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Paris à l’épreuve des souffrances de la région des grands lacs

Redigé par Tite Gatabazi
Le 30 octobre 2025 à 01:13

La diplomatie française, oscillant subtilement entre compassion et influence, s’avance une fois encore sur la scène africaine avec l’ambition de conjuguer l’humanitaire et le stratégique.

Dans la région des Grands Lacs, théâtre d’une tragédie humaine prolongée et d’un désordre géopolitique persistant, Paris entend renouer avec une forme d’autorité morale, tout en réaffirmant son rôle d’arbitre éclairé dans les affaires du continent.

Sous le vernis de la solidarité internationale, se lit la quête d’un nouvel équilibre : celui d’une présence qui se veut à la fois bienveillante et déterminante, capable de rallier les nations autour de la cause de la paix tout en préservant son empreinte diplomatique.

En s’érigeant en promotrice d’une réponse humanitaire globale, la France cherche à redonner sens à son engagement africain, à transcender les soupçons de paternalisme pour revêtir les atours d’une puissance médiatrice, consciente que la compassion, dans le jeu des nations, n’exclut jamais la projection d’influence.

Ce jeudi 30 octobre, la capitale française accueille une conférence internationale consacrée à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs. Sous l’égide de la diplomatie française, Paris entend se poser en médiatrice et en catalyseur d’un sursaut collectif face à l’une des crises humanitaires les plus graves et les plus prolongées du continent africain : celle qui ravage l’Est de la République démocratique du Congo et fragilise l’ensemble de la région.

L’objectif affiché est clair : mobiliser la communauté internationale afin de répondre à l’urgence humanitaire et de favoriser une dynamique politique susceptible de stabiliser durablement la région. Derrière les formules protocolaires, cette initiative s’inscrit dans la continuité de la stratégie française de réengagement en Afrique centrale, cherchant à conjuguer influence, solidarité et responsabilité diplomatique dans un contexte de recomposition géopolitique accélérée.

Mais cette conférence soulève, à juste titre, des interrogations. Quelle sera sa véritable plus-value, alors que des médiations parallèles se déroulent déjà à Washington et à Doha ? Quelle portée concrète peut-elle revêtir dans une région où les initiatives se multiplient, souvent sans coordination, au risque de diluer la cohérence diplomatique et d’entretenir une fatigue internationale face à une crise devenue structurelle ?

Les absences et les présences annoncées donnent d’ailleurs la mesure des équilibres à l’œuvre.

La délégation rwandaise sera conduite par le ministre des Affaires étrangères, l’ambassadeur Olivier Nduhungirehe, figure rigoureuse et respectée du dialogue régional. Côté congolais, la présence du président Félix Tshisekedi est, elle, confirmée, conférant à cette rencontre une dimension symbolique certaine, mais non sans ambivalence : la photo tant attendue entre les deux dirigeants, image d’une réconciliation espérée, n’aura pas lieu.

La conférence de Paris n’en demeure pas moins un signal fort. En choisissant de réunir autour d’une même table les acteurs internationaux, les bailleurs et les partenaires régionaux, la France cherche à rappeler que la paix dans les Grands Lacs ne saurait être dissociée d’une réponse globale à la fois humanitaire, sécuritaire et politique.

L’aide aux populations civiles, déplacées par millions dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, y constitue le volet le plus visible, mais derrière les chiffres se joue un enjeu plus vaste : celui de la restauration de la confiance entre États, de la redéfinition des cadres d’influence, et du maintien d’un dialogue multilatéral dans une région où chaque acteur avance ses pions.

Il serait illusoire d’attendre de cette conférence une solution miracle. Toutefois, elle marque une volonté, celle de replacer la parole humanitaire au cœur de la diplomatie et d’assumer, pour la France, un rôle de trait d’union entre les capitales africaines et les institutions occidentales. Dans un climat régional où l’exaspération des peuples côtoie les calculs des puissances, Paris tente d’incarner la médiation raisonnée, celle qui conjugue compassion et lucidité, humanité et stratégie.

A l’heure où le sang continue de couler dans les collines de Rutshuru et les plaines de la Ruzizi, cette conférence, si elle ne résout pas tout, aura au moins le mérite de rappeler l’évidence : la paix n’est jamais un don, elle se construit, patiemment, par la volonté politique et la responsabilité partagée.

Reste à savoir si, derrière les discours et les promesses, l’Afrique des Grands Lacs trouvera enfin dans cette initiative française autre chose qu’un énième colloque de bonnes intentions peut-être, le début d’une prise de conscience collective.

La diplomatie française, oscillant subtilement entre compassion et influence, s’avance une fois encore sur la scène africaine.

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