Cette nomination, entérinée le 12 avril dernier par la procédure de silence au sein de l’organisation panafricaine, consacre non seulement le retour d’un acteur ouest-africain dans les cénacles diplomatiques de l’Afrique centrale, mais marque aussi, dans les faits, l’échec des dispositifs antérieurs à circonscrire un conflit désormais enkysté.
À bien des égards, cette initiative rappelle le rôle jadis dévolu à Edem Kodjo, autre illustre fils du Togo, qui s’illustra, dans les années récentes, par son implication dans les arcanes des médiations congolaises. Pourtant, le contexte contemporain présente une gravité d’une autre nature : la RDC s’enlise dans une spirale de violences où les logiques militaires, les enjeux politiques intérieurs et les calculs géopolitiques s’entrelacent dans une trame explosive.
Le 10 août 2016, l’Union africaine investissait Edem Kodjo de la délicate mission de faciliter le dialogue politique en République Démocratique du Congo, dans un contexte de tensions exacerbées entre le pouvoir en place et les forces d’opposition.
Dès les premiers jours de son mandat, l’éminent diplomate togolais s’employa à tisser les premiers fils d’une concertation nationale, en engageant des échanges avec les principaux acteurs de la scène congolaise.
L’un de ses entretiens les plus emblématiques fut celui qu’il mena avec la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), institution ecclésiastique d’un poids moral et politique considérable, souvent perçue comme la conscience vigilante de la nation. Cette initiative traduisait la volonté du facilitateur de s’appuyer sur les relais de légitimité les plus enracinés afin d’ouvrir une voie de conciliation dans un paysage politique profondément fragmenté.
Kinshasa, un pouvoir fragilisé et diplomatiquement esseulé
Le régime du Président Félix Tshisekedi traverse, aujourd’hui, l’une des séquences les plus critiques de son histoire récente. Sur le terrain militaire, les Forces armées de la RDC et ses supplétifs FDLR/wazalendo se montrent incapables de contenir la détermination de l’AFC/M23, dont les avancées se poursuivent en dépit des déclarations martiales et des cessez-le-feu éphémères. Cette impuissance, désormais manifeste, met à nu les vulnérabilités structurelles de l’appareil sécuritaire congolais.
Sur le plan politique intérieur, le pouvoir central peine à maintenir une cohésion nationale effective. L’érosion de la confiance populaire, exacerbée par une gouvernance jugée calamiteuse et peu inclusive, conjuguée à des tensions communautaires attisées par le conflit, entame dangereusement la légitimité institutionnelle du pouvoir. Loin de renforcer l’autorité de Kinshasa, le conflit dans l’Est agit en catalyseur des fragmentations internes.
Quant à la scène diplomatique, elle se caractérise par un isolement progressif du pouvoir congolais. Les accusations répétées portées contre Kigali, accusé de soutenir le M23, ont certes trouvé un certain écho au sein de la communauté internationale, mais n’ont débouché sur aucun rééquilibrage stratégique significatif.
Le départ du médiateur angolais João Lourenço et la multiplication des initiatives parallèles notamment celle conduite par le Qatar traduisent le morcellement du front diplomatique et la difficulté de Kinshasa à maîtriser la dynamique des négociations.
Faure Gnassingbé face à un champ de ruines diplomatique
C’est dans cet environnement délétère que le Président togolais est appelé à intervenir. Sa mission s’annonce d’une rare complexité. Elle devra, en premier lieu, restaurer un minimum de confiance entre des parties que tout oppose et dont la bonne foi est régulièrement mise en doute. Les précédentes médiations se sont systématiquement heurtées à un mur de suspicion réciproque, nourri par des cessez-le-feu sans lendemain et des violations répétées des engagements pris.
Ensuite, il lui faudra harmoniser des processus de paix disparates celui de Nairobi sous l’égide de la Communauté d’Afrique de l’Est et celui de Luanda conduit par l’Angola qui, jusqu’ici, n’ont guère permis de construire un cadre de négociation unifié.
Cette absence de cohérence stratégique a contribué à affaiblir la portée des initiatives diplomatiques et à renforcer l’intransigeance des acteurs en conflit.
Par ailleurs, Faure Gnassingbé devra nécessairement composer avec la médiation qatarie en cours, qui s’est donnée pour ambition d’initier des pourparlers directs entre Kinshasa et les insurgés de l’AFC/M23. La coordination entre ces différentes démarches conditionnera la lisibilité et la crédibilité du dispositif de médiation, et partant, ses chances de succès.
Un pari diplomatique dans un contexte géopolitique fragmenté
Au-delà des contingences diplomatiques, cette médiation se déroule dans une région où les intérêts géopolitiques se croisent, souvent de manière antagoniste. Les ambitions économiques, les rivalités transfrontalières et les agendas sécuritaires des puissances régionales pèsent de tout leur poids sur l’évolution du conflit. La RDC, privée d’atouts militaires décisifs et d’appuis diplomatiques solides, aborde cette séquence dans une position objectivement défavorable.
C’est donc un champ de ruines diplomatique que le président togolais s’apprête à arpenter. Le succès de son entreprise dépendra autant de sa capacité à instaurer un dialogue sincère entre des acteurs aux agendas irréconciliables que de sa faculté à résister aux pesanteurs géopolitiques et aux logiques de puissance qui gangrènent la région.
Faure Gnassingbé, en se voyant confier ce rôle, renoue certes avec la tradition de médiation togolaise incarnée par Edem Kodjo, mais s’engage dans une mission où les marges de manœuvre sont étroites et où les risques de désillusion sont considérables. L’histoire jugera.

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