L’affaire, telle que rapportée par plusieurs dépêches entre la fin juillet et la première semaine d’août 2025, s’est construite sur un édifice de preuves lacunaires : variations numériques vertigineuses, anonymat des sources cardinales, absence d’éléments matériels vérifiables et, surtout, la révélation d’un faisceau d’intérêts et d’acteurs locaux susceptibles d’avoir instrumentalisé la narration du massacre.
Les premières traces de cette narration se trouvent dans un article publié le 31 juillet 2025, qui évoquait au conditionnel puis, progressivement, à l’indicatif la mort de 169 « fermiers » lors d’« attaques » imputées au M23. Cinq jours plus tard, la même accusation était portée par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH), qui faisait état de 319 victimes. Cette inflation chiffrée, notoire et inexpliquée, appelle deux interrogations élémentaires : sur quelles sources directes reposent ces bilans ? et pourquoi tant d’empressement à transformer des « allégations » en certitudes sans rendre publics noms, lieux d’inhumation ou pièces à conviction ?
L’enquête de terrain menée par African Facts met au jour des éléments troublants. La principale chaîne d’alerte provient d’un collectif local, le Collectif des Victimes de l’Agression Rwandaise (CVAR) et de syndicats d’organisations amies, qui puisent leurs récits au même vivier d’influence.
Or, l’analyse de la composition et des liens de ces structures révèle des affinités profondes avec des milices Nyatura de la Coalition des mouvements pour le changement (Nyatura–CMC). Plusieurs figures publiques du CVAR entretiennent des liens documentés, photos, vidéos et mandats judiciaires à l’appui avec des commandants ou cadres des Nyatura.
Dès lors, la possibilité que l’information ait été suscitée, amplifiée, voire fabriquée par des belligérants engagés au cœur du conflit ne peut être écartée d’un revers de main.
La chronique factuelle prise isolément s’avère incomplète et, parfois, contradictoire. Des enregistrements fournis au CVAR, présentés comme des preuves, se sont avérés dater de périodes antérieures ou concerner d’autres localités. Des témoignages transmises à distance par des activistes anonymes, parfois éloignés des lieux, n’ont pas permis la constitution d’un dossier probant : pas de listes nominatives, pas de relevés d’enterrements, pas d’inspection médico-légale accessible. Tout cela confère aux allégations une fragilité méthodologique qui contraint au doute plutôt qu’à l’affirmation péremptoire.
Sur le terrain même, la situation décrite par des témoins oculaires peint un tableau plus nuancé et, en certains points, radicalement différent. Les affrontements qui faisaient rage depuis des mois dans le groupement de Binza opposaient le M23 à des acteurs armés anciens de la région : FDLR et Nyatura–CMC, lesquels, selon des témoignages et des éléments iconographiques authentifiés, opéraient souvent en tenue civile et se mêlaient aux populations cultivatrices.
Dans ce contexte opacifié, des civils ont certes trouvé la mort au feu des combats ; mais l’idée d’exécutions massives méthodiques, au moyen de machettes et d’égorgements organisés à grande échelle, ne repose pas sur des preuves incontestables. À l’inverse, des exactions et des représailles commises par les Nyatura et leurs alliés, incendies de villages, décapitations, exécutions sommaires sont documentées et, pourtant, demeurent curieusement absentes des récits qui ont fait la « une » internationale.
Il faut ici insister sur une dimension stratégique et politique souvent éludée dans les comptes rendus officiels : la prise de Goma par l’AFC/M23 n’a pas constitué une victoire sans conséquences. Au contraire, elle a levé la chape d’un conflit latent et déclenché une série de ripostes haineuses et implacables de la part d’acteurs qui n’entendaient nullement « pardonner » une avancée militaire mettant à nu leurs réseaux, leurs intérêts et leurs anciens refuges.
L’expérience historique récente de la région, Kishishe, Kavumu, Katana, Kabare, et même des incidents antérieurs à Bukavu montre que la conquête d’un centre urbain stratégique s’accompagne inévitablement d’une volonté de représailles et d’une campagne de déstabilisation destinée à délégitimer et à fragiliser la force victorieuse.
Ainsi, l’AFC/M23 aurait dû, au jour même de son triomphe apparent, mesurer la probabilité élevée d’une offensive informationnelle et de sabotages orchestrés par ses ennemis, capables de produire des narratifs meurtriers, qu’ils soient exacts ou fabriqués.
Les conséquences de ce défaut d’anticipation ne sont pas seulement militaires : elles obèrent la capacité même de la communauté internationale à discerner le vrai du faux dans un théâtre d’opérations où la propagande devient arme. Lorsque des organisations parties prenantes du conflit fabriquent ou relayent des récits destinés à frapper l’opinion, la réponse doit être d’une rigueur probatoire exemplaire.
Les institutions chargées de documenter les violations doivent, dans de tels contextes, publier les éléments concrets, témoignages identifiables, constats médico-légaux, photos géolocalisées datées qui fondent leurs accusations. À défaut, elles participent, même involontairement, à l’escalade verbale et politique qui entrave toute possibilité de dialogue et de règlement.
La leçon que suggère cette enquête est double. D’une part, il est impératif de rétablir des standards d’enquête rigoureux et transparents pour toute institution émettant des accusations graves : la prudence méthodologique n’est pas un luxe, elle est une condition de justice. D’autre part, il est tragiquement naïf de croire qu’une victoire militaire isolée annule, du jour au lendemain, des décennies d’animosités, de réseaux occultes et de logiques de vengeance.
Les épisodes de Kishishe, Kavumu, Katana, Kabare et les tensions à Bukavu constituent autant d’avertissements hélas trop souvent négligés que les forces révolutionnaires auraient dû méditer avant de se flatter d’un triomphe durable.
En définitive, si des exactions ont bien été commises dans le Rutshuru, la responsabilité d’en rendre compte appartient d’abord à ceux qui publient. Mais la responsabilité stratégique d’anticiper les représailles et d’en minimiser les effets pèse également sur les mains de ceux qui, momentanément victorieux, croient à tort que la conquête matérielle suffit à neutraliser des adversaires prêts à toutes les manipulations.
Tant que la vérité ne sera pas établie selon des standards irréfutables, toute condamnation péremptoire restera suspecte et la région, elle, continuera de payer le prix fort de ces demi-vérités et de ces omissions calculées.

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