Urgent

Quand la RTNC se fait fourrier de la haine

Redigé par Tite Gatabazi
Le 6 octobre 2025 à 11:38

Il est des nuits où les grandes institutions de la République se lèvent comme des spectres et révèlent, dans la clarté blafarde de leurs ondes, le visage exact de la décadence civique.

A la télévision nationale, là où l’on attend et exige la mesure, la véracité et la responsabilité, s’est insinuée une parole qui n’est plus discours mais injonction de haine ; qui n’est plus information mais appel au carnage.

Que l’on ne réduise pas ceci à l’effet d’un excès ponctuel : la récidive, le ton délibérément provocateur et l’audience qu’offre la RTNC à de telles invectives posent une question métaphysique et politique à la fois : qu’est devenue, dans la RDC, la fonction sacrée de la parole publique ?

Le scénario, tristement banal dans les vies malheureuses des démocraties en déroute, suit un registre connu : l’immunisation progressive de la parole contre la loi morale et l’érosion concomitante des frontières qui séparent la critique politique légitime de l’appel à l’extermination.

Quand le journaliste Yves Abdalah, revêtu d’uniforme militaire, promet d’« achever » et de « traquer » des familles dispersées à l’étranger à Toronto, à Londres, à Nairobi, la morale publique n’est plus seulement offensée, elle est mise en péril. Ce n’est pas une simple défaillance éthique : c’est l’établissement d’un précédent funeste où la médiation de l’État devient caisse de résonance d’une violence planifiée.

L’analogie historique impose sa leçon, et elle est terrible : la radio et la télévision, instruments de civilisation, ont déjà, dans des heures sombres, servi de fourrier à des exterminations. Les pages noires de l’histoire rwandaise nous rappellent que la rhétorique de la haine possède une mécanique identifiable : banalisation, stigmatisation, déshumanisation, puis injonction explicite à la violence et que les médias peuvent, en l’espace de semaines, transformer des concitoyens en cibles sacrifiables.

Comparer n’est pas caricaturer : c’est prévenir. L’ombre de la « Radio-Télévision de la haine » plane sur toute société qui tolère l’impunité de ses énonciateurs.

Face à cette dérive, trois impératifs s’imposent, non comme vœux pieux mais comme impératifs catégoriques de l’État de droit.

Premièrement, la sanction immédiate et visible. La liberté d’expression n’est pas un absolu autonome ; elle se cadre d’obligations, et quand elle enfante des menaces de mort publiques, elle dépasse les bornes admises par la constitution et par les conventions internationales auxquelles la RDC a souscrit. L’État doit montrer qu’il a la force de séparer le souverain du criminel, le journaliste du délinquant ; que l’antenne publique n’est pas une zone franche pour l’incitation à la haine.

La refonte structurelle de la gouvernance des médias publics. La RTNC n’est pas une enceinte folklorique : elle est la propriété immatérielle de la nation. Il faut, à la fois, restaurer des mécanismes indépendants de régulation, garantir la transparence des temps d’antenne et instituer des comités de déontologie composés de magistrats, d’universitaires et de représentants de la société civile. La reddition de comptes ne peut être intermittente ; elle doit être systémique.

Mais il serait illusoire de réduire la responsabilité au seul édifice institutionnel : la société civile, les partis d’opposition, les acteurs internationaux, et surtout les confrères du journalisme, ces derniers qui conservent l’autorité morale du verbe, doivent conjurer par une parole haute et continue. Le silence, ici, est complice ; l’indifférence, complicité. Il faut prendre la mesure du péril et le nommer pour ce qu’il est : un ferment de violence qui, si on l’alimente, finira par consumer les liens civiques.

Il serait également vain de n’élever la protestation qu’en termes de simples condamnations rhétoriques. La lutte contre la parole meurtrière suppose des instruments juridiques précis : qualification pénale des incitations publiques à la violence, procédures accélérées pour les cas les plus graves, et coopération internationale pour protéger les ressortissants menacés à l’étranger. L’exil n’est pas un passeport contre la haine ; la République gardienne des droits doit le garantir.

Enfin, et peut-être surtout, rappelons-nous que la force la plus efficace contre la parole qui appelle à tuer reste la force d’une culture civique vigoureuse. L’éducation, la mémoire historique, la promotion d’un débat public éduqué et raisonné constituent la digue la plus sûre. Nous avons connu jadis les catastrophes que produit la propagande : elles ont un nom, un visage et des heures précises. Que ces souvenirs servent d’antidote contre l’oubli et l’amnésie collective.

Que la RTNC se ressaisisse. Que les autorités rappellent, d’un geste clair et non équivoque, que l’antenne publique n’est pas un champ clos où l’on peut cultiver l’appel au meurtre. Que la nation tout entière, à commencer par ses élites morales et politiques, reconquière le langage de la dignité. Car lorsque la parole publique se fait fourrier de la haine, ce n’est pas seulement la victime immédiate qui est en jeu : c’est la substance même de la Cité.

En ces heures où l’on prétend reconstruire la confiance, il serait pathétique de la troquer contre la permission de haïr. L’âme civique ne se négocie pas ; elle se défend.

À la télévision nationale, la parole publique, censée informer, incite désormais à la haine et au carnage, posant une grave question sur sa responsabilité en RDC

Publicité

AJOUTER UN COMMENTAIRE

REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Publicité