La nation, berceau de la première république noire et symbole d’émancipation pour les peuples opprimés, se trouve aujourd’hui livrée à des bandes armées sanguinaires qui, profitant du vide institutionnel et de l’effondrement de l’autorité étatique, imposent leur loi dans un climat de terreur et de prédation généralisée.
Port-au-Prince, jadis cité bruissante de vie et de culture, offre désormais le spectacle apocalyptique d’une capitale livrée aux exactions des gangs. Les commissariats en flammes, les corps sans vie jonchant les chaussées, les barricades de fortune hérissées dans les rues, les tirs nourris de mitrailleuses qui résonnent sans discontinuer : tout cela compose le funeste quotidien d’une population livrée à elle-même, contrainte à l’exil intérieur ou à la fuite désespérée.
Cette insurrection criminelle, loin d’être un phénomène nouveau, s’inscrit dans le prolongement d’une lente décomposition politique, économique et sociale, que les observateurs avisés avaient maintes fois annoncée. Mais ce qui naguère relevait de l’alerte prémonitoire s’est désormais mué en tragédie accomplie. Selon les chiffres les plus récents, pour les seuls mois de février et mars 2025, plus de 1 086 personnes ont été massacrées, tandis que 383 autres étaient blessées, victimes collatérales d’une guerre que les institutions républicaines, exsangues et disloquées, sont incapables de contenir.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies, réuni en session d’urgence, a été saisi de la gravité de la situation. Maria Isabel Salvador, représentante spéciale de l’ONU en Haïti, n’a pas hésité à qualifier l’état actuel du pays de prélude au chaos total, avertissant qu’Haïti s’approche d’un point de non-retour.
Plus de 85 % de la capitale échappent désormais au contrôle des autorités légales, tandis que les gangs armés étendent leur mainmise sur les régions jadis épargnées.
Dans ce contexte délétère, la mission multinationale de sécurité, placée sous la houlette du Kenya et forte pour l’heure d’un millier de policiers issus de six nations, peine à contenir la vague d’insurrection criminelle. Les moyens logistiques dérisoires, les retards de déploiement et les ressources financières insuffisantes compromettent son efficacité et laissent le champ libre aux bandes armées qui opèrent en toute impunité. Ainsi, 261 policiers kényans, pourtant dûment formés, demeurent en attente de leur déploiement, faute d’équipements et de soutien logistique adéquats.
À cela s’ajoute une situation humanitaire proprement désastreuse. Plus de 15 000 personnes ont été déplacées en l’espace de quelques jours, tandis que les services sociaux et médicaux sont à l’agonie. Les violences sexuelles, utilisées par les gangs comme une arme de guerre et un moyen d’asservissement, se multiplient à un rythme effroyable : entre octobre 2024 et février 2025, 379 cas ont été officiellement recensés, dont 61 % de viols collectifs.
Les témoignages de victimes évoquent l’horreur brute et la détresse absolue, dans une société où le droit et la justice sont désormais lettres mortes.
Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a lui-même exprimé son inquiétude face à ce qu’il qualifie de décomposition imminente de la présence étatique à Port-au-Prince. Sans un renforcement immédiat des effectifs et des moyens de la police nationale, sans une aide internationale massive et déterminée, Haïti risque de s’enfoncer irrémédiablement dans l’abîme.
Il convient, à ce stade, de dénoncer non seulement l’inaction mais aussi la responsabilité partagée de la communauté internationale, dont les atermoiements, les promesses non tenues et les coupes budgétaires notamment celles des États-Unis contribuent à précipiter la déchéance de cette nation martyre. Loin de se borner à des condamnations incantatoires ou à des sanctions dérisoires, il devient impérieux de prendre des mesures concrètes : renforcement immédiat de l’embargo sur les armes, extension des listes de sanctions onusiennes, soutien logistique et financier renforcé à la mission de sécurité et rétablissement effectif de l’ordre républicain.
Il importe également de souligner les dérives préoccupantes de certains éléments des forces de sécurité, accusés d’exécutions sommaires et d’exactions contre des civils innocents. Si l’urgence impose une réponse sécuritaire robuste, celle-ci ne saurait se substituer à l’établissement d’un État de droit digne de ce nom, garant de la protection des droits fondamentaux et de la dignité humaine.
Car ce n’est pas seulement Haïti qui vacille : c’est l’honneur de la communauté internationale, et plus largement, la crédibilité de l’ordre multilatéral, qui se trouve engagée dans cette tragédie silencieuse. Laisser périr ce peuple courageux, livré à la barbarie et à la déréliction, constituerait une tache indélébile sur la conscience universelle.
Il est encore temps, mais plus pour longtemps.

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