00:00:00 Nos sites KINYARWANDA ENGLISH FRANCAIS

La Justice française et le Génocide anti-Tutsi

Redigé par Jean Baptiste Rucibigango
Le 18 octobre 2016 à 07:23

Le bilan des dernières années écoulées- 2015 et 2016, et perspectives Il n’y a plus, actuellement, de tribunaux pour juger les crimes de génocide anti- tutsi du printemps sanglant de 1994, au Rwanda. Les juridictions rwandaises dites « gacaca » qui ont jugé un très grand nombre d’exécutants de base depuis 2005, ont définitivement fermé en 2012, et ne pourraient plus rouvrir. Le tribunal Pénal International d’ Arusha [TPIR], mis en place pour juger les criminels de génocide, a rendu son dernier verdict le (...)


Le bilan des dernières années écoulées- 2015 et 2016, et perspectives
Il n’y a plus, actuellement, de tribunaux pour juger les crimes de génocide anti- tutsi du printemps sanglant de 1994, au Rwanda. Les juridictions rwandaises dites « gacaca » qui ont jugé un très grand nombre d’exécutants de base depuis 2005, ont définitivement fermé en 2012, et ne pourraient plus rouvrir. Le tribunal Pénal International d’ Arusha [TPIR], mis en place pour juger les criminels de génocide, a rendu son dernier verdict le 14 décembre 2015.

Cependant, les crimes de génocide sont imprescriptibles. Vingt-deux ans après les faits, les juridictions nationales ordinaires de tous les pays, y compris celles du Rwanda, peuvent encore, en principe, les traiter. C’est le cas actuellement de la justice Française qui traite, à un rythme extrêmement lent, un certain nombre de procédures, y compris l’enquête sur l’attaque contre l’avion d’ex-président Juvénal Habyarimana, des plaintes contre les complicités françaises, et des procès en diffamation intentés par des responsables français. Cet article relaie leurs développements récents, rapportés par la revue annuelle La Nuit rwandaise no 10 du 7avril 2016.

La plupart des exilés politiques rwandais résidant sur le territoire français sont, en réalité, des génocidaires avérés. La justice rwandaise réclame régulièrement leur extradition, mais le gouvernement français répond par une fin de non- recevoir à cette demande, relayée par des plaintes d’ un collectif des parties civiles pour le Rwanda [CPCR], constitué autour d’ un couple mixte franco- rwandais de Dafroza et Alain Gauthier, et d’ autres associations de société civile française- notamment Survie, la Ligue des droits de l’ homme, et d’ autres.

Tout d’ abord, il faut signaler qu’ en raison de sa lenteur dans l’ instruction, la France a déjà été condamnée par la cour Européenne des droits de l’ homme, notamment dans l’ affaire Munyeshyaka-un prêtre catholique génocidaire contre lequel la première plainte avait été déposée tôt en 1995- sans que cela n’ ait beaucoup d’ effet. Ce qui a changé, entretemps, c’est la mise en place en 2012 du « pôle génocide et crimes contre l’humanité », mais qui souffre de disfonctionnement par pénurie du personnel et du budget. Parmi les 30 dossiers à traiter figurent notamment les suivants :

(i) En février- mars 2014, le premier procès d’un responsable rwandais- contre le capitaine Pascal Simbikangwa- avait débouché sur une condamnation à 25 ans de prison. Mais son procès en appel est prévu à Bobigny, du 24 octobre au 9 décembre 2016 et, comme l’appel doit reprendre pratiquement à zéro tout le procès, son issue peut être différée.

(ii) Le procès en cours de jugement contre Tito Barahira et Octavien Ngenzi, deux ex- bourgmestres successifs de Kabarondo, dans l’actuelle Eastern province.

(iii) Le procès en appel contre le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, pour incitation au génocide et viols, plus de 20 ans après les faits.

(iv) D’autres procès annoncés pour le futur, avec un rythme d’environ un ou deux par an, plus les appels éventuels. Plus le temps passe, plus la maladie et la mort touchant les accusés et les témoins, rendre la justice devient fortement improbable. Ajoutez que ces procès sont excessivement coûteux pour les parties civiles plaignantes entièrement bénévoles.

