Le mariage est un heureux évènement dans plusieurs sociétés. Pour de nombreuses communautés de la région des Grands Lacs africains, il est devenu également de plus en plus coûteux !
Cet article examine certaines pratiques émergentes liées au mariage dans un contexte où sa célébration subit des mutations profondes.
L’article se focalise sur des pratiques à travers lesquelles la collusion entre tradition et capitalisme moderne crée un système malsain et insoutenable de « paiement » de dot et de financement des somptueuses cérémonies de mariage qui imposent un fardeau injustifiable aux familles et aux communautés.
L’argument central soutient que les caractéristiques néocapitalistes ayant imprégné la conclusion du mariage ainsi que les pratiques émergentes de son financement à travers des collecte de fonds – faisant notamment recours aux Groupes WhatsApp – représentent un abus des valeurs positives africaines de solidarité communautaire et d’interdépendance.
L’article s’appuie sur une expérience personnelle de participation active dans l’organisation des mariages et sur des échanges avec des informateurs clés en quête d’avis et expériences complémentaires.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de rappeler que le mariage est l’une des plus anciennes institutions humaines et qu’à ce titre, sa célébration solennelle est une pratique commune à de nombreuses sociétés. Dépendamment des cultures, différentes normes régissent la forme et le fond des unions matrimoniales.
Ces normes diffèrent d’une société à l’autre et évoluent souvent à travers le temps. Différents facteurs historiques, économiques, philosophiques et culturels exercent une influence sur la forme et le contenu des célébrations de mariage. Pour les diverses communautés de la région des Grands Lacs africains, le mariage est régi par des normes coutumières et des législations de leurs pays respectifs.
Ces pratiques coutumières et normes étatiques sont diversement influencées par l’évolution des moeurs dans nos sociétés modernes de plus influencées par et connectées au reste du monde.
Partie intégrante de la conception coutumière du mariage, l’institution de la dot est une pratique de plus en plus controversée qui a survécu à la domination coloniale et aux influences modernes.
Pour de nombreuses sociétés traditionnelles de la région des Grands Lacs, la dot avait un fondement culturel plus ou moins justifiable. Lorsqu’un homme épousait une femme, les normes patriarcales dictaient que la femme quitta le toit parental, son village et les siens pour s’installer dans la communauté de son mari.
La dot était donc versée par (la famille de) l’homme pour sceller une alliance entre les deux familles mais aussi , en quelque sorte en guise de compensation symbolique pour ce déracinement. La valeur de la dot – qu’elle soit versée en bétail ou en objets matériels – restait souvent symbolique : à travers les cadeaux au couple, y compris des pratiques telles que le kurongoranya, le solde des transferts des biens de la famille du marié à celle de la mariée restait souvent insignifiant.
Certaines de ces caractéristiques sont encore observables dans quelques sociétés culturellement conservatrices, souvent rurales, pour lesquelles les pratiques du mariage sont encore largement régies par tradition. Cependant, à mesure que les sociétés changent et que les modes de vie évoluent, les transactions basées sur l’échange faisant place à une économie de marché, ces caractéristiques du mariage coutumier disparaissent progressivement.
La nature et la valeur de la dot subissent des mutations : l’echange rituel des biens tels que le bétail ou des outils ou produits agricoles voire même des objets métalliques et artistiques cède la place à une dot calculée en valeurs monétaires. Dans certains cas, la richesse de (la famille du) marié ou le niveau d’éducation de la mariée sont pris en compte dans la détermination de la dot.
Il n’est plus rare qu’un prétendant au mariage soit requis de verser une somme de 1 000 $, 3 000 $ ou plus en guise de dot. Étant donné que les législation y relative en RDC, au Burundi et au Rwanda ne déterminent pas – ou n’imposent de plafonds quant à – la valeur de la dot, cette pratique connait des abus.
De tels abus soulèvent la question de savoir si la dot continue à remplir sa fonction traditionnellement symbolique visant à sceller l’alliance entre les familles ou si elle s’est transformée en un outil de réification des femmes dont la valeur, en tant que futures épouses, est déterminée sur le marché.
De ce fait, le pluralisme juridique qui soumet le mariage aux normes aussi bien coutumières qu’étatiques accuse de sérieuses lacunes. Alors que des influences modernistes sur le droit de la famille burundais et rwandais ont conduit les législateurs dans les deux pays à inclure des dispositions affirmant que la validité du mariage ne devrait pas être conditionnée au paiement de la dot – inkwano est maladroitement traduit dans la version anglaise du code de la famille rwandais de 2016 comme « prix de la mariée » – la législation congolaise prévoit que le mariage ne peut être célébré que si la dot a été effectivement versée au moins en partie.
En l’absence de clarté dans les normes aussi bien coutumières que législatives sur l’objet et la valeur de dot, sa monétisation consistant quasiment à mettre un prix sur la valeur des jeunes femmes à marier s’accorde difficilement avec l’héritage culturel de nos sociétés ni avec les valeurs modernes des droits humains.
