Le mirage de Doha ou quand le pouvoir travestit sa propre parole

Redigé par Tite Gatabazi
Le 9 décembre 2025 à 11:35

Il est des moments où l’Histoire, lasse d’être invoquée sans être comprise, consent à se manifester sous la forme d’une ironie cinglante.

L’adresse solennelle du Président Félix Tshisekedi à la nation, prétendant tirer de l’Accord de Doha avec l’AFC/M23 des engagements qui n’y figurent ni de près ni de loin, relève précisément de cette ironie tragique dont les peuples paient tôt ou tard le prix.

Car à vouloir faire dire à un texte ce qu’il ne dit pas, à lui insuffler des intentions qui ne lui appartiennent pas, le chef de l’État ne se contente pas de commettre une approximation politique : il sape délibérément la crédibilité même de la parole présidentielle, cet ultime rempart symbolique d’une République en recherche désespérée de cohérence.

Que l’on lise et relise l’accord de Doha et Dieu sait qu’il s’y prête tant il est sobre dans sa formulation, rien, absolument rien, n’y préfigure cette cascade de mesures que le Président Tshisekedi présente pourtant comme actées, convenues, paraphées : désengagement militaire, cantonnement, désarmement, démobilisation, réintégration.

Autant de dispositions lourdes, complexes, décisives, que le texte n’énonce pas, que la médiation qatarie n’a pas validées, et que la délégation congolaise n’a manifestement pas négociées. Le décalage est si abyssal qu’il confine à la falsification politique, sinon à la mystification pure et simple.

D’autant plus saisissant est le contraste entre ces annonces emphatiques et la logorrhée martiale dont le Président s’était fait, jusqu’ici, le héraut : « ni mixage ni brassage », répétait-il, en leitmotiv pavlovien, pour signifier au pays que nulle réintégration des combattants M23 n’était envisageable.

Voilà que le même discours, sans ciller, réintroduit ces notions par la petite porte, comme si l’amnésie devait devenir un droit constitutionnel du pouvoir et une obligation morale pour le peuple. À cela s’ajoute l’habituelle litanie sur le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire, refrain aussi usé que déconnecté, tant les faits qui s’accumulent démentent chaque jour un peu plus la capacité réelle du régime à incarner la souveraineté qu’il proclame.

Ainsi va le Président de la République démocratique du Congo : naviguant à vue, recyclant ses propres contradictions, installant durablement dans la vie publique une mécanique de biais, de déni et de retournements qui confine à la méthode.

Ce n’est plus la contingence politique qui est en cause, mais une structure de décision où l’effet d’annonce tient lieu de stratégie, où l’esbroufe remplace la lucidité, et où l’on préfère maquiller les faits plutôt que d’affronter les responsabilités.

Car il y a, dans cette manière d’enjoliver Doha, une tentation dangereuse : celle de substituer le récit à la réalité, l’incantation au courage, la fiction au diagnostic. À force de manipuler le verbe pour masquer l’inconsistance de l’action, le pouvoir affaiblit non seulement sa crédibilité mais aussi la capacité du pays à se penser lui-même dans la vérité.

L’accord de Doha n’est pas ce que le Président dit qu’il est. Et tant que cette évidence sera travestie, aucune sortie de crise ne sera durable, aucun compromis ne sera viable, aucune réconciliation ne sera réelle.

Dans les nations qui vacillent, la première fissure apparaît souvent là où l’on s’y attend le moins : dans la parole présidentielle. Lorsqu’elle cesse d’être fiable, le socle institutionnel s’effrite, la confiance publique s’évapore, et l’avenir politique se construit sur du sable.

Or, à Kinshasa, c’est précisément ce sable mouvant qui semble désormais servir de boussole.

L’adresse de Tshisekedi, prétendant tirer de l’Accord de Doha des engagements inexistants, illustre une ironie tragique aux dépens du peuple

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