de la diaspora venait reconquérir sa dignité.

Le combat lui-même, tenu à l’aube sous une chaleur écrasante, fut un chef-d’œuvre de stratégie. Face à la puissance brutale de Foreman, Ali usa de la patience et de la ruse, s’appuyant contre les cordes dans une tactique qui fera école, le fameux rope-a-dope.

En absorbant les assauts de son adversaire jusqu’à l’épuisement de ce dernier, il parvint, au huitième round, à l’abattre d’un coup magistral. L’arène explosa alors de ferveur, tandis que la foule scandait : Ali, bomaye ! « Ali, tue-le ! » cri d’extase et de délivrance d’un peuple tout entier.

Au-delà du triomphe sportif, ce duel mythique cristallisait deux dimensions complémentaires : la rédemption d’un homme et la quête d’un continent. Pour Ali, c’était le retour à la gloire, la reconquête de son titre et de sa légitimité morale.

Pour Mobutu, c’était la consécration de sa propagande : le Zaïre, berceau d’un événement planétaire, se posait en épicentre d’une Afrique fière, moderne et triomphante.

Le combat du 30 octobre 1974 demeure, un demi-siècle plus tard, une référence indélébile. Il appartient autant à l’histoire du sport qu’à celle des symboles : il fut le théâtre d’une renaissance, un carrefour où se croisèrent la fierté africaine, le génie rhétorique d’Ali et l’ambition mégalomaniaque d’un chef d’État désireux de séduire le monde.

Dans les rues de Kinshasa, dans les récits de la mémoire populaire, dans les archives de la presse zaïroise puis congolaise, cet affrontement continue de vivre, comme une légende tissée d’audace, de pouvoir et de rêve.

Le 30 octobre 1974, Kinshasa a accueilli le légendaire « Rumble in the Jungle » entre Muhammad Ali et George Foreman

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