Déterminer la valeur de la dot est une chose, couvrir les frais des différents rituels du mariage en est une autre.
Pour de nombreuses communautés, les formalités et cérémonies de mariage s’articulent sur trois principaux rituels s’étendant sur deux à trois jours voire plus : une cérémonie de mariage civil, une cérémonie de dot et une célébration du mariage proprement dit.
Dans certains cas, d’autres cérémonies telles que le gutwikurura (dévoilement) complètent la liste. Chacune de ces cérémonies requiert un engagement financier conséquent.
Il importe de souligner que dans de nombreuses communautés, la cérémonie du mariage civil représente un événement solennel mais moins exigeant.
Il s’agit essentiellement d’une formalisation du mariage devant un fonctionnaire civil compétent qui prépare les registres nécessaires devant être signer par le représentant de l’état, le couple et ses témoins. Une réception pour les quelques invités après les formalités administratives est sujette au libre choix des couples.
En revanche, la cérémonie de dot a pris une ampleur considérable ces dernières années dans des pays comme le Rwanda et au-delà. Traditionnellement une cérémonie relativement modeste
impliquant des représentants des deux familles, la cérémonie a été réinventée et élargie pour servir à la fois de reconstitution théâtrale des négociations de dot conclues au préalable entre les familles et, de fête « d’adieu » organisée par la famille de la mariée pour lui souhaiter du bonheur dans sa nouvelle vie.
Enfin, la principale célébration du mariage a lieu soit à la même date soit à une date ultérieure que la dot. La cérémonie consiste souvent en une bénédiction religieuse suivie d’une ou plusieurs réceptions.
Une pratique courante consiste à organiser une réception générale accueillant des centaines, parfois des milliers, d’invités. Selon le contexte, un dîner est servi lors de cette réception générale ou dans une deuxième réception plus restreinte.
Certains mariages ajoutent à cette liste une soirée dansante. Ces différentes célébrations ont lieu dans les mêmes ou différents emplacements (salles de mariages, jardins, hôtels, restaurants et boites de nuit).
Ces multiples cérémonies de mariage entraînent généralement des coûts exorbitants. Les vêtements de cérémonie de mariage pour les mariés, leur entourage et parfois leurs familles, les véhicules de transport pour le couple et certains invités, les locaux de mariage, la décoration, les boissons, la nourriture, les gâteaux, les animateurs, la sonorisation et les cadeaux, élargissent le couts du mariage. Des budgets pour un mariage modeste varient facilement entre 6 000 $ et 10 000 $ voire plus.
Une pratique courante veut que la famille de la mariée soit responsable de l’organisation et des couts de la cérémonie de dot (le marié y contribue indirectement en s’acquittant de la dot).
Parcontre, les normes patriarcales communes a différentes communauté de la région placent les couts des autres cérémonies sur les épaules du marié et sa famille. Des accords à travers lesquels les deux parties s’accordent à partager équitablement ou proportionnellement tous les coûts restent une exception à la règle et sont plutôt le fruit de la modernité que d’une application de la coutume.
Alors que certains couples et leurs familles possèdent des ressources permettant à couvrir, et de fois couvrent effectivement, la totalité des budgets de mariage, beaucoup n’en ont pas.
En fonction de leur ressources et revenus, certains comptent partiellement ou presque entièrement sur la solidarité collective pour couvrir les budget de mariage. Certaines pratiques coutumières exigeaient, certes, des contributions ou transferts de propreté par certains membres de la famille proche du marié au couple nouveau marié.
Mais au-delà de cette norme, une pratique récente consiste à organiser des campagnes de collecte de fonds pour le mariage impliquant la société dans son ensemble. Créer un Groupe WhatsApp pour le Financement du Mariage (GWFM) est devenu une technique courante de collecte de fonds.
La collecte des fonds pour le mariage est devenue un art et, parfois, une initiative lucrative ! Certains groupes totalisent plus de 250 appels à contributions. La popularité croissante des Groupe WhatsApp pour le Financement du Mariage réside dans deux facteurs interdépendants.
En premier lieu, les conceptions culturelles du mariage combinées aux pesanteurs exercées par un entreprenariat agressif dans le secteur des services matrimoniaux concourent à créer l’image du mariage model à réaliser.
Plutôt que d’adapter leurs projets de mariage, leurs cérémonies et leurs coûts aux revenues et autres moyens financiers disponibles, des couples s’inspirent des plans et budgets des mariages précédents en vue de les imiter ou de les surpasser en faste et en classe !
Par ailleurs, l’application des règles de réciprocité veut que lorsque vous invitez des personnes à rejoindre un Groupe WhatsApp pour le Financement de d’un Mariage, vous devez raisonnablement vous attendre à recevoir des invitations similaires de leur part.
Il n’est donc pas étonnant que cela ait dégénéré en un cycle d’obligations financières mutuelles qui se multiplient à mesure que les jours passent et que plus de mariages sont célébrés.
