Sauf, bien sûr, pour un tout petit détail : les mêmes architectes de la haine, ceux qui ont envoyé des centaines de milliers de personnes à la mort via les ondes de la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM), ont trouvé du travail rémunéré dans les hautes sphères du journalisme international.
Parmi eux, Vénuste Nshimiyimana — l’un des intellectuels à l’origine de la RTLM — qui, par la suite, a animé les ondes de la British Broadcasting Corporation (BBC) et de la Voice of America (VOA).
Conçue au départ comme un outil politique pour contrer les menaces perçues au début des années 1990, la RTLM s’est transformée en un véritable porte-voix du génocide contre les Tutsi.
Derrière sa création se trouvait une coalition sinistre de journalistes, d’élites politiques, de magnats des affaires et de propagandistes, qui ont consciemment utilisé les médias pour inciter au massacre de masse.
Il est essentiel de revenir sur les origines de la RTLM, sur les témoignages accablants révélés au fil des décennies de procès, et sur les conséquences durables de l’indifférence internationale envers ses architectes, dont certains ont continué à occuper des postes respectables au sein des grands médias mondiaux.
La Genèse de la RTLM et les Hommes Derrière sa Création
Retracer les origines de la RTLM revient à suivre les traces des architectes du génocide contre les Tutsi au Rwanda.
Dans son témoignage de 2006 devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) (Affaire n° ICTR-2005-84-1), Joseph Serugendo a reconnu que, de début 1992 jusqu’en juillet 1994, il avait participé à des « réunions politiques et rassemblements afin d’endoctriner, de sensibiliser et d’inciter les membres de l’Interahamwe à tuer ou à causer des blessures graves physiques ou mentales aux membres de la population tutsie, dans le but de détruire ce groupe ethnique ». (voir le Jugement et Sentence dans l’affaire Le Procureur c. Joseph Serugendo, Affaire n° ICTR-2005-84-1 du 12 juin 2006, paragraphes 20-22).
Membre du comité exécutif national de l’Interahamwe, Joseph Serugendo a ainsi admis qu’à partir de 1992, « en tant que membre de l’Interahamwe, il avait planifié, avec d’autres dirigeants du MRND et des milices Interahamwe, des réunions politiques et rassemblements visant à inciter les membres de l’Interahamwe à tuer ou à infliger de graves préjudices aux membres de la population tutsie dans l’objectif de détruire ce groupe ethnique ».
Tout aussi révélatrice fut l’aveu de Serugendo concernant la création de la RTLM.
Il a reconnu que, du 8 avril 1993 jusqu’en juillet 1994, « lui et d’autres avaient planifié d’établir, de financer et d’exploiter la RTLM comme une station de radio diffusant un message anti-Tutsi, destiné à attiser la haine raciale et, en fin de compte, à détruire le groupe ethnique tutsi ».
La RTLM fut donc dès son origine une station de radio explicitement destinée à propager un message anti-Tutsi. Son objectif était clair : inciter à la haine et préparer le terrain pour l’extermination de masse d’un peuple.
La dernière partie de cet aveu est particulièrement importante, notamment l’expression « lui et d’autres » qui avaient planifié la création, le financement et l’exploitation de la RTLM.
Qui étaient ces « autres » ? La réponse a été donnée par nul autre que Ferdinand Nahimana lui-même, lors de son témoignage devant le TPIR le 23 septembre 2002, dans le cadre de son propre procès.
Lors de l’interrogatoire principal, une question fut posée par son avocat, Jean-Marie Biju-Duval : « Monsieur Nahimana, pouvez-vous dire à la Chambre, autant que vous le savez, comment, par qui, et à quelle date est née l’idée de la création de la RTLM ? »
D’une voix posée, Nahimana répondit : « L’idée de créer la RTLM est née — enfin, elle m’a été communiquée en septembre ou octobre 1992. Je dis qu’elle m’a été communiquée car cela a été fait par deux anciens collègues devenus mes amis, M. Joseph Serugendo et le journaliste Vénuste Nshimiyimana. »
Nahimana poursuivit son récit : « Ce dernier était journaliste et travaillait pour la télévision rwandaise. Ils sont venus me voir chez moi et m’ont dit que l’idée de créer une station de radio était en vogue… Pour eux, cela apparaissait comme une bonne chose, une radio qui serait créée politiquement pour contrer ce que faisait le FPR. Je ne sais pas d’où venait cette idée, ni qui en était à l’origine, mais c’est ainsi que j’en ai entendu parler. »
Me Biju-Duval posa alors une question complémentaire à Nahimana : « Pouvez-vous nous dire comment s’est constitué le cercle des fondateurs de la RTLM ? » Nahimana répondit longuement : « Ce même soir, lorsqu’ils m’ont partagé cette idée — tout d’abord, je l’ai trouvée très intéressante, et je leur ai demandé pourquoi moi, pourquoi étaient-ils venus me voir ? En avaient-ils parlé à d’autres ?
