Des Généraux enchaînés à l’ombre ou l’armée congolaise sous le règne de la terreur

Redigé par Tite Gatabazi
Le 24 novembre 2025 à 08:01

Au cœur de la capitale congolaise, un spectacle inquiétant se déploie, révélant l’érosion des fondements mêmes de l’autorité étatique et militaire.

Les plus hauts gradés des Forces armées de la République démocratique du Congo se trouvent aujourd’hui précipités dans un isolement coercitif, arrachés à leurs fonctions et à leur rang avec la brutalité d’une justice expéditive.

Cette disgrâce massive des élites militaires n’est pas le fruit d’erreurs isolées, ni le simple effet de dysfonctionnements bureaucratiques : elle constitue l’expression d’une méthode délibérée, d’une logique de pouvoir qui substitue la peur à la légitimité et la répression à l’autorité.

Ce basculement de la gouvernance, où les prisons et les menaces prennent la place du dialogue et du commandement respecté, traduit un malaise profond : la structure de l’État et la hiérarchie militaire sont désormais ébranlées, et ce, au moment même où le pays se réclame de la paix et de la cohésion nationale.

L’intimidation s’impose ainsi comme instrument politique et l’armée, institution jadis vénérable, se voit humiliée et divisée. C’est le décor d’une chronique inquiétante : celle d’un pouvoir qui vacille et d’une armée que l’on humilie.

A Kinshasa, l’atmosphère qui règne au sein des plus hautes sphères de l’appareil d’État et de la hiérarchie militaire est désormais saturée d’une tension crépusculaire. Les généraux des FARDC, sont aujourd’hui appréhendés avec la brutalité réservée au gibier traqué. En une série d’opérations expéditives, ils sont saisis manu militari, extraits de leurs commandements et jetés dans l’ombre de cachots où le droit ne semble plus qu’un lointain souvenir.

Pour la première fois, le porte parole des forces armées du régime Tshilombo, le général Sylvain Ekenge, a tenté ce 22 novembre de donner un vernis légal à ces arrestations en annonçant que les officiers concernés seraient désormais placés en « résidence surveillée ». Une formule aseptisée, presque liturgique, qui ne dupe personne : il s’agit d’un artifice discursif pour masquer des détentions arbitraires, dépourvues de procédure régulière, et qui s’apparentent davantage à une purge politique qu’à une quête de discipline militaire.

Cette vague d’arrestations visant des généraux FARDC est très inquiétante. La question qui sur toutes les lèvres est la suivante :

« Comment un civil continue t il à arrêter des généraux à Kinshasa ? Et pourquoi tant d’autres semblent ils attendre, impassibles, que leur tour arrive ? »

Cette interrogation, lourde de sens, révèle un déséquilibre profond : la structure du pouvoir en RDC est en train de se renverser, et ceux qui devraient en être les piliers demeurent mutiques, tétanisés ou résignés.

Car à Kinshasa, on ne gouverne plus par l’autorité légitime :

on gouverne désormais par l’incarcération et par la peur.

Les chiffres eux-mêmes configurent un tableau d’épouvante :

plus de vingt généraux sont confinés dans la prison de Ndolo, dans des conditions décrites comme indignes d’une institution républicaine, deux seraient morts dans des circonstances troubles, leurs dépouilles jamais restituées aux familles tandis que d’autres ont été engloutis par les méandres opaques de la justice militaire, sans trace, sans explication, sans procès.

Dans cet univers de suspicion généralisée, les familles se consument d’attente, les unités se désorientent, et la chaîne de commandement se délite au gré des arrestations nocturnes. Rien, absolument rien, ne relève de l’erreur accidentelle :

c’est une méthode, un système, un mode de gouvernement.

Un système où la peur supplante la légitimité, où l’arbitraire prend le pas sur la règle, où l’obéissance est exigée non au nom de la loyauté, mais au nom de la crainte d’être soi même happé par l’ombre de Ndolo.

Entre Doha et Kinshasa : la fracture d’un pouvoir qui prêche la paix et pratique la répression

L’un des paradoxes les plus déconcertants du moment politique congolais réside dans l’écart abyssal entre la rhétorique du régime et ses pratiques internes.

À Doha, on déclame la paix, la réconciliation, la justice transitionnelle, l’intégration des forces, et l’avènement d’une gouvernance ouverte.

Mais à Kinshasa, on orchestre l’humiliation de la haute hiérarchie militaire, on arrête les généraux comme de simples malfrats, on désarticule la chaîne de commandement en multipliant les arrestations ciblées, et on nourrit la suspicion jusque dans les replis les plus sensibles des casernes.

On ne peut évoquer la cohésion nationale au Qatar et fabriquer la répression à Kinshasa.

On ne peut signer les Accords de Doha avec emphase et simultanément façonner, à Ndolo, une politique intérieure fondée sur la peur et la clandestinité judiciaire.

Ces deux visions, l’une pacificatrice, l’autre coercitive, sont irréconciliables.

Et force est de constater que la logique qui triomphe aujourd’hui n’est pas celle de la paix, mais celle de la terreur.

Car une armée affaiblie, une hiérarchie humiliée, un commandement décapité ou instrumentalisé, ne sont pas les signes d’un État fort. Ce sont les symptômes d’un pouvoir qui chancelle, d’une institution militaire en voie de fragmentation et d’un pays exposé à toutes les vulnérabilités.

L’AFC/M23 a d’ailleurs alerté sur un phénomène inquiétant : la majorité des officiers arrêtés appartiendraient à la communauté swahiliphone.

Même si le régime s’en défend, ce ciblage insidieux ressuscite les spectres des divisions régionales et linguistiques qui ont déjà coûté si cher à la RDC. Réintroduire ces fractures au cœur de l’armée relève de l’irresponsabilité la plus dangereuse.

Un pouvoir qui ose humilier son armée s’expose à sa propre déchéance

L’histoire contemporaine est implacable : aucun régime n’a survécu longtemps après avoir humilié les colonnes d’acier censées défendre la nation.

Lorsqu’un pouvoir transforme ses généraux en suspects permanents, lorsqu’il remplace la confiance par la terreur, lorsqu’il remplace la justice par la détention discrétionnaire, il ne construit pas sa stabilité, il accélère sa propre désagrégation.

Tant que le régime persistera à orchestrer des arrestations opaques et arbitraires, tout en feignant la transparence qu’il proclame pourtant dans les arènes internationales de Doha ; tant qu’il continuera d’affaiblir l’architecture même de l’institution militaire au lieu de la consolider et de la restaurer ; et tant qu’il substituera la contrainte à l’échange, la peur à l’autorité légitime, la République demeurera suspendue entre l’apparence d’une paix proclamée et la réalité d’une terreur institutionnalisée, prisonnière d’un double langage qui mine ses fondations et compromet son avenir.

Car un État qui gouverne par la peur finit toujours, inexorablement, par être dévoré par sa propre peur.

Le porte-parole des FARDC a annoncé que les officiers inculpés seraient désormais en « résidence surveillée »

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