Le péché originel d’une gouvernance chancelante en RDC

Redigé par Tite Gatabazi
Le 10 août 2025 à 12:49

Il est des événements qui, sous des apparences d’ordre et de légalité, portent en eux les germes d’un dérèglement profond. L’élection présidentielle et législative de décembre 2018 en République démocratique du Congo appartient à cette catégorie. Ce scrutin, présenté comme la promesse d’une alternance apaisée après dix-huit années de règne de Joseph Kabila, s’est mué en un traumatisme institutionnel dont la société congolaise ne s’est jamais remise.

Conçu dans un climat de suspicion, nourri par des retards inexpliqués et entaché d’irrégularités manifestes, il fut administré par une Commission électorale nationale indépendante (CENI) dont le fonctionnement opaque attisa les doutes au lieu de les dissiper. Les anomalies techniques, l’usage contesté de machines à voter et la communication lacunaire des taux de participation ont créé un terrain fertile pour les arrangements obscurs.

Dès les premières heures, un parfum d’irrégularité s’est mêlé au souffle démocratique espéré. Les observateurs nationaux et internationaux, au premier rang desquels l’Église catholique, constatèrent des écarts significatifs entre les comptages parallèles et les résultats proclamés. L’impression qui s’est imposée est que l’issue du scrutin ne relevait pas du verdict des urnes, mais d’un arbitrage politique au sommet.

La République en otage : pactes secrets et continuité du système

La version officieuse qui se répandit alors, celle d’un accord discret entre le pouvoir sortant et l’un des principaux candidats, si elle n’a jamais été confirmée par un document officiel, trouva une crédibilité dans la configuration même du pouvoir post-électoral. Félix Tshisekedi, proclamé vainqueur, hérita d’un appareil d’État dont les leviers essentiels restaient aux mains de la coalition kabiliste.

Cette situation illustre la perversité d’un processus électoral capturé : l’alternance devient purement formelle, les réseaux d’influence survivent et la transition se fait à huis clos, entre initiés, loin des attentes citoyennes. Les élections cessent alors d’être l’outil d’une souveraineté populaire pour se transformer en instrument de transactions, un marché politique où le pouvoir se négocie plus qu’il ne se conquiert.

L’échec de 2018 a ainsi renforcé la culture politique de l’« arrière-salle » : la décision publique se fabrique en dehors de l’espace civique, dans l’opacité des conciliabules et au gré des marchandages de postes et d’avantages. La République s’est trouvée placée sous tutelle de logiques clientélistes, et la gouvernance est entrée dans un état de paralysie latente, incapable de trancher sur les grandes réformes par crainte d’ébranler des équilibres précaires.

Les répliques : délégitimation, radicalisation et impasse politique

L’effet le plus corrosif de ce scrutin vicié fut la dégradation irréversible de la légitimité politique. Un président élu dans la controverse n’a ni la force morale ni l’assise institutionnelle pour engager des réformes de rupture. La défiance, loin de se résorber avec le temps, s’est incrustée dans le corps politique et social.

Cette perte de légitimité a produit deux conséquences majeures. La première est la fragilisation des institutions : affaiblies, elles se sont muées en instruments de prédation au service de clans et d’individus, substituant la fidélité aux réseaux à l’obligation de servir l’intérêt général. La seconde est la radicalisation d’une partie des acteurs politiques, qui, se sentant exclus de toute perspective électorale honnête, se tournent vers des formes de contestation extraparlementaire, voire armée.
Le symbole le plus troublant de cette dérive est le parcours de la figure de la CENI qui, après avoir géré un scrutin contesté, s’est retrouvé impliqué dans un mouvement rebelle. Ce passage de l’arène électorale au champ militaire illustre, jusqu’à la caricature, la faillite d’un système où la voie pacifique du suffrage est perçue comme une impasse.

Rompre le cercle : refonder la République sur le mérite

Continuer à organiser des « élections de pacotille » pour entretenir l’illusion d’une démocratie fonctionnelle relève d’un cynisme destructeur. Si la République démocratique du Congo veut se libérer de ce cercle vicieux, elle doit engager une réforme profonde, à la fois technique et éthique, de son système électoral.

Enfin, cette refondation doit s’accompagner d’une réparation morale : commissions de vérité électorale, poursuites judiciaires contre les auteurs de fraudes, et dialogue national autour des règles du jeu démocratique. La République du mérite ne naîtra pas d’une réforme cosmétique mais d’une rupture nette avec les pratiques de falsification, d’achat d’influence et de marchandisation du vote.

L’élection de 2018 n’est pas seulement un rendez-vous manqué : elle est la matrice d’une crise politique qui perdure, le péché originel d’une gouvernance à la légitimité précaire. Tant que ce chapitre ne sera pas refermé par un acte clair de vérité et de réforme, la RDC continuera de naviguer entre simulacre démocratique et paralysie institutionnelle.

Restaurer la primauté du mérite sur le calcul des coulisses, rendre aux urnes leur fonction sacrée de porte-voix du peuple : tel est l’impératif moral et politique sans lequel aucune alternance ne sera véritable, et aucune République ne sera solide.

L’élection présidentielle et législative de décembre 2018 en RDC, promise comme une transition pacifique, a finalement plongé le pays dans un profond traumatisme institutionnel

Publicité

AJOUTER UN COMMENTAIRE

REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Publicité