A quelques mois d’intervalle seulement, en 1994, sur les collines du Rwanda, s’était joué un drame d’une ampleur encore plus effroyable : l’extermination planifiée de plus d’un million de tutsi par le régime extrémiste hutu, sous les yeux d’une communauté internationale pétrifiée par l’inaction.
Dans les deux cas, Srebrenica comme Kigali, les puissances dites civilisées, arc-boutées sur leur prudence diplomatique et leur frilosité politique, ont laissé libre cours à une sauvagerie méthodiquement orchestrée.
A Srebrenica, les Casques bleus néerlandais, mandatés pour protéger une « zone de sécurité » proclamée par les Nations unies, assistèrent impuissants à l’assaut meurtrier des troupes de Ratko Mladić.
Au Rwanda, la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), réduite à peau de chagrin après le retrait de ses contingents les plus importants, demeura spectatrice d’un génocide que nombre de chancelleries occidentales s’obstinèrent à ne pas nommer.
Le silence des puissants : une constante dans la hiérarchie des vies humaines
La similitude entre ces deux tragédies ne tient pas seulement à leur sauvagerie ou à leur temporalité. Elle se loge surtout dans l’évidente hiérarchie des vies humaines que révèle l’inaction de la communauté internationale. En Bosnie comme au Rwanda, le refus de nommer les crimes, la lenteur coupable des réactions et la fragmentation des responsabilités ont conduit à une faillite morale sans précédent.
L’argument de la complexité locale, souvent invoqué pour masquer l’inertie des institutions internationales, s’est avéré être un voile commode pour couvrir l’indifférence.
En 1994, à Kigali, le Conseil de sécurité tergiversait encore pendant que les collines se couvraient de cadavres. La France, les États-Unis, la Belgique, chacun selon ses intérêts stratégiques préféra différer toute intervention sous prétexte de neutralité, de prudence ou de calcul diplomatique.
En 1995, à Srebrenica, ce fut la même léthargie meurtrière qui prévalut. L’Europe, tout juste sortie de la guerre froide, se révéla incapable d’assumer sa propre sécurité, laissant aux États-Unis le soin d’intervenir tardivement pour mettre fin à la tragédie bosniaque.
Devoir de mémoire et géopolitique du déni : quand les fantômes de l’histoire hantent le présent
Trente ans après, les dénégations persistent, et les révisionnismes prolifèrent. En Bosnie-Herzégovine, la Republika Srpska de Milorad Dodik s’emploie méthodiquement à contester la réalité du génocide de Srebrenica.
Plus grave encore, le négationnisme est devenu un outil politique de fragmentation territoriale, alimenté par des ingérences soucieuses d’attiser les foyers de déstabilisation aux portes de l’Union européenne.
Ce même déni structurel se retrouve dans le traitement du génocide contre les Tutsi : malgré les avancées judiciaires du TPIR, les entreprises de révision historique, notamment dans certaines sphères occidentales, tentent encore d’en relativiser l’ampleur ou de déplacer la focale sur des lectures concurrentes et fallacieuses du conflit.
Le ministre français délégué à l’Europe, Benjamin Haddad, en rappelant récemment que « Srebrenica est un génocide sur le sol européen que nous avons été incapables d’empêcher », acte une lucidité tardive mais nécessaire.
Pourtant, cette reconnaissance demeure partielle tant qu’elle ne s’accompagne pas d’une introspection similaire sur l’aveuglement volontaire au Rwanda. Commemorer, ce n’est pas seulement se souvenir : c’est se confronter à l’insoutenable vérité que l’institution onusienne, garante théorique de la paix, fut à la fois complice par passivité et instrumentalisée par les intérêts nationaux divergents.
En définitive, Srebrenica et Kigali demeurent les noms jumeaux d’une faillite systémique de la gouvernance internationale face au crime absolu.
A l’heure où l’Europe s’interroge sur son avenir sécuritaire et géopolitique, la seule mémoire digne est celle qui engage à prévenir, à reconnaître et à nommer, sans équivoque ni cynisme, les tragédies humaines lorsqu’elles surgissent et surtout avant qu’il ne soit trop tard.

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