Au contraire, dans le règne animal, toute menace contre la progéniture ou le partenaire est instinctivement combattue, souvent au prix de la vie.
En général, les animaux tuent par instinct de survie pour se nourrir ou pour se défendre. Mais les tutsi, lors du génocide, furent massacrés non pour apaiser une quelconque faim ni pour conjurer un péril immédiat. Certes, quelques témoignages, notamment dans la région du Mayaga, évoquent des scènes abominables où des cœurs humains furent rôtis et consommés.
Mais cela relevait de l’exception. La majorité des tueries n’avait rien d’un réflexe de légitime défense, contrairement à ce qu’affirmaient les propagandistes interahamwe, qui prétendaient que les tutsi s’apprêtaient à les exterminer. Si tel avait été le cas, les vieillards, les nouveau-nés, les estropiés n’auraient pas été exterminés sans merci. Ces catégories d’êtres humains, inaptes à l’agression, furent pourtant éliminées avec la même rage, preuve que l’on était face à une entreprise planifiée d’extermination, et non à un sursaut de défense.
La vérité, pourtant connue de tous, était que le Front Patriotique Rwandais (FPR-Inkotanyi), loin de massacrer, libérait même des hutu emprisonnés, comme ce fut le cas à la prison de Ruhengeri, le 22-23 janvier 1991. Le FPR lui-même, dirigé à l’époque par un hutu bien connu de tous, ne saurait être tenu pour une organisation d’extermination des hutu. Même le paysan illettré, qui suivait les événements, savait que les Inkotanyi n’étaient pas un groupe monolithique tutsi, mais une armée multiconfessionnelle et interethnique en lutte contre la tyrannie.
D’ailleurs, les Accords d’Arusha du 4 août 1993, négociés et signés publiquement, avaient largement dissipé toute ambiguïté. Pourtant, certains individus malintentionnés continuent, jusqu’à ce jour, à entretenir le mensonge du "complot tutsi", empoisonnant ainsi la conscience de la jeunesse née après le cataclysme.
Ce qui donne à ce génocide un caractère encore plus abject, c’est que, dans cet univers de ténèbres humaines, certains animaux firent preuve d’un sens moral et d’un altruisme qui firent défaut à une multitude d’hommes. Des chiens carnivores refusèrent de mordre les survivants. Des chats léchèrent les plaies suppurantes de blessés humains, accélérant leur guérison. Des panthères escortèrent la nuit des rescapés, veillant sur eux comme sur des congénères. Même des serpents venimeux, ordinairement craints, devinrent protecteurs, s’interposant entre les fugitifs et leurs bourreaux. Voici quelques récits, parmi les plus saisissants, témoignant de ce renversement paradoxal des rôles entre l’homme et l’animal.
Modeste Mungwarareba épargné par un chien réputé mordeur
Le père Modeste Mungwarareba, déjà rescapé des massacres antérieurs de Gikongoro en 1963, survécut miraculeusement une seconde fois en 1994 alors qu’il était prêtre à Butare. Affamé, réfugié dans une sacristie, il se nourrissait exclusivement d’hosties et d’eau. Un jour, alors qu’il tentait de sortir, un chien féroce fondit sur lui. Trop faible pour fuir, il s’attendait à être déchiqueté. Mais l’animal, loin de l’attaquer, se mit à le lécher, comme pour le réconforter. Il fondit en larmes, bouleversé que ce chien, censé incarner la férocité, eût plus d’égards pour lui que les hommes. Après la guerre, il fut l’un des premiers artisans de la réconciliation, cofondateur avec le père Innocent Samusoni de l’association AMI (Association Modeste et Innocent), dédiée à la paix et au pardon.
Mironko trahi et vengé par sa chienne fidèle
Mironko, habitant de Butare, s’était réfugié dans un buisson à proximité de sa maison. Sa chienne refusait de l’abandonner, campant fidèlement à ses côtés. Un jour, des miliciens virent l’animal. Le reconnaissant, ils soupçonnèrent la présence de Mironko, et le découvrirent. Malgré les assauts de la chienne, qui tenta de défendre son maître, il fut exécuté. Le dévouement de l’animal, bien que tragiquement impuissant, fut un ultime sursaut d’humanité dans un monde défiguré par la haine.