Il n’est plus rare de recevoir jusqu’à cinq, voire dix, faire-part de mariage dans un seul mois. Contrairement à la pratique des années passées par laquelle recevoir une invitation signifiait être véritablement convié à assister aux festivités, les Groupe WhatsApp pour le Financement du Mariage ont, avant tout, pour but une collecte d’argent.
Des proches, des amis et connaissances vivant sur le cinq continents sont traqués et placés sur des Groupe WhatsApp pour le Financement du Mariage, même lorsqu’ils ne peuvent assister aux festivités. Il est de plus en plus courant de recevoir de tels invitations de la part de membres de la famille proche ou élargie, des amis, des collègues, des simples connaissances voire des personnes avec lesquels vous n’entretenez aucun contact.
Les collectes de fonds vise à couvrir une partie du budget de pariage, sa totalité voire même dépassent les sommes budgétisées. Des facteurs tels que la popularité relative du couple, de leurs familles ou l’ingéniosité des individus impliqués contribuent au succès relatif de l’entreprise.
Compte tenu du fait que les mariages s’étendent sur différentes cérémonies devant être financées séparément par les familles du marié et de la mariée, il n’est pas rare que chacune des deux familles ouvre son propre Groupe WhatsApp pour le Financement du Mariage. En fonction des liens, amitiés et affinités, certains ménages sont parfois invités à contribuer aux deux groupes pour un même mariage.
Des fois, d’autres groupes WhatsApp sont créés faisant appel à des contributions supplémentaires telles que pour le « bridal shower ».
Un constat paradoxal veut qu’au moment où les célébrations des mariage modernes mettent un accent particulier sur l’inclusion des nombreuses caractéristiques folkloriques (néo)traditionnelles, les collectes de fonds pour le financement des mariages, ainsi que certaines exigences d’acquittement de la dot, sont devenues des pratiques plus individuellement intéressées que le reflet d’une inclusion communautariste .
En effet, de nombreuses personnes avec lesquelles j’ai échangé ont exprimé leur malaise face au modèle actuel de financement de mariage pour différentes raisons. D’abord, les fonds collectés, suite à l’usage des Groupes WhatsApp notamment, sont présentées comme visant à aider les nouveau couple à fonder leur foyer.
Cependant, un examen minutieux de la finalité des fonds collectés montre que les prestataires de services liés au mariage (les propriétaires des salles à louer, les habilleurs, les décorateurs, les traiteurs) en sont souvent le principaux, si pas seuls, bénéficiaires : les budgets de mariage couvrant des produits consommables et services liés aux différentes cérémonies de mariage.
Il s’agit avant tout d’organiser une fête de mariage magnifique et impressionnante plutôt que de procurer au nouveau couple des biens matériels devant les aider commencer leur vie ensemble.
Malgré cela, les méthodes de collecte de fonds, notamment l’envoi systématique des message de rappel ou l’établissement de listes de ceux qui se sont pas acquittés de leurs contributions et ceux qui ne l’ont pas encore fait, attachent un caractère contraignant aux engagements plutôt volontaires.
Par ailleurs, alors que la solidarité communautaire est l’une des valeurs positives les plus précieuses dans de nombreuses communautés africaines, imposer une charge collective aux communautés pour le financement des cérémonies grandioses de mariage constitue un abus du principe d’assistance mutuelle et d’interdépendance.
Au sein des communautés dans lesquelles des nombreuses personnes ne peuvent subvenir à leurs basions primordiaux suite à la pauvreté, au chômage, à une sécurité sociale et aux systèmes de santé aux performances limitées, des appels quasi-quotidiens a la solidarité pour financer des mariages couteux contribuent au détournement d’attention face à ces autres réalités nécessitant des interventions collectives plus opportunes.
Tout comme il serait absurde de solliciter le concours financier de la communauté ou contracter une dette pour l’organisation d’une somptueuse fête d’anniversaire, les cérémonies de mariage dont les coûts ne sont pas calibrées aux ressources des personnes concernées défient toute logique et rationalité.
Nombreux de mes interlocuteurs préfèreraient financer une intervention médicale urgente et/ou spécialisée (souvent à l’étranger) en faveur d’un patient voire même un projet d’autonomisation d’un membre démuni de la communauté plutôt que de payer pour des cérémonies de mariage coûteuses qui ne confèrent aucun avantage matériel durable aux prétendus bénéficiaires.
En somme, l’évolution des pratiques liées à la dot et au financement du mariage pose de réels défis aux sociétés de la région des Grands Lacs. Ces sociétés font face à un dilemme dans leur quête de concilier la caractère collectif de la célébration du mariage avec le fardeau croissant de son financement.
La viabilité des pratiques émergentes de monétisation excessive de la dot et de collecte
généralisées de fonds pour financer des mariages couteux n’est ni garanties ni souhaitable.
Des normes coutumières plus progressistes, à défaut, des législations étatiques, devraient intervenir pour limiter les excès émanant de la monétisation de la doit.
De même, il est souhaitable de repenser le financement des mariages sur base des considérations plus rationnels qui tiennent compte du vécu et capacités couples et de leurs familles sans créer un fardeau collectif pour financer des festivités.
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