Lors de son discours d’investiture le 12 décembre 2024, Mukantaganzwa a mis en avant sa vision d’une justice rapide, équitable et accessible à tous les citoyens rwandais.
Dans un entretien exclusif avec IGIHE, elle a présenté ses principales priorités pour améliorer le système judiciaire et répondre aux attentes des Rwandais.
IGIHE : Quelles sont vos priorités après avoir prêté serment dans vos nouvelles fonctions ?
Domitilla Mukantaganzwa :
Ma première mission sera de comprendre en profondeur le fonctionnement de notre système judiciaire, y compris ses structures et ses acteurs.
Ensuite, nous devrons travailler ensemble pour résoudre les problèmes déjà identifiés, en particulier l’accumulation de dossiers devant les tribunaux et le manque de personnel. Nous chercherons des solutions concrètes et efficaces pour pallier ces insuffisances.
Un autre défi majeur est le sentiment généralisé d’insatisfaction face aux décisions judiciaires. Beaucoup pensent qu’il est impossible d’obtenir justice sans payer des pots-de-vin, et les perdants d’un procès estiment souvent que les verdicts sont biaisés. Nous devons agir pour restaurer la confiance dans le système judiciaire.
En matière de résolution des conflits, il est important de rappeler que le procès n’est pas l’unique voie. Il existe des mécanismes alternatifs, notamment la médiation, qui permet de résoudre les litiges tout en rétablissant la paix entre les parties.
Ce mode de règlement est particulièrement efficace pour les infractions mineures. En favorisant le dialogue entre l’auteur et la victime, on obtient des résultats durables et satisfaisants, avec des parties qui réapprennent à cohabiter et à reconstruire ensemble.
Dans l’ensemble, je crois que le recours accru à ces solutions réconciliatrices peut désengorger les tribunaux tout en contribuant à la cohésion sociale. Mon rôle sera de promouvoir ces approches et de veiller à ce que le système judiciaire réponde aux besoins des citoyens.
IGIHE : Quelles sont les nouvelles mesures envisagées pour résoudre le problème de l’accumulation des affaires judiciaires ?
Mukantaganzwa :
Pour réduire le volume important des dossiers dans les tribunaux, il faut d’abord les classer en différentes catégories, selon leur nature et leur gravité.
Par exemple, pour les affaires civiles, il est souvent possible de trouver un compromis entre les parties. Même dans certaines affaires pénales, il existe des cas où une médiation entre l’auteur et la victime peut être une solution rapide et efficace.
Chaque dossier est unique et n’a pas la même complexité. Certains sont simples, d’autres nécessitent des enquêtes approfondies ou encore l’intervention de plusieurs parties prenantes.
Une stratégie efficace et durable repose sur une collaboration avec d’autres institutions et une sensibilisation des citoyens aux alternatives au procès.
Il est crucial qu’ils comprennent qu’il existe d’autres moyens de résoudre leurs conflits sans passer systématiquement par les tribunaux.
Ces mesures s’inscrivent dans le cadre de la politique judiciaire de notre pays, adoptée par le gouvernement, qui met l’accent sur la médiation et une nouvelle approche en matière de justice pénale.
L’objectif est de promouvoir la réconciliation et la réintégration, permettant aux auteurs de corriger leurs erreurs, de purger leur peine, mais aussi de se reconstruire pour contribuer au développement du pays.
Ces politiques, alignées sur nos lois actuelles, offrent des solutions durables pour désengorger les tribunaux et réduire la surpopulation carcérale.
IGIHE : Quelles sont vos stratégies pour lutter contre la corruption dans les tribunaux ?
Mukantaganzwa :
La corruption est un comportement individuel et non une caractéristique propre à une institution.
Les mesures existantes stipulent qu’un employé ou un juge pris en flagrant délit de corruption doit être poursuivi.
Pour un juge, c’est encore plus grave, car il perd toute crédibilité et intégrité. Dans de tels cas, le Conseil Supérieur de la Magistrature peut même décider de l’exclure.
La corruption est un crime sérieux, non seulement pour les juges, mais pour toute personne impliquée. Cependant, il existe aussi des perceptions exagérées de la corruption.
Par exemple, dans des affaires impliquant des personnalités influentes ou fortunées, si l’une d’elles gagne le procès, certains pensent automatiquement qu’il y a eu corruption.
Cette perception, parfois infondée, constitue une forme de défi supplémentaire pour le système judiciaire.