Annonciata Kamagaju : la chienne qui désigna la sépulture du beau-père martyrisé
Veuve et rescapée de Gikondo, Annonciata fut sauvée avec son fils Jean-Paul (dit Dudu) grâce à sa chienne Miki. C’est elle qui, après la guerre, mena sa maîtresse jusqu’au lieu où les restes de son beau-père, paralysé et incapable de fuir, avaient été jetés. L’animal avait protégé le cadavre de son maître contre les autres chiens, et, impuissant à le sauver, l’avait pieusement enseveli. Cette fidélité extrême bouleversa Kamagaju. Miki refusa par la suite de quitter son foyer, repoussant tout ouvrier venu restaurer la maison, et veillant sur le fils Dudu comme une nourrice jalouse.
Kabarere Joselyne soignée par la salive d’un chien
Blessée à la tête par des miliciens, la jeune Joselyne, alors âgée de quatorze ans, trouva refuge dans un bosquet à Kimanzovu. Là, un chien s’approcha et lécha sa blessure crânienne. Étonnamment, sa plaie guérit. Des études montrent en effet que la salive canine contient des agents antiseptiques naturels. Aujourd’hui, Joselyne vit à Kimisagara, mère épanouie et ardente promotrice de la mémoire.
Les vaches martyres de Karama : un rempart vivant contre les balles
À Karama, les Tutsi assiégés par les miliciens se cachèrent derrière leurs vaches, barrant la route aux grenades et balles ennemies, tandis qu’eux-mêmes répliquaient à coups de pierres et de briques. Les bêtes tombèrent une à une, transpercées, mais permirent à leurs maîtres de survivre. De quelque 75 000 réfugiés, à peine 5 000 s’en sortirent. Ces bovins, compagnons de fuite et de mort, s’érigèrent, dans leur agonie même, en boucliers sacrificiels.
Mukarukwerere sauvée par deux panthères
Martha Mukarukwerere, après avoir été gravement blessée par les miliciens, retourna dans une jungle infestée d’animaux sauvages. Là, deux panthères léchèrent ses plaies, la nettoyèrent de son sang, veillèrent sur elle pendant douze jours, et l’escortèrent jusqu’à sa maison détruite, une fois rétablie.
Des serpents gardiens de la vie
À Gihombo, Alphonse Bisengimana et son oncle Nsengayire furent sauvés par un python géant qui empêcha les tueurs de pénétrer dans la grotte où ils s’étaient réfugiés. Effrayés, les tueurs rebroussèrent chemin. À Muyira, Jeannette Kagaga connut le même miracle : une vipère l’entoura de son corps, empêchant les assaillants de l’atteindre.
Toute créature façonnée par Dieu porte en elle la capacité du bien comme du mal. En 1994, tandis que les Tutsi étaient massacrés pour leur simple naissance, certaines bêtes manifestèrent une grandeur morale supérieure à celle de leurs assassins. Des chiens et des chats soignèrent les blessés. Des bêtes veillèrent sur les corps des suppliciés, là où les tueurs eux-mêmes refusèrent d’indiquer les sépultures de leurs victimes. Des bovidés s’offrirent comme rempart à leurs bergers. Des fauves escortèrent les survivants jusqu’à leur foyer.
L’humanité de ces animaux, si paradoxale qu’elle fût, s’érigea en miroir cruel de l’abjection humaine. Et pourtant, dans cet océan de ténèbres, il y eut aussi des hommes – les Justes – qui, au péril de leur vie, protégèrent leurs concitoyens tutsi. À l’image des Inkotanyi, ces êtres refusèrent la tentation de la vengeance et réhabilitèrent l’humain dans sa dignité bafouée.
Jeunes générations, à vous de choisir si vous voulez être bêtes ou humains, ou, plus encore, si vous serez des humains plus humains que les bêtes l’ont été en 1994.

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