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Cour Suprême, la roue de l’histoire tourne

Redigé par Tite Gatabazi
Le 28 mars 2022 à 02:52

C’était la « place » avec ses esplanades. Le lieu où le « mot » justice était sur toutes les lèvres et il se répétait en boucle, en parole mais aussi à l’écrit.

C’est à cette « place » que trônait la cour suprême entourée du ministère de la justice et du parquet général. L’insertion de la Haute Cour était venue plus tard. Nous n’étions plus là.

Je savais que le groupe français Duval avait acheté ce lieu symbolique pour y ériger un « Inzovu Mall ». Je savais aussi que les services avaient déjà déménagés.

Mais ce dimanche en passant devant les bâtiments et faisant le sport habituel, j’ai été happé par les coups de marteaux.

Soudain, j’étais là, figé à regarder tout en haut les ouvriers et leur cadence. Oui, les travaux de démolissage viennent de commencé.

Et demain, les bâtiments subiront les assauts répétés de la pelleteuse chargée de les détruire. Puis viendront les engins de déblaiement pour évacuer les gravats, et enfin place sera faite aux travaux de construction de « Inzovu Mall ».

Je suis resté pendant des longues minutes, pas comme un badaud ordinaire, mais cet acteur du système judicaire qui occupa un bureau dans cet immeuble de la cour suprême.

Et sans les convoqué, les réminiscences ont jailli de ma mémoire. Des scènes, des personnages, des réunions, des conciliabules et des combats. Mais aussi des rires. 

Qui aujourd’hui peut soupçonner ce qui s’est joué entre ces murs en démolition ? Et comment ne pas fouiller le passé à la vue de ces marteaux ?

Comment ne pas revoir feux Mutsinzi Jean, tout premier président de la cour suprême et président du conseil supérieur de la magistrature. Paul Ruyenzi de la cour des comptes et Paul Rutayisire de la cour constitutionnelle.

Paul Ruyenzi, le papa que tout le monde aurait voulu avoir et son sens aigu de l’auto dérision.

Paul Rutayisire, professeur de droit, bienveillant et toujours d’un conseil avisé, une source d’inspiration.

Lui qui professait la différence entre croyances et connaissances. Voulait des idées articulées, raisonnées et argumentées. Il aimait les « écoles de pensées », ce qui, selon lui, distinguait un bon juriste du reste.

Mutsinzi qui était grand en tout : la taille (plus de deux mètres), l’expérience, la finesse intellectuelle et la palme de l’humour.

Attendrissant, l’œil malicieux et cette allure dont on devinait qu’elle fut puissante.

Il nous invitait constamment à prendre de la hauteur et du temps pour éplucher les enjeux paradoxaux.

Ce pédagogue dans l’âme qui ne laissait aucune place à l’improvisation pour qui j’avais respect et affection. Il me le rendait bien.

Le pays et la justice en particulier leurs doivent beaucoup. Ils nous ont tous quittés et ils nous manquent.

Au Rwanda, l’Etat est la matrice de la nation. Au travers des soubresauts de l’histoire, par-delà les ruptures les plus marquées jusqu’au génocide contre les tutsis, l’Etat constituait le socle sur lequel nous reconstruisions la nation. 

Ils me reviennent aussi Alype Nkundiyaremye du conseil d’Etat, Cyiza de la cour de cassation, Jean Rubaduka du conseil d’Etat ainsi que les autres magistrats radiés.

D’une désinvolture jusque dans l’accoutrement.

Un foyer d’infection qui risquait d’avoir des conséquences désastreuses.

Ils étaient au cœur d’une implacable machine de démantèlement de l’appareil de l’Etat et d’accomplissement d’une volonté politique funeste.

Nous ne pouvions rester sereins devant des perspectives menaçantes et régressives.

Il aura fallu un discernement et une force de conviction dignes d’éloges pour que l’institution judiciaire ne s’affaisse pas. Leurs actes et agissements appelaient des réponses vigoureuses mais conformes à la déontologie. 

La bataille fût rude avec eux. Mais la subtilité de Mutsinzi avec la méthodologie précieuse de Mafaranga et les petites mains tout autour avait eu raison des récalcitrants.

Ils faisaient équipe avec Alberto du ministère de la justice et bien d’autres ailleurs. Par inexpérience autant que par arrogance, ils ont connus des fortunes diverses. 

En étant immobile, le visage de feu Siméon Rwagasore me revient. Tour à tour, procureur général de la république puis président de la cour suprême. Lui le solitaire, pour qui je conserve à jamais affection et gratitude.

Il parlait peu mais avait une grande capacité d’écoute. Capable de discernement. Toujours à l’affût des signes du temps, avec humanité et patience.

Il n’aimait pas les éclats de voix ni les pertes de temps. Il était pointilleux.

Mais que des soirées en binôme ou avec Justin Gakwaya au Jali Club ! Nous étions ses filleuls et fiers de notre statut. 

Rwagasore est de ceux qui ont renoncé au confort personnel, se sont mis en danger pour rendre effectif le retour des réfugiés au bercail.

Il a agi avec dévouement et désintéressement.

Et pèle mêle ces discussions des points de droit, souvent provoquées par Justin Gakwaya autour de Busingye Johnson, Rukangira, Jean Damascène.

Et plus tard rejoins par notre jeune frère Jean Luc Kibuka, qui intégra la cour des comptes.

Comment ne pas repenser au sulfureux Gahima Gérard avec ses extravagances. Il s’était rendu coupable d’atteinte à la chose publique et de manquement au devoir de probité.

Avant de s’afficher « opposants à Kagame », son frère, Dr Théogène Rudasingwa et lui devraient scruter leurs parcours respectifs bien maigres et de surcroît ambigus.

La réalité y semble bien moins flatteuse. Pire encore, Dr Rudasingwa Théogène s’est embourbé dans des compromissions avec les négationnistes de « jambo asbl ». Quelle déchéance !

Mais aussi feu Mucyo Jean de Dieu, paisible Ministre de la Justice. Toujours à la recherche d’un consensus même sur des questions mineures.

Et aussi Carla Del Ponte du Tribunal Pénal International. Adama Dieng qui était de la même veine que Mutsinzi et Rwagasore. Une « belle et haute facture intellectuelle ».

Avec des discussions courtoises et réfléchies sur la marche du monde. Le droit, la justice internationale, la réconciliation et les expériences d’ailleurs.

Oui, ces immeubles avaient conservé des traces de nos vies pour peu qu’on s’intéresse à la période de la réhabilitation du système judicaire, des balbutiements de « gacaca ». Ils ont incarné la justice et façonné une époque tourmentée.

En définitive, « sous le firmament, tout n’est que changement, tout passe » et seule la terre est éternelle.

Les impératifs de l’aménagement, de la modernité et des investissements changent le visage de la ville au fur et à mesure de son développement.

Demain, comme si de rien n’était, nous irons faire nos courses et nous détendre sur ces lieux chargés d’histoire de la justice au Rwanda.

Les bâtiments s’en irons mais les souvenirs et parcours de vie persistent. A me voir ainsi, il y a de la nostalgie mais pas de la mélancolie. La roue de l’histoire tourne. Ainsi va le monde ! 


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