Quand la mémoire devient gênante
Deux communes belges - Liège et Charleroi - ont retiré leur participation aux cérémonies commémoratives organisées par Ibuka Belgique. Le motif invoqué ? Un refroidissement diplomatique entre Bruxelles et Kigali. À Charleroi, cette décision a été enveloppée dans des formulations prudentes, presque embarrassées, avant d’être -comble de l’ironie -partiellement contredite par le ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot, quelques jours après les cérémonies.
Pourquoi pas avant ? Pourquoi ce silence lourd de conséquences ? Pourquoi ce message trouble, transmis à une semaine d’un événement aussi chargé de douleur, pour être ensuite réinterprété à contretemps ? Ces contradictions ne peuvent être balayées d’un revers de main. Elles interrogent. Elles dérangent.
Et l’on se souvient, non sans perplexité, qu’à ce même Charleroi, il y a quelques années, des membres de l’asbl Jambo ont été aperçus lors d’une commémoration. Cette association se présente comme un groupe de promotion des droits humains et du dialogue dans la région des Grands Lacs, mais son noyau dur est composé, faut-il le rappeler, de descendants de personnes condamnées ou accusées pour leur rôle dans le génocide des Tutsi.
Imagine-t-on un instant les fils de nazis posant devant les stèles d’Auschwitz, comme si de rien n’était ? Une telle scène déclencherait à juste titre l’indignation générale. Et pourtant, lorsqu’il s’agit du Rwanda, ces aberrations passent, glissent, comme si la mémoire des Tutsi pouvait être soumise à des accommodements diplomatiques ou à une forme de relativisme moral.
Y a-t-il un lien entre cette présence passée de ce groupe et les décisions récentes du collège communal ? Je ne peux l’affirmer. Mais la concomitance de ces faits trouble. Et elle doit interroger.
Un désordre révélateur
Ce désordre apparent n’a peut-être rien d’un accident. Et s’il s’agissait d’une stratégie ? Une diversion subtile, destinée à détourner l’attention, à affaiblir la parole des rescapés, à diluer leur message, voire à instrumentaliser leur douleur dans des jeux d’équilibre diplomatiques qui les dépassent ? La question mérite d’être posée.
Une solitude familière
Mais au fond, ce n’est pas une surprise. Les rescapés savent ce que signifie être seuls. En 1994, le monde a fermé les yeux. Il a regardé ailleurs pendant que nos familles étaient exterminées. Aujourd’hui encore, certains semblent penser que notre mémoire est négociable. Qu’elle peut être suspendue, marginalisée, reléguée au second plan selon les vents de la diplomatie.
Cette attitude n’est pas seulement une erreur : elle est une faute morale.
Mémoire, dignité et responsabilité
La commémoration du génocide des Tutsi ne dépend d’aucun État, d’aucun accord bilatéral, d’aucune humeur gouvernementale. Elle est un impératif de dignité, un devoir universel. En Belgique, ce devoir est encore plus lourd. Car ce pays porte, qu’il le veuille ou non, une part de responsabilité historique dans les racines de cette tragédie.
Faire d’Ibuka une monnaie d’échange diplomatique est une insulte à la mémoire des victimes. Une gifle aux rescapés. Une trahison envers tous ceux qui, depuis trente ans, œuvrent inlassablement pour que la vérité soit dite, que la justice soit rendue et que l’oubli ne triomphe jamais.
Nous ne demandons pas la pitié -mais le respect
Nous n’avons pas besoin de compassion conditionnelle.
Nous avons besoin de respect, de constance et de clarté.
Car commémorer, c’est affirmer, sans détour : plus jamais ça.
Et ce message ne peut dépendre de la géopolitique. Il doit reposer sur des principes.
Sur une éthique. Sur l’humanité.

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