Ils ont répondu : "Nous vous connaissons d’ORINFOR, vous êtes au courant des questions de presse, vous connaissez pas mal de monde... Ce qui nous intéresse, c’est le financement. Et vous pouvez contacter en particulier des personnes du MRND..." »
Très vite, Nahimana déclara à la Chambre de première instance du TPIR la première personne qui lui vint à l’esprit : « J’ai pensé à M. Félicien Kabuga. J’ai dit (à Serugendo et à Nshimiyimana) : "Et si on l’appelait pour lui en parler ?" Alors je l’ai appelé immédiatement et il a répondu. Je lui ai expliqué que j’étais avec de jeunes journalistes, techniciens de la radio, qui avaient une idée intéressante… »
Dans son témoignage, Nahimana précisa que Kabuga avait adoré l’idée et, dès le lendemain, le trio le rencontra dans son bureau : « Nous avons discuté, Kabuga a accepté et a dit : "Non, faisons participer d’autres personnes." Nous lui avons demandé de contacter ses collègues hommes et femmes d’affaires, ainsi que d’autres personnes ; il y avait aussi des gens dans l’administration ; ils contacteraient leurs amis, et ainsi de suite… »
Le reste appartient aux détails de l’histoire : ainsi s’explique ce fameux "d’autres" mentionné par Serugendo dans la naissance du porte-voix des génocidaires.
La réponse était simple : Nahimana, en tant qu’ancien directeur de l’ORINFOR (Office rwandais d’information), disposait d’un vaste réseau de contacts dans les médias et d’une grande influence.
Sa première idée fut d’impliquer Félicien Kabuga, l’un des hommes d’affaires les plus riches du Rwanda et un important soutien financier du MRND.
Kabuga, tristement célèbre aujourd’hui pour avoir financé le génocide, approuva rapidement l’idée, ralliant d’autres élites économiques et responsables du MRND pour financer les opérations de la RTLM.
Comme Nahimana l’a témoigné, Kabuga organisa immédiatement des réunions et assura le financement nécessaire.
Aller à l’encontre d’un Accord de Paix
La création de la RTLM n’était nullement une coïncidence. Le 12 juillet 1992, le Gouvernement du Rwanda et le FPR ont signé un Accord de Cessez-le-feu à Arusha, en Tanzanie. Parmi ses nombreuses dispositions, l’Article VII stipulait la cessation des hostilités, y compris "la propagande dénigrante et infondée par le biais des médias de masse."
Cependant, pour les planificateurs du génocide, cette disposition représentait un obstacle, car le radiodiffuseur national, Radio Rwanda, était contraint de modérer son langage conformément aux termes du cessez-le-feu. La RTLM, entité privée, était libre d’ignorer de telles restrictions, permettant ainsi à ses opérateurs de continuer à inciter à la haine contre la population tutsie sans aucune interférence.
Prosper Musemakweli, alors Directeur par intérim de l’ORINFOR, a affirmé qu’après la signature de l’accord, il avait instruit Radio Rwanda et les médias imprimés sous l’autorité de l’organisation d’éviter tout langage incendiaire tel que "Inyenzi" (cafards) ou "Inyangarwanda" (ennemis) en référence au FPR ou aux Tutsis en général — ainsi que tout autre appel à la violence qui conduirait plus tard au génocide.
Fin 1992, les négociations de paix se poursuivent à Arusha, en Tanzanie, entre le gouvernement rwandais et le Front Patriotique Rwandais (FPR). Les négociateurs avaient déjà signé le Protocole d’Accord sur l’État de Droit le 18 août 1992 ; et les deux parties avaient accepté le principe du partage du pouvoir dans le cadre d’un Gouvernement de Transition à Large Base. Le Rwanda se rapproche de la signature du Protocole d’Accord sur le Partage du Pouvoir prévue pour le 30 octobre 1992.
