Quand l’obscurité devient le visage du pays

Redigé par Tite Gatabazi
Le 10 août 2025 à 12:18

Depuis plusieurs jours, le Burundi est plongé dans une obscurité quasi totale. Les coupures d’électricité, généralisées et prolongées, ne se limitent pas à un désagrément domestique : elles paralysent les hopitaux, les banques, figent le commerce, neutralisent les services essentiels et condamnent l’activité économique à une asphyxie accélérée.

Les groupes électrogènes, ultime recours des entreprises et des institutions, sont à court de carburant. Les réseaux de télécommunication s’effondrent, les stations-service sont à sec et les étagères des magasins se vident à vue d’œil.

Ce tableau, qui pourrait passer pour la conséquence d’une catastrophe naturelle ou d’un conflit armé, est en réalité le fruit amer d’une longue dérive politique et économique. La panne d’électricité n’est que la manifestation visible d’une panne plus grave encore : celle de l’État lui-même.

Prédation et incompétence : l’alliance fatale

La situation actuelle n’est pas le produit du hasard. Elle résulte d’une mécanique implacable où la pauvreté structurelle s’additionne à la prédation méthodique des maigres ressources disponibles. Les infrastructures, déjà obsolètes, n’ont jamais bénéficié des investissements indispensables à leur modernisation. Les recettes publiques, détournées ou dilapidées, servent davantage à entretenir des clientèles politiques qu’à financer des services publics.

À cela s’ajoute une incompétence notoire dans la gestion des crises. Les dirigeants, confrontés à une urgence d’ampleur nationale, se révèlent incapables d’apporter des réponses concrètes, faute de vision, de compétences techniques et, osons le dire, de volonté politique. Dans un État capturé par des intérêts privés et dominé par la logique des clans, le bien commun n’est plus qu’une notion abstraite, sacrifiée sur l’autel de la survie au pouvoir.

Les répercussions sociales et politiques d’un blackout prolongé

Les conséquences de cette paralysie énergétique dépassent de loin l’inconfort matériel. Dans les campagnes comme dans les villes, la rupture d’approvisionnement et la dégradation des services essentiels aggravent une misère déjà chronique. Les petits commerçants, privés de réfrigération, voient leurs stocks se perdre ; les hôpitaux, faute de courant, basculent dans un régime de soins minimaliste, parfois mortel.

Cette situation creuse davantage le fossé entre un pouvoir retranché dans ses privilèges et une population abandonnée à elle-même. La colère gronde, mais elle se heurte à un mur d’indifférence. Le pouvoir, arc-bouté sur ses certitudes et ses réseaux, feint de ne pas entendre l’exaspération populaire. Dans ce silence officiel, c’est l’arrogance du déni qui répond à la détresse.

Une crise révélatrice d’un État en faillite fonctionnelle

Ce black-out prolongé n’est pas seulement un incident énergétique : il est le symbole d’une faillite fonctionnelle. Dans un État qui ne parvient ni à garantir l’accès continu à l’électricité ni à sécuriser l’approvisionnement en carburant, la notion même de souveraineté se trouve vidée de sa substance.

Les nations ne se mesurent pas seulement à leurs discours officiels, mais à leur capacité concrète à assurer la continuité des services vitaux. Or, lorsque les infrastructures s’effondrent, que les télécommunications s’éteignent et que l’économie se fige, c’est tout l’édifice de l’autorité publique qui vacille. L’énergie, au sens littéral comme au sens figuré, est le sang qui irrigue un pays : lorsque ce flux s’interrompt, c’est la vie nationale elle-même qui s’étiole.

Briser le cercle vicieux : l’urgence d’une refondation

Sortir de cette impasse exige bien plus que des mesures techniques ponctuelles. Il faut briser le cercle vicieux de la pauvreté organisée et de la prédation institutionnalisée. Cela suppose une réorientation radicale des priorités nationales : investir dans les infrastructures, sécuriser les chaînes d’approvisionnement, restaurer la transparence dans la gestion des ressources publiques et, surtout, assainir le système politique pour en extirper l’emprise des clans et des réseaux prédateurs.

Tant que l’appareil d’État restera prisonnier de logiques patrimoniales, la population burundaise demeurera à la merci des pannes, des pénuries et des effondrements. Il ne s’agit plus seulement de rétablir la lumière dans les foyers, mais de rallumer la flamme d’un projet national authentique, fondé sur la compétence, la probité et le service du bien commun.

Le Burundi ne souffre pas uniquement d’un déficit énergétique : il souffre d’un déficit de gouvernance. La nuit qui enveloppe aujourd’hui le pays est moins celle des ampoules éteintes que celle d’un horizon politique obscurci par l’incurie et la cupidité. Tant que cette nuit-là ne sera pas dissipée par une volonté de réforme réelle, chaque coupure de courant rappellera à la population que, dans ce pays, l’obscurité n’est pas un accident : elle est devenue un système.

Depuis plusieurs jours, le Burundi connaît des coupures d’électricité massives qui paralysent hôpitaux, banques et commerces, menaçant gravement l’économie du pays

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