Pourtant, lorsqu’il s’agit de l’ordre juridique international, et plus particulièrement du champ des droits de l’homme, force est de constater un hiatus criant entre l’ambition normative et la réalité de l’exécution. La responsabilité internationale pour violation des droits de l’homme, en théorie, devait consacrer la primauté de l’individu comme sujet bénéficiaire de la protection universelle ; en pratique, elle se heurte aux lenteurs, aux tergiversations et aux compromissions des institutions censées en être les garantes.
La spécificité des droits de l’homme, trahie par l’inertie onusienne
Le droit international général repose sur un schéma classique : un fait générateur c’est-à-dire une violation imputable à un État entraîne des conséquences juridiques. Mais, dans le domaine des droits de l’homme, une dimension singulière s’impose : les obligations en cause sont objectives, erga omnes, sans réciprocité contractuelle.
Elles s’adressent à l’humanité dans son ensemble et non à des partenaires ponctuels. C’est là la révolution théorique : l’individu, jadis relégué à la marge du droit international, peut désormais saisir directement des organes de contrôle, sans passer par le filtre étatique.
De surcroît, tout État, même non directement lésé, peut dénoncer une violation, consacrant ainsi le caractère universel et indivisible de ces droits.
Or, cette singularité, qui aurait dû marquer un progrès irréversible, se heurte à l’incapacité structurelle des Nations Unies à en garantir l’effectivité. Les organes onusiens multiplient les rapports, résolutions et admonestations, mais répugnent à assumer la rigueur du mécanisme de responsabilité.
Le Conseil des droits de l’homme, soumis aux calculs géopolitiques, s’est transformé en tribune diplomatique où les États, y compris ceux coupables des pires violations, siègent et votent en toute impunité.
Le Haut-Commissariat, quant à lui, oscille entre indignations rhétoriques et constats dépourvus de suites contraignantes. Ainsi, les Nations Unies trahissent l’esprit même du droit des droits de l’homme, en sacrifiant la logique de responsabilité sur l’autel de l’équilibre politique.
L’écran étatique et l’impuissance des victimes
Dans un ordre idéal, la victime devrait trouver dans les institutions internationales une voie directe et efficace pour faire sanctionner l’État auteur de la violation. En réalité, la scène onusienne réintroduit, par mille détours, l’« écran étatique » que le droit des droits de l’homme prétendait abolir. Les comités conventionnels des Nations Unies, bien qu’ouverts aux communications individuelles, ne disposent d’aucun pouvoir coercitif : leurs décisions ne sont que des recommandations, trop souvent ignorées par les États incriminés.
La protection diplomatique, outil jadis conçu pour défendre les intérêts étatiques, demeure la clef de voûte implicite du système, ravalant l’individu au rang d’instrument d’une politique étrangère sélective.
De même, la prétendue universalité des droits de l’homme se trouve pervertie par le bilatéralisme et la subjectivité des contentieux interétatiques. La possibilité reconnue à tout État de saisir une juridiction internationale pour dénoncer une violation reste largement théorique, car aucun État n’ose affronter le coût politique de telles démarches. L’invocation objective des droits de l’homme se trouve ainsi neutralisée par le silence complaisant des chancelleries et la passivité calculée des Nations Unies.
Une responsabilité confisquée : l’éternel déficit d’effectivité
Les obligations secondaires imposées à l’État, cesser la violation, réparer le préjudice, garantir la non-répétition constituent l’armature juridique de la responsabilité. Mais en matière de droits de l’homme, ces obligations demeurent trop souvent lettre morte.
Les mécanismes onusiens, inspirés des règles générales du droit international, ont été adaptés à la matière sans jamais franchir le seuil de l’efficacité. La Cour européenne des droits de l’homme, dans son exigence de cohérence avec l’ensemble du droit international, offre une jurisprudence qui tranche par sa rigueur. En revanche, au sein des Nations Unies, la dilution des responsabilités, la dépendance aux contributions financières des États et le primat des équilibres diplomatiques paralysent tout processus de sanction.
Ainsi, les Nations Unies s’enlisent dans une contradiction insoutenable : proclamer les droits de l’homme comme valeur cardinale de la communauté internationale, tout en s’avérant incapables de transformer cette proclamation en réalité tangible pour les victimes. Le droit des droits de l’homme, conçu comme une lex specialis émancipatrice, demeure prisonnier de la logique interétatique et des rapports de force.
Un rendez-vous manqué avec l’Histoire
La spécificité de la responsabilité pour violation des droits de l’homme réside dans la centralité accordée à l’individu et dans l’universalité des obligations en cause. Mais cette spécificité, au lieu d’être consacrée, se voit vidée de sa substance par la carence chronique des Nations Unies.
L’institution qui prétend incarner la conscience universelle se révèle, en définitive, le lieu où se négocie l’impunité des bourreaux.
Il est urgent de rappeler que la responsabilité n’est pas un luxe théorique mais un corollaire nécessaire du droit. En refusant de sanctionner les violations massives des droits de l’homme, les Nations Unies érodent leur propre légitimité et trahissent leur raison d’être.
L’Histoire retiendra moins les déclarations solennelles que le silence coupable devant l’injustice. La responsabilité internationale n’a de sens que si elle se traduit par des actes, sans quoi elle n’est qu’une chimère, une promesse non tenue, une abdication face aux tyrannies.

AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!