Albert Camus, Le Siècle de la peur (1948)
Il est des époques où la parole publique cesse d’être un espace de lumière pour devenir le théâtre d’une obscurité morale. Le Congo vit aujourd’hui l’une de ces heures crépusculaires. Sous le vernis d’un pluralisme de façade, les plateaux de télévision naguère foyers de débat et de contradiction se sont mués en autels d’encens et de louange, voués à la célébration d’un pouvoir chancelleux, celui de Félix Tshisekedi.
Le spectacle médiatique congolais, saturé de flagornerie et d’aveuglement, illustre à lui seul la déchéance d’une élite journalistique qui a troqué sa conscience contre la proximité du trône.
De Bosolo na Politik, animé par le très présomptueux “sango” Israël Mutombo, aux prêches mielleux de Patrick Lokala, en passant, dans une moindre mesure, par les mises en scène de Jean-Marie Kassamba, sans oublier la RTNC, devenue tribune d’une propagande d’État rivalisant d’arrogance avec la sinistre RTLM du régime génocidaire d’Habyarimana, tout concourt à travestir la mission première du journalisme.
L’information, pervertie et domestiquée, s’est transformée en arme idéologique, en catéchisme de cour. L’on n’y cherche plus la vérité, mais l’approbation ; on n’y questionne plus le pouvoir, on le glorifie. Le journaliste, autrefois vigie de la conscience nationale, s’est fait prêtre d’une liturgie politique ; son micro est devenu encensoir, sa plume un instrument d’obéissance.
Mais cette servitude n’est pas le fruit du hasard. Elle plonge ses racines dans une culture politique pétrie d’opportunisme, d’amnésie et de peur.
Dans cet univers d’ambitions fluctuantes, la trahison est devenue un rite d’intégration. Quoi d’étonnant, dès lors, de voir une Ève Bazaïba, hier encore hurlant à la malédiction (“akozwa likama”) du chef de l’État, siéger aujourd’hui avec componction dans le même gouvernement qu’elle vouait autrefois à la damnation ?
Quoi de surprenant de constater que Julien Paluku, autrefois contempteur virulent de Tshisekedi, s’érige désormais en thuriféraire zélé de son régime ? La République, livrée à la volte-face permanente, n’obéit plus qu’à la loi du ventre : on s’y indigne à crédit, on s’y rallie par calcul, on s’y prosterne par instinct de survie.
Ainsi s’accomplit, sous nos yeux, le drame d’un pays où la parole s’avilit et où la pensée abdique. L’intellectuel y a renoncé à sa mission critique, le journaliste à sa probité, le citoyen à son espérance.
La morale s’y dilue dans le compromis, la vérité s’y tait devant le confort, et la servilité s’y érige en vertu civique. Dans cette République des flatteurs, il ne reste plus de voix pour dire la vérité, mais mille bouches pour chanter le mensonge.
Le jour viendra pourtant où ce vacarme de courtisans tombera dans le silence, et où l’histoire, implacable, retiendra moins les noms des flagorneurs que celui du peuple qu’ils auront trahi par leur lâcheté.
Car, comme le rappelait Camus, un homme qu’on ne peut persuader, qu’on ne peut atteindre par le langage de l’humanité, devient un homme dangereux. Et c’est peut-être cela, plus que tout, qui doit aujourd’hui nous effrayer : non la fragilité du pouvoir, mais l’inhumanité de ceux qui prétendent le servir.

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