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Faustin Twagiramungu : un homme, mille désaccords, un héritage

Redigé par Franck_Espoir Ndizeye
Le 5 décembre 2023 à 10:46

“Ayinyaaa ! Moi, je suis un vrai Rwandais !” Ces mots, empreints de fierté, furent prononcés par un homme politique qui, toute sa vie durant, n’a pu résister aux contradictions qui l’habitaient.

Plus de la moitié de son existence fut dédiée à la politique. Il était comme un observateur passionné, scrutant chaque erreur sur le terrain, mais lorsqu’il foulait le sol lui-même, il semblait impuissant.

Samedi 2 décembre 2023, Faustin Twagiramungu, âgé de 78 ans, s’est éteint en Belgique, son lieu de résidence depuis près de 30 ans. La vie politique de Twagiramungu, surnommé « Rukokoma », a été marquée par des désaccords constants sur presque tous les sujets.

Natif de Cyangugu, dans l’Ouest du Rwanda, il fit son entrée dans l’arène politique en 1991, à une époque où le président Juvénal Habyarimana était sous la pression de l’ouverture de l’espace politique mettant ainsi fin au règne du parti unique le MRND.

Twagiramungu rejoint alors le parti MDR et joue un rôle clé dans sa résurrection, suspendue en 1973 lors du coup d’État de Habyarimana contre Grégoire Kayibanda.

Le destin le lie au MDR lors d’une cérémonie où epouse la fille de Kayibanda.
Cette période fut difficile pour le principal parti d’opposition, où certains membres étaient pourchassés jusqu’à la mort.

Rwigema Pierre Célestin, compagnon de Twagiramungu lors de la création du MDR et futur Premier ministre du Rwanda, confie à IGIHE que rejoindre le MDR à cette époque était comme un acte suicidaire.

Il exprime : « Comment lutter contre Habyarimana au pouvoir sans même posséder d’arme ? Survivre à ce suicide était un privilège. »

Sous la pression de Habyarimana, le MDR se scinde en 1993 en deux factions, l’une fidèle au MRND de Habyarimana, appelée MDR Power, et l’autre, un parti d’opposition dirigé par Twagiramungu.

Lors du génocide perpétré contre les tutsi en 1994, des membres du MDR opposés au MRND sont assassinés, dont la Première Ministre Agathe Uwilingiyimana, le Ministre de l’Information Faustin Rucogoza, et d’autres.

Twagiramungu, lui-même, échappe de peu à la mort après l’attentat contre l’avion de Habyarimana, mais perd certains membres de sa famille dans cette tragédie.

Rukokoma, comme on le surnommait, trouve refuge au Stade Amahoro où étaient présentes les Forces des Nations Unies au Rwanda (MINUAR), avant de s’exiler en Belgique.

Il fait son retour au Rwanda en juillet 1994 afin d’occuper le poste de Premier Ministre au sein du gouvernement d’unité nationale, qu’il quittera en démissionnant de cette fonction en août 1995.

Devenir Premier ministre ne fut pas le fruit du hasard pour Faustin Twagiramungu, son nom figurait dans l’accord de paix d’Arusha.

Appelé par le FPR Inkotanyi pour contribuer à remettre le pays sur la voie de la reconstruction, il était perçu comme un acteur essentiel, notamment en raison de son affiliation politique excluant toute participation au génocide.

Cependant, son passage à cette fonction s’est avéré éphémère. Un an après avoir pris l’avion de Bruxelles à Kigali pour assumer le rôle de Premier ministre, Twagiramungu démissionna le 31 août 1995.

Selon Pierre Célestin Rwigema, les seules avancées notables étaient l’ouverture des écoles et la mise sur pied de certaines institutions.

Après sa démission, quatre autres ministres, dont Seth Sendashonga, l’ont suivi.

Lors du conseil des ministres précédant la démission, Twagiramungu et Sendashonga avaient accusé les forces du FPR d’actes répréhensibles à Kibuye, des allégations que Rwigema considère comme infondées et ignorant la réalité.

Rwigema affirme qu’étant donné la situation à l’époque dans le pays, affirmer que les forces de sécurité ne faisaient rien pour mettre fin aux massacres était un acte délibéré d’hypocrisie.

Dans le livre "A Thousand Hills : Rwanda’s Rebirth and the Man Who Dreamed It" de Stephen Kinzer, le président Kagame raconte comment Twagiramungu et ses collègues ont accusé le FPR Inkotanyi de soutenir le projet de vengeance contre les Bahutu.

