Khmers rouges, Interahamwe, Wazalendo et FDLR ou la répétition tragique de l’Histoire

Redigé par Tite Gatabazi
Le 11 septembre 2025 à 01:58

Les mêmes ombres, les mêmes crimes : partout, la mécanique de la déshumanisation suit un rituel macabre immuable. Elle commence par le langage, cet instrument sacralisé de l’humanité, perverti en arme de mort.

Les Khmers rouges réduisaient leurs victimes à des « ennemis du peuple », stigmate abstrait qui légitimait leur effacement. Les Interahamwe du Rwanda, en 1994, animalisaient les Tutsi en les qualifiant de « cancrelats » qu’il convenait d’écraser, préparant ainsi psychologiquement les tueurs à manier la machette sans remords.

Aujourd’hui encore, dans l’Est congolais, les Wazalendo et leurs alliés FDLR reprennent la même rhétorique avilissante, parlant des Tutsi congolais comme d’intrus, de proies à traquer, d’êtres à expulser du cercle de l’humain.

A cette propagande s’ajoute l’endoctrinement méthodique des jeunes, transformés en vecteurs dociles de la haine : on les prive d’école pour mieux les livrer à l’embrigadement, on leur substitue l’étude des lettres et des sciences par la récitation de slogans meurtriers. Ainsi se perpétue une logique séculaire : détruire la dignité par le mot, abolir l’esprit critique, semer l’animalisation de l’Autre pour faire fleurir le massacre de masse.

Le gouvernement congolais, après avoir exalté la figure des Wazalendo en les parant de l’auréole factice de « patriotes défenseurs de la population », se heurte désormais à une réalité aussi éclatante qu’un ciel sans nuage : ces milices, loin d’incarner la résistance nationale, se révèlent être de véritables criminels, assumant sans détour leur brutalité, défiant l’autorité même du Chef de l’État et pourchassant les Tutsi congolais comme du gibier.

Leurs dérives ne sont pas sans rappeler les heures les plus sombres de l’humanité : les Khmers rouges au Cambodge dans les années 1970, les Interahamwe au Rwanda en 1994, et aujourd’hui, dans l’Est de la République démocratique du Congo, les Wazalendo alliés aux FDLR. Les mêmes causes produisent inexorablement les mêmes effets, et la cécité face à cette répétition funeste ne saurait être qu’une complicité active.

Au Cambodge des années 1970, les Khmers rouges avaient pris le pouvoir sous prétexte d’une révolution égalitaire. Leur obsession était d’éradiquer l’« ancien monde » en éliminant l’intelligentsia, les enseignants, les médecins, les religieux, en fermant les écoles, en vidant les villes et en interdisant toute forme de savoir qui ne servait pas la propagande du parti.

Lire devenait suspect, parler une langue étrangère ou porter des lunettes suffisait pour être condamné à mort. La logique était limpide : priver le peuple de connaissance pour mieux l’asservir et souder l’illusion d’unité par la désignation d’un ennemi à exterminer. Le résultat fut effroyable : près de deux millions de morts, un quart de la population, et un pays transformé en champ de cadavres.

Vingt ans plus tard, au Rwanda, les Interahamwe reprenaient ce même mécanisme d’avilissement et de déshumanisation. Le discours officiel, la radio des Mille Collines et les médias de la haine réduisaient les Tutsi au rang d’« Inyenzi », de « cancrelats » qu’il convenait d’écraser. La haine, préparée par le verbe, s’incarnait dans la machette. Les tueries systématiques, méthodiquement organisées, firent plus d’un million de victimes en cent jours. La barbarie, toujours, avait commencé par les mots.

Aujourd’hui, à l’Est de la RDC, le discours des Wazalendo n’est guère différent. Ils proclament défendre la patrie, mais rejettent l’école, fustigent l’éducation comme un instrument de domination étrangère, interdisent le savoir critique et, ce faisant, préparent l’asservissement des générations futures.

Leur rhétorique ethnique, qui diabolise les Tutsi congolais, s’inscrit dans la droite lignée des discours génocidaires des Interahamwe. Leur alliance avec les FDLR, héritiers directs de l’idéologie du génocide de 1994, parachève cette tragique continuité : la même haine, la même obsession de l’ennemi à abattre, la même volonté de réduire l’humain en proie à exterminer.

Ainsi, les parallèles sont glaçants : les Khmers rouges, les Interahamwe, les Wazalendo et les FDLR se rejoignent dans un même continuum de barbarie. Les trois expériences démontrent une vérité historique implacable : les génocides ne surgissent jamais ex nihilo. Ils germent dans l’interdiction de savoir, dans la diabolisation de l’Autre, dans la systématisation des interdits, avant de se concrétiser en massacres de masse.

Les rizières cambodgiennes devinrent des champs de la mort ; les collines rwandaises furent jonchées de cadavres ; le Kivu risque, à son tour, d’être transformé en cimetière de masse si cette logique funeste n’est pas brisée.

Refuser l’école, c’est assassiner l’avenir. Cibler une communauté, c’est préparer l’élimination. L’histoire a déjà montré, et à plusieurs reprises, où mène la banalisation de la haine : vers les fosses communes, vers le silence pétrifié des cimetières.

Il est devenu intenable, insoutenable et moralement inacceptable de continuer à fermer les yeux ou à collaborer avec ces criminels. Toute complaisance, toute alliance tacite ou explicite, n’est plus de l’ordre de la neutralité diplomatique : elle constitue une complicité active dans le crime.

Le monde avait juré, après Auschwitz, après le Cambodge, après le Rwanda : « Plus jamais ça ». Pourtant, les mêmes signes s’accumulent, les mêmes rhétoriques circulent, et les mêmes crimes se préparent.

L’Histoire n’accorde pas de seconde chance à ceux qui refusent d’apprendre ses leçons. Ignorer ces similitudes, c’est consentir à la répétition de la tragédie.

Le Kivu n’a nul besoin d’idéologies mortifères ; il a besoin d’écoles ouvertes, de savoir partagé, de justice restaurée et d’un vivre-ensemble reconstruit. Faute de quoi, il sombrera dans les ténèbres où les Khmers rouges et les Interahamwe avaient déjà précipité leurs peuples.

Des militaires français encadrant les Interahamwe au Rwanda dans les années 1990

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