En convoquant la réflexion sur la « déstructuration du débat public », le président de la République française se place dans la lignée des rares dirigeants lucides qui mesurent la gravité de cette mutation technologique sans précédent.
Car si Internet fut conçu comme un espace d’émancipation, il s’est progressivement mué en théâtre de l’hystérie collective, en forum sans modération où le vacarme l’emporte sur la raison. Sous l’empire des algorithmes, la parole publique s’est fragmentée, la nuance s’est dissoute, et la vérité, naguère conquise par le débat éclairé, se trouve désormais livrée aux tempêtes des émotions et des manipulations.
L’hyperconnectivité, loin d’élargir l’horizon de la démocratie, en a inversé les fondations : elle a substitué la rumeur au raisonnement, l’indignation à la réflexion, le soupçon à la confiance.
Umberto Eco l’avait prophétisé avec une ironie douloureuse : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles ». Ces « légions » dont parlait le sémiologue italien ne désignent pas le peuple, mais les foules dévoyées par l’illusion du savoir, persuadées que l’opinion, fût-elle infondée, vaut l’expertise.
Le danger n’est pas tant la parole libre que l’égalisation aveugle des compétences et des consciences, ce nivellement par le bas où l’ignorance la plus crasse dispute son autorité à la science la mieux établie.
La Tentation du Chaos Informationnel
Les démocraties modernes, et la France en particulier, font aujourd’hui face à une érosion inédite de la confiance publique. Tout devient soupçonnable : le journaliste serait manipulé, le savant acheté, le juge corrompu, le président menteur. Le scepticisme, autrefois vertu critique, est devenu pathologie collective.
Les réseaux sociaux ont fait exploser les repères traditionnels de la médiation, permettant à chacun de se bâtir une réalité sur mesure, en dehors de tout contrôle rationnel.
C’est cette auto-fragmentation du réel que Macron entend interroger : comment maintenir un débat démocratique lorsque chaque citoyen habite une bulle cognitive, nourrie de contenus qui renforcent ses préjugés ? Comment espérer un dialogue républicain lorsque les plateformes privilégient la colère, la peur et la polémique au détriment de la pensée ?
La « liberté d’expression » y est devenue le paravent d’une tyrannie de la bêtise, où le vacarme des opinions occulte la voix du savoir.
La démocratie, pour survivre, ne peut se réduire à un concours d’invectives. Elle suppose une écologie de la parole publique, une discipline de l’échange et une hiérarchie du vrai. Or l’économie de l’attention qui régit désormais nos comportements numériques valorise l’émotion immédiate, la provocation et le scandale. C’est la logique même du marché qui s’oppose ici à celle de la raison politique.
Pour une responsabilité numérique des nations
En lançant ce débat, Emmanuel Macron ne cherche pas à restreindre la liberté, mais à rétablir la dignité du débat démocratique. Il refuse que la République s’abandonne aux torrents d’invectives qui, chaque jour, noient la pensée sous la rumeur. Son initiative s’inscrit dans une vision à long terme : il ne s’agit pas de censurer, mais d’éduquer, de responsabiliser, de reconstruire un espace civique numérique à la hauteur des valeurs de la démocratie.
Les sociétés modernes doivent apprendre à réguler sans bâillonner, à informer sans manipuler, à connecter sans abrutir. Cela suppose un courage politique rare : celui d’affronter les multinationales du numérique, de poser la question morale de l’algorithme, de redéfinir les conditions d’un espace public sain.
Le président Macron, en posant ce diagnostic, ne prêche pas la nostalgie du passé, mais l’urgence d’un sursaut éthique. Car si la technologie a aboli les distances, elle a aussi creusé un gouffre dans nos consciences.
La démocratie, pour survivre à l’ère des réseaux, doit redevenir un art du discernement. Et c’est précisément ce que rappelle la démarche du chef de l’État : à l’heure où les foules numériques confondent l’opinion et la vérité, il faut, plus que jamais, réapprendre à penser avant de parler, et à écouter avant de juger.














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