À Kigali, une activité inhabituelle se déroule. Deux hommes, Joseph Serugendo — un cadre de la milice Interahamwe — et Venuste Nshimiyimana — un journaliste chevronné — se rencontrent et élaborent une idée qui allait devenir l’un des outils de meurtre de masse les plus toxiques de l’histoire.
Les deux hommes approchent leur complice, Ferdinand Nahimana. Leur proposition ? Créer une station de radio privée, la RTLM, qui contournerait les restrictions imposées à Radio Rwanda après l’Accord de Cessez-le-feu de juillet 1992 avec le FPR. La RTLM, sous couvert de divertissement, attiserait la haine raciale, inciterait à la violence et préparerait le terrain au génocide.
Nahimana, surnommé le "Josef Goebbels" du Rwanda, perçut immédiatement le potentiel stratégique de l’initiative. Ce n’était pas une simple machine de propagande — c’était un haut-parleur de la mort. Le trio agit rapidement et sollicita l’aide de Félicien Kabuga, homme d’affaires fortuné et principal financier du MRND, pour financer la station.
Nshimiyimana et Nahimana jouèrent un rôle crucial en tant qu’idéologues, mettant à profit leur expertise médiatique pour assurer que le message de haine atteigne chaque recoin du pays. Les détails sont essentiels pour comprendre une telle tragédie historique.
La RTLM utilisa l’humour, la musique populaire — avec des messages directs ou codés — pour inciter au génocide et à la violence, détruisant ainsi toute notion de coexistence au sein de la société rwandaise. Le "génie" — si l’on ose employer ce mot en un tel contexte — de leur approche résidait dans leur capacité à masquer la haine sous une apparence de divertissement.
Les émissions de la radio n’incitaient pas seulement à la haine, mais encourageaient activement la participation au génocide. Elles dirigeaient les barrages routiers, encourageaient les attaques contre les Tutsis en fuite, et fournissaient des informations précises sur les cibles. Le témoignage de Serugendo, ainsi que les aveux de Nahimana lui-même, ne laissent aucun doute sur les intentions et l’impact de la RTLM. Le jugement du TPIR contre Nahimana, Serugendo et d’autres confirme cette sombre réalité.
« Plus jamais », mais pour qui ?
« Plus jamais ». C’est une phrase gravée sur les murs des mémoriaux, invoquée solennellement lors des rassemblements internationaux, et fréquemment reprise dans les discours des dirigeants mondiaux. Une promesse, nous dit-on, de prévenir la survenue de nouveaux génocides. Mais, comme beaucoup d’engagements ambitieux, la réalité est souvent tragiquement éloignée de l’idéal.
Le monde est conduit à croire que Vénuste Nshimiyimana s’est, d’une manière ou d’une autre, métamorphosé d’architecte de la haine et du génocide en employé de médias occidentaux réputés. D’abord à la BBC, puis à Voice of America. Quel retournement fascinant du destin ! Le même homme qui avait conspiré avec Nahimana pour créer une radio génocidaire s’est retrouvé sur des ondes censées informer et éduquer.
Par exemple, comment concilier la noble promesse de « Plus jamais » avec l’embauche par la BBC de Vénuste Nshimiyimana — un homme qui, selon toutes les sources, fut l’un des cerveaux derrière le média qui a encouragé avec ferveur le génocide ? Pour le dire franchement : « Plus jamais » semble manifestement assorti d’un astérisque.
L’histoire condamnera peut-être les cerveaux de la RTLM avec mépris, mais qu’en est-il des institutions qui ont échoué à tenir ses propagandistes pour responsables ? En recrutant des individus impliqués dans l’incitation au génocide, les grands médias internationaux ont envoyé leur propre message — que les atrocités commises contre les Tutsis seraient, en quelque sorte, moins graves, que les propagandistes n’avaient fait que « leur travail ». Cette indifférence doit cesser. Les survivants méritent la justice, non un monde où les voix qui ont appelé à leur extermination se voient offrir de nouvelles tribunes.
Alors que les négationnistes de l’Holocauste sont (à juste titre) traités avec mépris et privés de toute plateforme, ceux liés au génocide des Tutsis — que ce soit par l’incitation directe ou la propagande — ont trouvé des carrières lucratives dans le journalisme.
