La scène congolaise, toujours prodigue en rebondissements imprévisibles, vient une fois de plus d’offrir un tableau à la fois ubuesque, tragique et d’une lucidité cruelle : celui d’adversaires déclarés, qui hier encore se vouaient aux gémonies, se retrouvant aujourd’hui partenaires circonstanciels, liés par un accord scellé sous les ors policés des salons de Doha.
Car oui, il faut probablement un esprit d’une pénétration rare, peut-être même un génie, pour résumer la politique comme une maîtresse infidèle, imprévisible et cruelle.
Elle l’est d’autant plus lorsqu’elle prend pour théâtre un pays où les loyautés se font et se défont au gré des intérêts du moment, où les alliances les plus inattendues naissent sur les cendres encore fumantes des accusations les plus violentes.
Nul n’a oublié la véhémence avec laquelle Félix Tshisekedi, dans l’emphase martiale qui lui est coutumière, avait publiquement accusé l’ancien président Joseph Kabila d’être l’inspirateur, le commanditaire et l’ombre portée de l’AFC/M23.
Nul n’a oublié non plus qu’il poussa la logique accusatoire jusqu’à l’absurde judiciaire : un procès expéditif, une condamnation capitale, et un discours saturé de certitudes morales.
Et pourtant ironie implacable de l’Histoire, voici que les mêmes émissaires du même chef de l’État, agissant en son nom et sous son autorité, viennent d’apposer leur signature sur un accord-cadre avec ceux-là mêmes que l’on désignait naguère comme des figures du mal absolu.
La rébellion tant honnie devient soudain un interlocuteur fréquentable, un partenaire de négociation, presque un allié discret. Le vocabulaire change, les attitudes se modèrent et la Realpolitik reprend ses droits là où la gesticulation patriotarde avait tenu momentanément le devant de la scène.
Plus stupéfiant encore et sans doute plus révélateur des chaotiques aléas du jeu politique n’est pas seulement cette rumeur persistante d’un rapprochement entre Joseph Kabila, naguère dépeint comme le « véritable patron » de l’AFC/M23 et Félix Tshisekedi, figure de proue de l’Union Sacrée.
Le plus déconcertant, en vérité, est de constater que ces deux hommes, longtemps dressés l’un contre l’autre par leurs propres discours, leurs propres appareils et leurs propres récits antagonistes, se retrouvent aujourd’hui presque malgré eux, et comme emportés par le courant irrésistible des circonstances à redevenir partenaires.
Non par inclination, encore moins par affinité, mais par ce jeu implacable de nécessités, de pressions et d’ajustements qui, dans la politique congolaise, transforme les irréconciliables d’hier en alliés provisoires de demain.
Les ennemis jurés d’hier devenus les cosignataires d’une architecture politique nouvelle, fruit amer mais prévisible d’un pragmatisme dicté par la fatigue d’une guerre sans fin, les pressions internationales et l’effritement du récit national officiel.
Faut-il s’en émouvoir ? Peut-être.
Faut-il s’en étonner ? Assurément pas.
Le pouvoir, surtout dans un pays où il demeure l’alpha et l’oméga de toute ambition, obéit à une logique qui transcende les querelles affichées et les anathèmes matutinaux. Il impose ses alliances contre nature, ses volte-face spectaculaires, ses réconciliations de coulisses.
Les convictions, dans ce théâtre mouvant, ne sont que des accessoires. Les accusations, des instruments. Les condamnations, des postures.
Doha n’a donc pas seulement accouché d’un accord entre un régime et une rébellion. Elle a mis au jour, avec une éclatante crudité, le caractère profondément liquide de la vie politique congolaise : une scène où l’on condamne le matin ceux avec qui l’on négociera le soir, où l’on frappe l’adversaire pour mieux le rappeler à la table des compromis, où l’on maquille des alliances anciennes sous des habits neufs pour satisfaire l’imaginaire populaire.
Ainsi, après des années de diabolisation, voici que l’AFC/M23 se voit soudain promue au rang de partenaire stratégique et dans un retournement encore plus saisissant, voici que Tshisekedi et Kabila, les deux pôles prétendument irréconciliables du pouvoir, apparaissent désormais comme des acteurs complémentaires d’un même dispositif.
Le génie anonymement célébré avait raison : la politique est infidèle. Elle trahit ceux qui la prennent trop au sérieux, déroute ceux qui y cherchent une morale cohérente et récompense ceux qui savent plier plutôt que rompre.
Dans ce théâtre où les certitudes se dissolvent et où les ennemis deviennent partenaires, une seule chose demeure : la capacité du peuple congolais à assister, médusé mais lucide, à ce ballet où la cruauté de la politique ne cesse jamais de se réinventer.
Doha, en réalité, n’a rien créé. Elle n’a fait que révéler ce qui était déjà là : l’alliance silencieuse de deux systèmes, l’entente tacite de deux hommes et l’éternel retour des mêmes dynamiques de pouvoir sous des masques successifs.
La politique est infidèle.
À Kinshasa, elle en a fait une preuve éclatante.














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