Derrière cette statistique, c’est une tragédie humaine qui se joue au quotidien, souvent à ciel ouvert, dans l’indifférence la plus totale. Car il suffit de déambuler dans les artères de Kinshasa, de Lubumbashi ou de Kisangani pour croiser ces silhouettes égarées, à demi nues, errant dans les ordures, errance qui dit la faillite d’un système et l’abandon de toute une frange de la nation.
Or, ce drame sanitaire et social ne semble guère émouvoir une classe politique obèse de privilèges et d’arrogance, drapée dans les fastes d’un État rentier, scandaleusement riche en ressources naturelles mais dramatiquement indigent dans ses politiques publiques.
Tandis que l’élite s’abandonne aux ors de la prédation et à l’ivresse des honneurs, la population, elle, croupit dans une misère endémique qui atteint jusqu’à l’équilibre le plus intime : celui de la santé mentale.
Le parent pauvre de la santé publique
Le ministère de la Santé a lui-même dû reconnaître l’abîme : seuls 5 % des malades bénéficient aujourd’hui d’une prise en charge adaptée. Le reste est livré à l’errance, au mépris, ou aux explications obscurantistes qui réduisent la schizophrénie ou les psychoses à des possessions démoniaques ou des malédictions spirituelles.
La médecine moderne, incarnée par des psychiatres tels que le Dr Serge Munane, se trouve isolée, presque impuissante, faute d’appui financier, faute d’infrastructures et faute surtout de reconnaissance politique.
A ce jour, le Congo compte un nombre dérisoire de psychiatres par habitant, situation indigne d’un pays de plus de cent millions d’âmes.
Il y a là un contraste saisissant : d’un côté, la communauté internationale, qui à travers quelques bailleurs tente tant bien que mal de soutenir ce secteur, de l’autre un État qui se dérobe à ses responsabilités, alors même qu’il proclame son ambition de bâtir un système de santé digne de ce nom. Le domaine de la santé mentale demeure le parent pauvre des politiques publiques, relégué aux marges, comme si la souffrance psychique ne méritait pas la même considération que la lutte contre le paludisme, le VIH ou la tuberculose.
L’indifférence d’une élite, l’urgence d’une nation
Ce décalage, insoutenable, traduit la profondeur du divorce entre une élite politique qui se nourrit de la rente et un peuple qui meurt, parfois à petit feu, dans la solitude de ses maladies silencieuses. Dans tout État qui se veut digne, la santé mentale est un pilier de la cohésion sociale, car une nation incapable de soigner les blessures intimes de son peuple condamne celui-ci à la marginalisation et à l’exclusion.
Certes, l’on peut saluer la timide initiative ministérielle d’élaborer un plan stratégique national pour la santé mentale. Mais tant que ce plan demeurera lettre morte, tant qu’il ne sera pas doté de financements conséquents, tant qu’il n’ira pas de pair avec une volonté politique authentique de replacer l’humain au cœur de l’action publique, il ne sera qu’un document supplémentaire destiné à garnir les tiroirs ministériels.
Il est temps, grand temps, que la classe politique congolaise renonce à l’indifférence cynique et mesure la gravité d’une tragédie qui mine les fondements mêmes de la société.
Car une nation dont un cinquième de la population est en souffrance psychique n’est pas seulement malade : elle est en danger de désagrégation.

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