L’interminable enquête sur la destruction du Falcon50 d’ex- président Habyarimana
Le 6 Avril1994, l’avion Falcon 50 de l’ex-président rwandais Juvénal Habyarimana (1973-1994) s’est écrasé en entrainant la mort de ce président, de son homologue Burundais, des membres de son entourage qui voyageaient avec lui en provenance de Dar- es- Salaam en Tanzanie, et des trois militaires français qui constituaient l’équipage de l’avion. La présence des Français parmi les victimes a rendu possible le dépôt d’une plainte auprès de la justice française. Mais le juge Bruguière a complètement désorienté l’enquête, versé dans le négationnisme du génocide anti- tutsi et accusé, sans avoir jamais mis le pied au Rwanda, le FPR d’être responsable de cet attentat.

À partir de 2007, l’enquête a été reprise par le juge Marc Trévidic assisté par la juge Nathalie Poux, qui considéraient que le dossier est vide et s’apprêtaient, en Avril 2014, à prononcer un non- lieu en faveur du FPR. Cf. la revue la nuit rwandaise no10 du 7avril 2016, p.28.

Malgré la volonté des deux juges et celle affichée, à cette époque, par l’Élysée, l’enquête piétine : Le secrétariat Général de la Défense de la sécurité National refuse d’ouvrir des archives couvertes par le secret- défense. Six mois après sa demande de leur déclassification, le juge Trévidic n’avait pas toujours obtenu la réponse positive.

Fin août 2015, atteint par la limite des 10 ans dans le même poste, Trévidic part sans avoir obtenu les documents qu’il réclamait, et accuse publiquement [notamment sur France Inter du 3 juillet 2015] le gouvernement Français d’avoir fait l’obstruction à sa démarche. Trévidic est remplacé par le juge Jean - Marc Herbaut, assisté par la juge Poux. Curieusement, juste au moment de départ du juge Trévidic, la Commission Consultative du Secret de la Défense Nationale se montre favorable à la déclassification de certains documents concernés de la DGSE- un service secret- ou émanant de l’État - major des armées, soit 56 pages au total. On remarque cependant, que pour 4 de ses documents, certains paragraphes sont biffés, sans qu’aucun motif ne soit avancé. Op. cit. , p29.

On note avec intérêt la présence d’un télégramme no117 du 6 avril 1994 [1 page] qui confirme qu’un officier Français Saint- Quentin aujourd’hui déployé au Mali, fut le premier à se rendre sur le lieu du « crash » du Falcon 50 d’ex-président Habyarimana. On sait également, grâce au député Lefort, l’existence d’une lettre confirmant l’existence de 2 boîtes noires, qui, entretemps, ont mystérieusement disparu.

Enfin, sur les divagations d’un opposant politique rwandais, Kayumba Nyamwasa, exilé en Afrique du Sud le gouvernement français a relancé l’enquête. Au moment où nous mettons la dernière main sur cet article, il est impossible d’en prévoir l’issue finale. Cependant, il est important de noter que la double qualité de Nyamwasa, comme accusé lui-même et témoin à charge à la fois, la rend incompatible avec le code pénal français.

Complicité de génocide
Depuis 2004, la commission d’enquête citoyenne française étudie différents dossiers pouvant prouver, de façon évidente, l’implication de certains Français dans le génocide de 1994 contre les Tutsi ; par exemple :

(i) Du 27 au 30 juin 1994, dans les collines de Bisesero dans l’actuelle Western province, plusieurs centaines de civils Tutsi y ont été tués par des militaires des ex- FAR et les miliciens Interahamwe. Des militaires français des forces spéciales- probablement appartenant au COS- lire supra- avaient reçu un mandat des Nations Unies de faire cesser ces massacres. Ils ne l’ont pas fait, alors qu’ils se trouvaient là, sans intervenir. Depuis 2005, six des rescapés les accusent de complicité, mais l’enquête paraît très lente, entravée par le Parquet français.

(ii) Dans ce même dossier, les rescapés du camp de réfugiés de Murambi [dans l’actuel District de Nyamagabe] portent plainte contre les troupes françaises de l’Opération turquoise du meurtre de 3 réfugiés, au moins, d’embarquements d’autres dans des hélicoptères depuis lors disparus, et de mauvais traitements. L’enquête sur ce volet est en cours, mais peu d’éléments filtrent publiquement.