On peut se demander : la BBC ou la VOA auraient-elles osé recruter aussi facilement une personne liée à la propagande nazie ? On imagine difficilement que oui. Mais pour le Rwanda, un pays qui a subi l’un des génocides les plus rapides de l’histoire moderne ? Un haussement d’épaules, et une offre d’emploi. Ce deux poids, deux mesures est flagrant et révèle l’indignation sélective souvent pratiquée par les médias occidentaux.
En recrutant des individus comme Nshimiyimana, les diffuseurs internationaux ont consciemment légitimé l’héritage de la RTLM. Les messages de haine qui résonnaient autrefois dans les ondes de Kigali ont trouvé un écho bien au-delà des frontières du Rwanda. Lorsque la BBC et la VOA ont intégré Nshimiyimana dans leurs rangs, elles ont validé les architectes du génocide, en ignorant la douleur et les traumatismes des survivants qui portent encore aujourd’hui les cicatrices de la violence de la RTLM.
On pourrait penser que les révélations de Nahimana devant le TPIR en 2002 auraient servi de signal d’alarme pour des institutions comme la BBC. Hélas, dans les couloirs empreints de suffisance de la British Broadcasting Corporation, les engagements du type « Plus jamais » semblent être réservés aux grandes occasions — peut-être aux cocktails ou aux documentaires soigneusement scénarisés.
Dans un monde juste, cette révélation aurait déclenché une onde de choc dans le paysage médiatique. Après tout, la RTLM n’était pas simplement une station de radio — elle fut un outil qui a activement contribué au génocide de 1994 contre les Tutsis, causant la mort de plus d’un million de personnes.
Assurément, des institutions comme la BBC, fières de leur engagement envers l’intégrité journalistique, auraient dû examiner de près leurs pratiques de recrutement, surtout compte tenu des liens de Nshimiyimana avec une entreprise aussi sinistre. Mais au lieu de cela : silence radio !
Et nous en sommes là. Nshimiyimana, pleinement exposé comme l’un des artisans de la RTLM et de son idéologie génocidaire, a bénéficié — et continue de bénéficier — d’une légitimité et d’une impunité internationales. L’indifférence de la BBC et de la VOA n’est pas qu’une simple erreur ; c’est une condamnation d’une culture médiatique mondiale qui choisit soigneusement quels crimes elle se souvient et lesquels elle préfère oublier.
Le “Plus jamais” vidé de son sens
On ne peut évoquer le « Plus jamais » sans aborder cette faillite morale. Les médias internationaux se sont longtemps présentés comme les gardiens vertueux des leçons de l’histoire. Mais que signifie cet engagement lorsque ces mêmes gardiens accueillent en leur sein des figures comme Vénuste Nshimiyimana ?
Cela suggère que, malgré leurs déclarations condescendantes, ils sont prêts à fermer les yeux lorsque cela les arrange. Le fait que le témoignage détaillé de Nahimana sur le rôle de Nshimiyimana dans la création de la RTLM n’ait pas provoqué d’indignation immédiate de la part de la BBC en dit long. Cela révèle une amnésie sélective, un haussement d’épaules apathique face aux horreurs de l’histoire lorsqu’elles deviennent gênantes.
Il ne s’agit pas d’une simple critique théorique ; cela a des conséquences bien réelles pour les survivants du génocide. Imaginez survivre à un génocide alimenté par des discours de haine, pour ensuite apprendre que l’un de ses principaux architectes travaille désormais pour une organisation médiatique prétendant défendre la vérité face au pouvoir. En quoi cela correspond-il à une véritable interprétation de la justice ou de la responsabilité ?
Et ainsi, le cycle tragi-comique de l’histoire se poursuit. Les architectes du génocide au Rwanda réapparaissent, reconditionnés et légitimés par des institutions qui devraient pourtant savoir mieux. L’embauche de Vénuste Nshimiyimana par des médias réputés jette une ombre lourde sur toute discussion crédible concernant la justice, la responsabilité ou la sacralité du « Plus jamais ». Sa présence dans les médias internationaux tourne en dérision la souffrance des survivants et compromet toute tentative sincère d’apprendre des erreurs du passé.
Les mots ont du poids. Ils peuvent tuer, ils peuvent guérir, et ils peuvent être déformés jusqu’à devenir des parodies grotesques. Pour les survivants du Génocide contre les Tutsis, l’indifférence du monde envers ceux qui ont propagé le poison de la RTLM n’est pas une simple omission ; c’est un rappel sinistre que même le « Plus jamais » peut devenir une formule creuse — surtout lorsque ceux chargés de le défendre choisissent, au contraire, d’oublier.

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