Doha ou la fin d’une rhétorique epuisée de Kinshasa

Redigé par Tite Gatabazi
Le 17 novembre 2025 à 11:46

Le plus grand mérite de Doha, au-delà des illusions diplomatiques qu’il a pu entretenir, aura sans doute été de réduire à néant la rhétorique victimaire dont Kinshasa s’était si longtemps drapée pour masquer l’inconsistance de ses choix stratégiques.

Cet accord, en dépit de son évidente fragilité, a imposé à la présidence congolaise un brusque aggiornamento linguistique, révélant le caractère profondément contingent pour ne pas dire opportuniste de son discours officiel.

Car enfin, quel renversement spectaculaire que celui observé dans le champ lexical présidentiel : hier encore, l’Est du pays était décrit comme le théâtre d’une « agression étrangère », l’ennemi désigné sans nuance, l’étiquette « rebelle » accolée à toute formation politico-militaire quelle qu’en soit la complexité et les frontières semantiques tracées à la hache Rwandais contre Congolais, agresseurs contre victimes, supplétifs contre patriotes autoproclamés.

Les imprécations faisaient office de politique, les menaces verbales tenaient lieu de stratégie, et la confusion, soigneusement entretenue, épaississait un brouillard où chacun finissait par se perdre, y compris ses propres instigateurs.

Or, voici que Doha oblige Kinshasa à remiser cette mise en scène éculée. L’on découvre alors que le pouvoir, si prompt hier à l’invective, se découvre soudain un goût pour la mesure : ceux qui étaient voués aux gémonies deviennent partenaires de négociation, les « pantins » d’hier se transforment en « décideurs », la « ligne rouge » se mue en « feu vert », et les acteurs naguère voués au mépris se voient offrir accolades et sourires dans les coulisses du sommet qatari.

Cette métamorphose lexicale, loin d’être anodine, dévoile une vérité essentielle : ce n’est pas la situation militaire qui a changé, mais le confort politique du discours qui s’est érodé. Doha, en somme, a forcé Kinshasa à faire face à la fatigue de sa propre narration, à l’essoufflement d’éléments de langage devenus si contradictoires qu’ils creusaient les sillons d’un chaos communicationnel.

La Diplomatie comme Théâtre des Contradictions

La facilité avec laquelle la présidence congolaise a renoncé à son lexique belliqueux donne la mesure de son caractère performatif plutôt que descriptif. Ce vocabulaire ne servait pas à nommer le réel ; il servait à gouverner l’émotion, à légitimer des choix militaires incertains, à mobiliser une opinion épuisée et à reporter indéfiniment les responsabilités internes sur un ennemi extérieur fantasmé.

Mais à Doha, ce théâtre s’est fissuré. Confrontée à la nécessité de s’asseoir à la même table que ceux qu’elle vouait hier encore à la destruction, la communication officielle a dû se réinventer dans l’urgence, troquant la fulmination pour l’emphase diplomatique, l’exclusion catégorique pour l’ambiguïté constructive.

Ainsi assiste-t-on à des scènes presque ubuesques où les insultes d’hier se muent en gestes de fraternité, où les escarmouches verbales sont remplacées par des sourires apprêtés, où les termes de mépris cèdent la place à une reconnaissance tacite.

Doha a donc, malgré lui, mis en lumière la malléabilité sidérante d’un discours qui se voulait inflexible mais qui, à la première contrainte internationale, se renverse comme un sablier retourné.

Il fallait l’avouer : l’on s’y perdait. Ce n’était pas tant la nation qui se débattait dans les contradictions, que son propre gouvernement, prisonnier d’une parole qu’il avait lui-même rendue incohérente. Les éléments de langage, multipliés jusqu’au vertige, ont fini par brouiller toute perception du conflit, révélant moins la complexité de la crise que l’errance sémantique de ses auteurs.

Doha, en définitive, aura offert une leçon involontaire : lorsqu’un pouvoir change de vocabulaire plus vite que de stratégie, ce n’est pas la politique qui évolue, mais l’illusion qui se dissipe.

Doha a surtout mis fin à la rhétorique victimaire de Kinshasa, révélant l’incohérence de ses choix stratégiques

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