Partout, la souffrance sociale s’exprime sans écho, confinée dans un silence pesant, comme si le peuple avait désappris à espérer. Les revendications légitimes des travailleurs, des enseignants, des soignants et des agents de l’État se heurtent à une indifférence institutionnelle quasi cynique, transformant la colère en résignation, et la résignation en poison collectif.
Cette rage contenue, invisible mais omniprésente, fissure lentement les fondements mêmes de la légitimité politique, révélant une nation où les voix s’éteignent faute d’être entendues, et où le pouvoir, cloîtré dans sa propre surdité, ne perçoit plus la gravité du grondement souterrain qui enfle sous ses pieds.
L’image est saisissante : les portes closes du Palais du peuple, symbole de la souveraineté nationale, prises d’assaut non par une foule étrangère, mais par ceux-là mêmes qui en assurent le fonctionnement quotidien.
Ce mardi 21 octobre 2025, les agents administratifs de l’Assemblée nationale, en grève illimitée depuis plus d’un mois, ont paralysé la plénière prévue à treize heures, empêchant les députés d’accéder à la salle du congrès. En érigeant des barricades et en bloquant les accès, ils ont donné corps à une exaspération longtemps contenue, née de salaires dérisoires, de primes impayées et d’un mépris institutionnel devenu insupportable.
La scène, à la fois inédite et symptomatique, illustre l’ampleur de la désillusion sociale qui traverse les rouages de l’État congolais. Des témoins ont rapporté des actes de colère : documents officiels déchirés, bureaux saccagés, cris de révolte contre un bureau de l’Assemblée jugé indifférent à la détresse de ses propres employés.
Ainsi, la plénière qui devait entériner le mandat de plusieurs élus, dont celui d’Aimé Boji Sangara, récemment démissionnaire du gouvernement, s’est transformée en symbole d’un dysfonctionnement plus vaste : celui d’un pouvoir public qui n’a plus les moyens de sa propre autorité.
Ce soulèvement silencieux des oubliés de la République rejoint celui, plus large, d’un pays à bout de souffle. Après les médecins, les professeurs d’université, les fonctionnaires de l’administration centrale et les agents des entreprises publiques, c’est désormais le cœur administratif du Parlement qui exprime son désarroi.
Le contraste est cruel : tandis que le gouvernement claironne un budget national de plus de seize milliards de dollars, fruit supposé d’une gestion rigoureuse et d’une croissance retrouvée, les serviteurs de l’État peinent à percevoir leurs maigres salaires, irréguliers et souvent amputés.
Ce paradoxe éclaire la fracture morale qui mine l’appareil d’État. Car au-delà du tumulte d’une journée de colère, c’est la crédibilité même des institutions qui vacille. Comment parler de “bonne gouvernance” quand ceux qui garantissent le fonctionnement du pouvoir législatif doivent descendre dans la rue pour réclamer leur dû ? Comment exiger loyauté, discipline et efficacité dans une administration qu’on abandonne à la misère ?
L’Assemblée nationale, censée incarner la voix du peuple, est devenue le théâtre de sa propre impuissance. En se barricadant dans leur indignation, les agents administratifs ont, sans le vouloir, offert au pays une métaphore saisissante : celle d’un État enfermé dans ses contradictions, incapable d’écouter les siens, et qui, à force d’indifférence, finit par être assiégé de l’intérieur.
La République Démocratique du Congo n’est pas seulement traversée par des crises politiques : elle est rongée par une colère sourde, une lassitude profonde, un sentiment d’injustice qui s’étend de la base au sommet. Et lorsque ceux qui font tourner la machine démocratique cessent d’y croire, c’est la nation entière qui vacille.

AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!