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Le pouvoir burundais face à ses propres fissures

Redigé par Tite Gatabazi
Le 19 octobre 2025 à 07:33

Il est révolu, ce temps d’assurance péremptoire et de superbe bravade, où le président burundais Evariste Ndayishimiye se plaisait à fanfaronner, fort de sa connivence affichée avec Félix Tshisekedi, dans une alliance bruyamment proclamée contre le Mouvement du 23 Mars (M23).

Il n’est pas si lointain le souvenir de ses allocutions en forme de monologues martiaux, au cours desquelles le chef de l’État burundais se targuait de pouvoir « généraliser la guerre », arborant une arrogance conquérante. Ce faste n’est désormais plus qu’un souvenir fané. La chute de Bukavu et la débâcle des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et de leurs supplétifs, en déroute vers Uvira, ont profondément rebattu les cartes à Bujumbura.

L’heure n’est plus aux discours triomphants : une menace tangible plane sur le pouvoir, et elle est perçue comme réelle, imminente, presque palpable.

C’est dans ce climat chargé de tension qu’une délégation de l’AFC/M23, a effectué au début d’octobre une visite discrète dans la capitale burundaise. Reçue par le président Ndayishimiye lui-même, elle lui a adressé un avertissement sans ambages : persister dans son soutien à Kinshasa équivaudrait à s’exposer aux contrecoups d’un conflit régional en gestation.

Cette mise en garde s’inscrit dans un contexte où des avions-cargos, suspectés de convoyer des équipements militaires destinés aux FARDC, ont été observés à plusieurs reprises sur le tarmac de l’aéroport de Bujumbura. Aux yeux des rebelles, ces mouvements attestent de la volonté de Kinshasa de consolider son dispositif à partir du territoire burundais, une stratégie jugée dangereuse et intenable à moyen terme.

Une expansion calculée face à un adversaire fragilisé

Malgré les processus de paix en cours à Doha et à Washington, l’AFC/M23 n’a jamais fait mystère de ses ambitions. L’objectif affiché reste la libération d’Uvira, ville frontalière du Sud-Kivu, point névralgique de l’équilibre géopolitique régional.

Une telle opération ne s’annonce pas aisée : l’offensive nécessiterait de franchir une topographie particulièrement défavorable, la plaine de la Ruzizi, où les forces d’assaut seraient contraintes de se découvrir sous le feu ennemi. De surcroît, des unités des Forces de défense nationale du Burundi (FDNB) tiennent déjà la ligne frontalière et contrôlent les principaux axes stratégiques autour d’Uvira, rendant toute avancée particulièrement périlleuse.

Conscients de ces contraintes opérationnelles, les rebelles ont jusqu’ici opté pour une stratégie patiente et opportuniste, profitant des tensions nées de la nomination à Uvira d’un général FARDC perçu comme favorable à l’AFCM23 par proximité ethnique.

Leur calcul est limpide : éviter l’affrontement direct avec la FDNB et obtenir, en amont de toute offensive, un pacte de non-agression avec Bujumbura. Ce pacte, s’il venait à se concrétiser, aurait pour effet de désarrimer Bujumbura de Kinshasa, réduisant ainsi le risque d’une conflagration régionale. Les insurgés souhaitent, en outre, que dans l’éventualité d’une prise d’Uvira, le Burundi verrouille sa frontière aux milices Wazalendo ainsi qu’aux éléments armés des FDLR, issues des génocidaires hutu de 1994, qui pourraient tenter de se replier sur son sol.

Le pouvoir burundais face à ses propres fissures

La stratégie de l’AFCM23 repose sur une observation lucide des fragilités internes de l’État burundais. Des voix, au sein même de l’appareil sécuritaire et de l’exécutif, s’élèvent désormais pour contester la pertinence d’un alignement inconditionnel sur Kinshasa.

Ces responsables, de plus en plus nombreux à exprimer publiquement leur scepticisme, estiment que Félix Tshisekedi n’a ni la capacité de résoudre la crise sécuritaire congolaise ni celle d’honorer les promesses financières faites à ses alliés. S’ajoute à cela une inquiétude d’ordre économique : si Uvira venait à tomber, l’AFC/M23 pourrait fermer la frontière burundo-congolaise, un axe vital pour l’économie nationale, déjà exsangue et dépendante des échanges transfrontaliers.

Depuis la prise de Goma et de Bukavu par les forces rebelles, Ndayishimiye vit sous la menace d’une déstabilisation orchestrée par la conjonction de la débâcle des forces loyalistes.

Les accusations d’ambitions expansionnistes portées contre Kigali nourrissent un climat d’angoisse politique et exacerbent les crispations ethniques, notamment à l’encontre de la communauté tutsie. Cette situation instable fait planer sur Bujumbura le spectre d’un embrasement qui dépasserait largement le théâtre congolais.

La prudence d’un pouvoir en équilibre instable

Confronté à cette conjoncture explosive, le président Ndayishimiye semble désormais avoir abandonné ses postures belliqueuses pour adopter une stratégie de survie politique. Sans rompre ouvertement avec Kinshasa, il cherche à ménager ses marges de manœuvre. Ainsi, il a exhorté la délégation de l’AFC/M23 à prendre ses distances avec le Rwanda de Kagame, perçu comme agissant contre les intérêts burundais.

Parallèlement, il a discrètement sollicité la médiation de la France afin d’ouvrir des canaux de dialogue avec Kigali dans l’espoir de désamorcer les tensions régionales.

Le président burundais, jadis si prompt à revêtir l’armure du chef de guerre, se trouve aujourd’hui dans la posture délicate d’un équilibriste politique, cherchant à prévenir une tempête dont il pressent la violence.

L’époque des déclarations martiales a cédé la place à celle des calculs feutrés, des négociations en coulisses et des compromis imposés par la realpolitik régionale. Entre les menaces aux frontières, les fractures internes et les incertitudes géopolitiques, le pouvoir burundais avance sur une corde raide, conscient que la moindre erreur pourrait précipiter une chute dont il ne se relèverait pas aisément.

Ce temps est révolu où Évariste Ndayishimiye fanfaronnait, sûr de lui, fort de son alliance tapageuse avec Félix Tshisekedi contre le M23

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