Nous devons donc renforcer la confiance des citoyens dans la justice en leur garantissant un système transparent et impartial, tout en luttant fermement contre toute forme de corruption réelle.
IGIHE : Prévoyez-vous d’utiliser davantage la technologie pour réduire l’accumulation des affaires judiciaires ?
Mukantaganzwa :
La technologie, dans toutes les institutions, pas seulement dans le domaine judiciaire, est un outil efficace pour améliorer et accélérer le travail.
Là où cela est possible, elle devrait être utilisée. Cependant, certaines situations exigent des rencontres en présentiel et des procès en face-à-face.
Cela dit, je ne pense pas que la technologie puisse, à elle seule, résoudre le problème de l’accumulation des affaires. Non ! Ce phénomène est, selon moi, davantage lié à notre mentalité en tant que Rwandais.
Par exemple, si quelqu’un te vole un simple objet, comme ton stylo, ton premier réflexe est de porter plainte au tribunal, au lieu d’envisager une autre solution.
IGIHE : Certaines affaires ne méritent-elles pas d’être jugées en tribunal ?
Mukantaganzwa :
Effectivement, certaines affaires portées devant les tribunaux pourraient être réglées autrement.
Par exemple, deux personnes se disputent dans un bar après avoir bu, une bagarre éclate, et cela devient une affaire judiciaire. Pourtant, une fois sobres, elles auraient pu se réconcilier facilement.
Prenons également les disputes conjugales. Parfois, un conflit éclate, un voisin alerte les autorités pour « violence domestique », et l’un des conjoints est arrêté. Le lendemain, l’épouse vient demander : « Rendez-moi mon mari. » Cela montre que ces situations pourraient être réglées différemment, sans systématiquement recourir aux tribunaux.
La justice n’existe pas uniquement pour appliquer des lois, mais pour résoudre des conflits tout en préservant les relations entre les parties concernées.
Lorsqu’il est possible de dialoguer, de revenir sur les faits et de réfléchir ensemble, cela peut souvent éviter un procès.
Par exemple, une femme nous a un jour expliqué qu’elle et son mari avaient tous deux trop bu et que c’est elle qui était à l’origine des disputes.
Dans ce cas, il aurait suffi de les accompagner dans leur réflexion et leur réconciliation au lieu de pousser l’affaire jusqu’à la Cour suprême.
C’est pourquoi il est essentiel d’examiner chaque dossier en détail et de comprendre son contexte avant de décider de le juger. Certes, certains crimes graves, comme la trahison, la corruption, les
abus sur enfants ou les délits économiques, doivent être jugés sans compromis. Mais pour d’autres conflits mineurs, il existe des alternatives qui méritent d’être explorées.
Nous ne devons pas aborder la justice de manière automatique, comme si chaque affaire était identique. Il est crucial d’impliquer la population dans la recherche de solutions adaptées.
Si tu demandes aux habitants d’un village comment résoudre un différend foncier, ils auront souvent une réponse qui ne passe pas par le tribunal. C’est cette collaboration qui peut réellement désengorger notre système judiciaire.
Quelle conduite pour les acteurs de la justice ?
Mon message à leur intention est simple : qu’ils restent déterminés et collaborent pour promouvoir le développement de notre pays.
Ils doivent rendre des jugements fondés sur la vérité et l’intégrité, des jugements justes et exempts de toute contestation. Avant de prendre une décision, ils devraient toujours se demander : Comment cette décision sera-t-elle perçue par les citoyens ? Mais surtout, se poser la question essentielle : Est-ce que cette décision respecte la loi ? Si quelqu’un venait me demander sur quoi je me suis basé, aurais-je des arguments solides et légaux pour justifier ma décision ?
Chaque décision prise, qu’elle émane d’un seul juge ou d’une formation de plusieurs juges, peut avoir des conséquences considérables.
Lorsqu’une décision entraîne des effets négatifs, elle peut ternir l’image de tout le système judiciaire et, par extension, du pays. Les gens diront alors : « Voilà ce qu’est la justice au Rwanda. »
Il est donc crucial que les juges soient conscients qu’une mauvaise décision, au lieu de rassembler les Rwandais, peut les diviser.
Il leur incombe de toujours agir en gardant à l’esprit que chaque décision engage l’ensemble de l’institution judiciaire et peut impacter la cohésion nationale.
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