Il a déclaré : « Il y avait des gens en colère et des raisons qui auraient pu rendre compréhensibles les meurtres par vengeance, mais cela n’a pas eu lieu. »

Il a poursuivi : « Si la vengeance se produisait, même eux [Twagiramungu] pourraient perdre la vie. Pourtant, ils n’ont joué aucun rôle pour empêcher que cela ne se produise. S’il y avait eu une idée de vengeance, cela se produirait à une grande échelle et personne ne l’aurait arrêté. »

Après avoir quitté le Rwanda pour retourner en Belgique, Twagiramungu fonda le Mouvement Forces de résistance pour la démocratie (FRD). Cependant, celui-ci ne dura pas longtemps car il disparut à la mort de Sendashonga en 1998.

Twagiramungu revint au Rwanda en 2003 et se porta candidat aux présidentielles.

Il fit campagne aux élections en tant que candidat indépendant puisque son parti MDR avait été dissous trois mois auparavant en raison de l’idéologie de discrimination.

Twagiramungu obtint 3,6% des voix et fut écrasé par Kagame, candidat qui avait été désigné par le FPR Inkotanyi.

Twagiramungu obtint 3,6% des voix aux présidentielles de 2003

Twagiramungu retourna ensuite en Belgique, poursuivant sa vie politique où il participa souvent aux activités de ceux qui s’opposaient au gouvernement rwandais vivant à l’étranger.

Il fonda le Parti RDI Rwanda Rwiza mais ne trouva pas d’adhérents, effectuant des alliances et mésalliances avec les opposants vivant a l’etranger.

Il rejoint d’autres partis tels que le RNC mais ne pu se mettre d’accord avec sa direction car il exigeait d’en être le Président sinon rien. La même chose aux FDU Inkingi, le PDP-Imanzi et le parti Amahoro dans le soi-disant « P5 », un groupe rebelle en République démocratique du Congo.

En désespoir de cause, il accepte le poste de Vice Président de Rusesabagina au sein du P5 qui lança diverses attaques contre le Rwanda. Mais il fut affaibli et beaucoup de ses combattants furent tués, d’autres furent capturés et traduits en justice au Rwanda, l’alliance s’affaiblit.

Ceux qui suivirent la politique de Twagiramungu convinrent tous qu’il était difficile de connaître sa ligne politique.

Le juriste, analyste politique, Tite Gatabazi, a déclaré : « Après avoir quitté le Rwanda, tous les mouvements auxquels il adhérait étaient impuissants. Partout Twagiramungu voulait qu’ils viennent tous vers lui pour qu’il les dirige, cela aboutissait à la mésentente. Il lui arrivait souvent de lancer des invectives lorsqu’il était contrarié et que ses plans tournaient au vinaigre. »

Pierre Célestin Rwigema déclara également qu’il était difficile de comparer Twagiramungu post génocide et celui d’avant le génocide qui s’était battu pour un Rwanda uni.

Il déclara : « Le fait qu’il ait eu cette [bonne] attitude, mais qu’il ait ensuite atteint le point où il a voulu coopérer avec les FDLR, est quelque chose de difficile à expliquer. Avant le début de la guerre, il était sérieux, mais je ne sais pas comment il a basculé. »

Lorsqu’on annonça à Twagiramungu qu’il rentrait pour devenir Premier Ministre du Rwanda en 1994, des journalistes en Belgique lui demandèrent pourquoi il allait s’aligner sur les tutsi, et il leur répondit que « la victoire du FPR n’appartient pas aux tutsi, elle appartient aux Rwandais ».

Cependant, Rwigema déclara que son désir d’imposer ses idées sur celles des autres, même contre l’évidence, est l’une des choses qui ont pu interférer avec la politique selon de Twagiramungu.

Il déclara : « Twagiramungu sentait qu’il devait toujours être devant, quand il n’avait pas obtenu cette première position, il n’acceptait pas les autres [...] que ce soit en paroles, en actes, il aimait le premier rôle. Quand il ne voyait pas que c’était lui qui allait à la première position et tout le reste, il ne l’acceptait pas. »

En Belgique, où vivait Twagiramungu, il n’avait pas d’autre travail connu que la politique. Même si beaucoup le considéraient comme un réfugié politique, il ne s’était jamais déclaré un réfugié politique.

Par exemple, en juin 2013, il déclara à la BBC qu’il souhaitait retourner au Rwanda pour y jouer toujours la politique. À ce moment-là, le journaliste lui demanda quel passeport il utiliserait à son retour, expliquant qu’il en possédait un rwandais et un belge. Il est entendu qu’il avait obtenu la citoyenneté.

Twagiramungu face aux médias pendant la campagne électorale de 2003
Une image emblématique de Twagiramungu en juillet 1994, au moment de son retour au Rwanda en tant que Premier ministre
Pendant sa campagne électorale, Twagiramungu fut fréquemment accusé de tenir des discours haineux
Faustin Twagiramungu soumet les documents de sa campagne électorale de 2003 à la Commission électorale

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