L’ultime sursaut diplomatique de Doha

Redigé par Tite Gatabazi
Le 1er mai 2025 à 10:10

Au seuil d’une énième convulsion géopolitique dans la région des Grands Lacs, six nations, aux horizons politiques et aux intérêts stratégiques dissemblables, ont choisi de répondre à l’appel de la paix.

Le 30 avril 2025, dans l’écrin aseptisé de Doha, capitale du Qatar, les émissaires des États-Unis, de la France, du Togo, du Rwanda, de la République démocratique du Congo et de l’État hôte se sont réunis autour d’une même table. Ce conclave diplomatique, dans la continuité de la rencontre trilatérale du 18 mars entre les présidents du Rwanda, de la RDC et du Qatar, se voulait plus qu’une opération de communication : une tentative, grave et concertée, d’éteindre l’incendie qui consume depuis trop longtemps l’Est congolais.

Au cœur des discussions : l’imbroglio tragique du Kivu, théâtre d’un conflit multiforme où se mêlent, rivalités identitaires, ambitions, incurie institutionnelle et convoitises minières. L’enjeu n’est plus uniquement congolais, il est continental, voire civilisationnel. Ce qui se joue à Goma, Rutshuru ou Beni, ce n’est pas seulement la souveraineté d’un État-nation à la construction inachevée, mais la capacité de la diplomatie internationale à refonder les bases d’un multilatéralisme efficace et équitable.

Le communiqué publié par le ministère qatari des Affaires étrangères laisse entrevoir une convergence inédite d’intérêts. Les parties ont réaffirmé, non sans emphase, leur attachement commun à la paix, à la stabilité régionale et au développement partagé. Il ne s’agit plus seulement de décréter un cessez-le-feu illusoire, prompt à être violé au prochain sursaut militaire, mais de s’attaquer aux causes structurelles du conflit : persécutions identitaire, pillage systématique des ressources, marginalisation socioéconomique, faillite de la gouvernance, instrumentalisation des rébellions.

Fait notable, les représentants ont salué la récente déclaration conjointe entre le gouvernement congolais et l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC-M23), qui engage les parties à observer un cessez-le-feu immédiat et à faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire dans une région où la détresse humaine tutoie l’indicible.

Ce signal, bien que fragile, pourrait constituer le prélude à une désescalade durable à condition qu’il ne reste pas lettre morte.

On ne saurait toutefois éluder la dimension hautement paradoxale de cette initiative. Les États-Unis et la France, oscillent entre posture moralisante et realpolitik, tandis que le Qatar cherche à s’affirmer comme un médiateur d’envergure mondiale, quitte à s’immiscer dans un théâtre qui lui est géographiquement et historiquement éloigné.

C’est dire si la sincérité des engagements devra être jaugée à l’épreuve du terrain. Les précédentes tentatives de pacification se sont trop souvent heurtées à la duplicité des acteurs, à l’hypocrisie diplomatique et à la résilience cynique des intérêts économiques. Sans une volonté politique ferme, sans mécanismes contraignants de suivi et sans une requalification radicale de l’économie politique du conflit, les promesses de Doha ne seront qu’une illusion de plus dans l’interminable tragédie congolaise.

Pourtant, un espoir ténu subsiste. La signature, à Washington le 25 avril, d’une déclaration de principe entre les parties prenantes pourrait constituer une amorce de normalisation, si elle s’accompagne de gestes concrets : démobilisation des milices, sécurisation des corridors humanitaires, relance économique équitable. Il en va non seulement de la stabilité de la RDC, mais de la crédibilité même de l’ordre international fondé sur le droit.

Ce que Doha met en lumière, c’est la nécessité absolue d’une diplomatie de la responsabilité, affranchie des connivences postcoloniales et des logiques néo-impériales. L’Afrique centrale n’est pas une arène périphérique ; elle est un baromètre de notre monde.

A ce titre, l’initiative qatarie, aussi fragile soit-elle, mérite d’être saluée mais surtout, surveillée, consolidée, exigée.

Car si la paix en RDC est à portée de main, elle reste suspendue à un fil : celui de la volonté politique véritable. Et l’histoire, souvent, ne pardonne pas à ceux qui n’ont pas su saisir l’instant.

À Doha, les émissaires des États-Unis, de la France, du Togo, du Rwanda, de la RDC et du Qatar se sont réunis autour d’une même table

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