Tshisekedi ou la force sans le droit

Redigé par Tite Gatabazi
Le 7 mai 2025 à 01:13

La crise que traverse aujourd’hui la République démocratique du Congo ne saurait être réduite à une simple défaillance administrative ou à un dysfonctionnement conjoncturel des appareils étatiques ; elle manifeste, de manière plus profonde et plus inquiétante, une désarticulation du régime lui-même, entendu comme configuration historico-institutionnelle de légitimation du pouvoir.

Le régime, en son essence, est en crise lorsque le fondement de l’autorité cesse d’être partagé, lorsque les fictions collectives qui sous-tendent l’obéissance civique : Constitution, suffrage, équilibre des pouvoirs, perdent leur capacité à structurer l’imaginaire politique.

Or, dans cette conjoncture incertaine, marquée par l’hypertrophie de l’exécutif, la neutralisation rampante des contre-pouvoirs et l’effondrement du langage public, on assiste à une forme de dislocation silencieuse de l’État de droit, au profit d’un césarisme informel et personnalisant. Cette dynamique, d’autant plus pernicieuse qu’elle se pare des atours du républicanisme électoral, exige de ceux qui conservent encore quelque lucidité, juristes, intellectuels, militants, citoyens critiques, une attention de chaque instant, un surcroît de vigilance théorique et pratique.

Car c’est toujours dans les périodes d’indétermination historique que se forgent les inflexions durables : le silence des lucides y est une abdication, leur parole, un acte fondateur.

Le crépuscule de la légalité : le pouvoir contre les institutions

En République démocratique du Congo, le pouvoir semble désormais livré à une tentation inquiétante : celle de substituer à l’architecture du droit la nudité de la force, et à l’autorité institutionnelle la seule verticalité d’une volonté solitaire. En désarmant les mécanismes de régulation démocratique, en réduisant la loi à une variable d’ajustement politique, Félix Tshisekedi entérine un basculement silencieux mais décisif. Ce que révèle cette inflexion n’est pas seulement une crise de gouvernance, mais bien une crise de régime, où l’État de droit est progressivement vidé de sa substance au profit d’une gestion patrimoniale du pouvoir, au mépris des principes élémentaires de redevabilité et de séparation des pouvoirs.

Les récentes déclarations de Nicolas Kazadi, figure centrale du sérail présidentiel et ex-ministre des Finances, viennent accréditer cette dérive. Lorsqu’un homme aussi proche du pouvoir en vient à dénoncer ce qu’il nomme sans ambages une « association de malfaiteurs » au sommet de l’État, ce n’est pas un simple désaveu c’est une déflagration.

C’est l’aveu intérieur d’un système qui vacille, rongé de l’intérieur par ses propres affidés. Ces paroles, d’autant plus lourdes qu’elles émanent du cœur du dispositif, disent moins la chute d’un homme que celle d’un ordre, d’une légitimité, d’un pacte politique que l’on croyait encore viable.

L’extase du pouvoir, l’aliénation du politique

La crise congolaise ne tient pas seulement à une gouvernance défaillante : elle révèle une pathologie plus ancienne et plus profonde, celle d’un pouvoir fasciné par sa propre image, absorbé dans une extase narcissique qui le coupe progressivement du réel.

A la verticalité de la force répond l’horizontalité d’une déréliction morale, d’un silence organisé, d’un consentement extorqué. Le régime Tshisekedi ne règne plus au nom d’un idéal, mais par le seul fait de durer. Il gouverne sans convaincre, administre sans espérer, promet sans croire. Ce n’est plus un pouvoir politique : c’est une gestion affective du désastre.

Dans ce climat délétère, l’aliénation prend les traits de l’évidence. L’État devient une scène de théâtre où les fonctions sont jouées sans conviction, où la légalité est performée sans substance, où les institutions ne sont plus que les ombres d’elles-mêmes. L’extase du pouvoir, c’est celle d’un homme seul, investi de sa propre sacralité, parlant au nom d’un peuple qu’il ne consulte plus, qu’il n’écoute plus, qu’il ne voit plus. La politique n’est plus la médiation du commun, mais l’invocation mystique d’une souveraineté dévitalisée.

Les degrés de l’attention : qui reste encore lucide ?

Dans cet univers de fausses évidences, quelques voix demeurent, rares, fragiles, parfois inaudibles. Il existe encore, dans les interstices du silence général, des attentions qui veillent, des consciences qui refusent l’assoupissement.

Mais elles sont de plus en plus seules, de plus en plus minoritaires. Le temps est celui d’une solitude politique : solitude du pouvoir, bien sûr, enfermé dans sa propre fiction, mais surtout solitude des lucides, des éveillés, des résistants de l’intime.

L’histoire nous enseigne que les basculements ne se jugent jamais à leur surface. Il faut sonder les seuils imperceptibles où le droit cède devant la brutalité, où l’éthique politique se dissout dans la jouissance de l’impunité.

Ce seuil, la République démocratique du Congo l’a franchi. L’heure est venue de penser, en creux, les mobilisations qu’exige ce moment. Il ne suffit plus de dénoncer : il faut construire une autre grammaire du politique, un autre imaginaire du pouvoir, une autre idée de la République.

Ceux qui restent lucides n’ont pas le droit de se taire. Car ce silence-là serait complice.

La crise que traverse aujourd’hui la République démocratique du Congo ne saurait être réduite à une simple défaillance administrative

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