(iii) Six femmes rescapées de génocide sans les camps de réfugiés contrôlés par les militaires de Turquoise, soutenues par Annie Faure, ont déposé une plainte de viol en 2004. Malgré les entraves de l’armée et du Parquet français, il semble que l’enquête avance au pôle génocide.

(iv) Le 24 juin 2013, une plainte pour complicité de génocide a été déposée par les associations Survie et FID notamment, contre le « fameux » capitaine Paul Barril, sur la base ses faits irréfutables. « Des témoins affirment l’avoir vu á Kigali peu avant le 6 avril 1994, jour où l’avion d’ex-président Habyarimana fut abattu, lui-même reconnait avoir été présent en Afrique centrale autour de cette date. Certains n’hésitent pas à lui attribuer une responsabilité dans les tirs de missiles>. Op. cit., p.32. À ce jour, l’enquête se trouve en cours, mais rien ne filtre publiquement sur son état d’avancement. Ibidem.

(v) Des sources d’information recoupées attestent que la France, l’Afrique du Sud, la Grande-Bretagne et même l’Israël ont livré des armes au gouvernement génocidaire intérimaire, avant ou pendant le génocide, en passant outre la décision d’embargo de l’ONU. Un tollé a été soulevé à ce sujet par une déclaration d’Hubert Védrine, qui a reconnu formellement ce fait. Sur la demande de Survie déposée le 2 novembre 2015, une enquête préliminaire a été immédiatement ouverte.

(vi) Une plainte annoncée le 13 mai 2014 par le reporter Serge Farnel et Bruno Boudiguet, mais non encore officiellement déposée, contre une douzaine- au moins de « militaires blancs » ou des mercenaires, recrutés par Paul Barril, qui auraient participé directement au massacre de Bisesero, le 13 mai 1994.

En conclusion, le pôle génocide fait difficilement face à autant d’affaires longues et complexes, se retrouve entravé par la pugnacité de responsables français, la diminution du nombre de juges d’instruction, le manque de gendarmes et policiers enquêteurs pour les aider, et par la quantité des dossiers concernant les génocidaires rwandais résidant en France. Pour les parties civiles, on l’a déjà souligné, ces longues procédures sont excessivement onéreuses et dépassent leurs moyens.
Ajoutez que, dans certains cas, les gens au pouvoir en France ainsi mis en cause ont choisi de porter plainte pour « diffamation ». Par exemple, Annie Faure- lire supra- les chercheurs Jean- Pierre Chrétien et Jean- François Dupaquier en ont fait les frais parmi ceux-ci, le journaliste Patrick de Saint- Exupéry [petit-fils du célèbre écrivain du même nom et héros de la guerre de résistance Française] paraît être le plus accablé par ces procès en « diffamation », depuis ses reportages de 1994 à Bisesero, et surtout sa série d’article très courageux, dans le magazine Le Figaro publiés en 1998 en écho au centenaire du « J’ accuse » d’ Émile Zola. Pourtant, les officiels plaignants français [dont François Mitterrand lui- même, dès son vivant, Dominique de Villepin, Hubert Védrine, le juge Jean-Louis Bruguière, les banques Crédit Lyonnais, BNP, et des officiers de haut rang] n’ont attaqué, sur le fond, aucun de ses articles, pas plus qu’ils n’ont attaqué son livre « L’inavouable » publié en 2004, en reprenant l’essentiel de ses articles.

Pour conclure définitivement, il convient de relever ce paradoxe : alors que tant de petits délinquants passent en comparution immédiate, il est sidérant, souligne La Nuit rwandaise, de constater que ces personnes accusées de génocide ou de complicité échappent encore à leur procès plus de 20 ans après. Un seul espoir : les accusations portées contre elles sont imprescriptibles, et elles peuvent être continuellement visées jusqu’à leur mort, même s’il ne s’agit là que d’une mince consolation pour les rescapés du génocide.

* L’auteur de ce texte est présentement Député au Parlement rwandais et représente le PSR/Parti Socialiste Rwandais. Il fut longtemps journaliste à la Nouvelle Relève avant de verser dans la politique.


Publicité

AJOUTER UN COMMENTAIRE

REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Publicité