Engagée dans une guerre qui, initialement, n’était ni sienne ni clairement définie dans ses finalités stratégiques, l’armée du Burundi s’y est retrouvée entraînée dans la précipitation, en l’absence de coordination rigoureuse et de renseignements fiables. Cet engagement, davantage dicté par des considérations idéologiques et mercantiles que par une vision stratégique mûrement réfléchie, s’est révélé particulièrement coûteux pour les troupes engagées.
De nombreux militaires, physiquement épuisés, moralement éprouvés, parfois privés de soldes régulières, voient leur moral s’effriter jusqu’au découragement le plus profond. De fait, un phénomène de désertion d’une ampleur inédite affecte désormais les Forces de défense nationales du Burundi. Ce mouvement touche indistinctement toutes les catégories : officiers, sous-officiers et soldats du rang.
Les trajectoires de ceux qui quittent l’uniforme sont multiples : certains se replient à l’intérieur du pays, d’autres franchissent les frontières immédiates, quand une proportion croissante tente l’aventure plus lointaine vers l’Europe, le Canada ou les pays du Golfe.
La singularité de la situation tient aussi à l’inédit de certains choix : jamais auparavant, dans l’histoire de l’armée burundaise, des officiers n’avaient renoncé à la carrière militaire pour exercer des emplois manuels à l’étranger. Les uns deviennent ouvriers, les autres aides-maçons, signe éloquent d’une perte de prestige d’une institution autrefois perçue comme disciplinée, organisée et respectée.
Trois facteurs principaux expliquent ce mouvement de rupture.
D’abord, la dégradation des conditions matérielles : les rémunérations, jugées insuffisantes, ne permettent plus aux familles des militaires de subvenir à leurs besoins essentiels, d’autant plus que certaines indemnités de mission seraient amputées ou retardées.
Ensuite, le refus croissant de combattre en RDC, conflit dont les raisons demeurent obscures pour nombre de soldats. Combattre et risquer sa vie pour une cause qu’on ne comprend pas sape inévitablement la cohésion et l’ardeur au combat. Enfin, la dynamique d’entraînement : ceux qui parviennent à quitter le pays tracent des voies et nourrissent l’imaginaire du départ, si bien que certaines unités se trouvent désormais fortement amoindries, suscitant une inquiétude croissante chez les observateurs.
Face à cette hémorragie silencieuse, les autorités ont tenté d’ériger des garde-fous administratifs. Une décision ministérielle récente institue une « fiche d’identification professionnelle » imposée à toute personne souhaitant se rendre à l’étranger pour y travailler.
Cette fiche, émargée par différentes autorités, ministère concerné, agence recruteuse, membre de la famille est appelée à devenir l’outil privilégié de contrôle des mobilités. Elle s’inscrit dans un contexte d’interpellations répétées à l’aéroport de Bujumbura et au sein du Commissariat général des migrations, où des militaires auraient été appréhendés lors de démarches d’obtention de passeports.
Toutefois, ces mesures de contrôle ont révélé en creux un phénomène plus préoccupant : la mise en place d’un trafic de passeports impliquant certains agents du CGM. Des passeports ordinaires auraient été délivrés à des militaires sous de fausses identités, moyennant de fortes sommes d’argent. L’arrestation d’un agent en possession de plusieurs passeports appartenant à des soldats laisse entrevoir l’ampleur de ce système clandestin et pose avec acuité la question de la responsabilité hiérarchique.
Des noms de hauts responsables sont évoqués, sans qu’aucune suite judiciaire tangible ne soit, pour l’heure, portée à la connaissance du public.
Désertions, contrôle des mobilités et fragilisation institutionnelle : une crise aux implications stratégiques
L’accumulation de ces faits révèle bien plus qu’une simple série d’incidents administratifs : elle met en lumière une crise structurelle touchant au cœur même de l’institution militaire burundaise. La tenue récente d’une réunion de haut niveau entre généraux influents, vraisemblablement consacrée à la situation en RDC et à la vague de désertions, atteste la gravité perçue de la situation au sommet de la hiérarchie. Des mesures disciplinaires ou administratives à l’égard de certains responsables y auraient été évoquées, signe d’un malaise institutionnel désormais difficile à dissimuler.
Cependant, pour nombre d’analystes, les réponses apportées demeurent essentiellement palliatives. Renforcer les contrôles, multiplier les fiches administratives, interdire les départs directs et contraindre les candidats à l’exil à transiter par des pays tiers ne saurait constituer une solution durable. Car la question centrale ne réside pas tant dans la surveillance des mobilités que dans les causes profondes de ces départs : salaires insuffisants, absence de perspectives professionnelles, guerre mal expliquée, mal préparée, mal comprise.
Un soldat ne peut être efficient dans un conflit dont il ne perçoit ni le sens ni la légitimité. Il doit être instruit, équipé, soutenu moralement et matériellement. À défaut, l’institution se fissure et l’esprit de corps s’étiole. La guerre en RDC apparaît dès lors, aux yeux de nombreux observateurs, comme un conflit profitant à une minorité d’acteurs, tandis que la majorité des militaires en assume le coût humain et social.
Par ailleurs, le verrouillage des départs pose une question de droits fondamentaux. Est-il légitime d’entraver, par des dispositifs excessivement tatillons, la possibilité pour des citoyens, civils ou militaires démobilisés de chercher un avenir professionnel à l’étranger ? D’autant que certaines agences de recrutement sont accusées d’exiger des prélèvements exorbitants sur les revenus des travailleurs expatriés, jusqu’à la moitié de leurs gains, sans que des réponses officielles claires n’aient, à ce jour, dissipé les soupçons.
Ainsi, loin de se résorber, la crise des désertions risque de s’installer dans la durée si les seules réponses demeurent répressives et administratives. Tant que les questions de sens politique de la guerre, de conditions de vie des soldats, de transparence administrative et de gouvernance ne seront pas abordées de façon structurelle, les candidats au départ continueront de chercher d’autres voies, d’autres itinéraires, d’autres horizons.
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse la seule arithmétique des effectifs : c’est le rapport d’une armée à sa mission, d’une nation à ses engagements extérieurs et d’un État à ses propres serviteurs en uniforme.














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