La question migratoire, devenue le miroir grossissant de toutes les angoisses, illustre à elle seule cette paralysie existentielle : elle condense les peurs identitaires, les frustrations sociales et la perte de confiance dans un avenir commun.
Les mobilisations de masse à Londres, à l’appel d’un Tommy Robinson longtemps relégué aux marges, signalent une tendance de fond : l’extrême droite, hier confinée aux périphéries politiques, s’installe désormais au cœur des démocraties occidentales. Le Rassemblement National en France, Fratelli d’Italia à Rome, Vox en Espagne, ou encore les droites radicales en Europe centrale et septentrionale, traduisent la même mutation. Tous prospèrent sur un terreau identique : celui du désenchantement collectif, nourri par les crises économiques récurrentes, le chômage endémique, l’effritement des services publics et la fragilisation du contrat social. Dans cet horizon d’incertitude, le migrant devient l’écran commode où se projette le ressentiment : bouc émissaire d’un système en panne, symbole d’un désordre que l’on refuse d’analyser dans sa profondeur.
Mais réduire la crise européenne à la seule question migratoire serait un contresens. L’Europe est confrontée à une polycrise, un entrelacs de menaces qui la mettent à nu : crise énergétique exacerbée par la guerre en Ukraine, crise sécuritaire face au retour brutal des logiques impériales, crise démographique avec une population vieillissante, crise technologique face à la domination américaine et chinoise, crise environnementale qui bouleverse ses équilibres les plus élémentaires. Chacune de ces secousses exige des réponses audacieuses, mais l’Union, engoncée dans ses lenteurs bureaucratiques et ses prudences excessives, préfère l’ajournement à la décision, la gestion à court terme à la vision stratégique.
De Rome à Stockholm, de Paris à Varsovie, le même dilemme ronge les élites européennes : préserver un héritage universaliste fondé sur l’ouverture, ou céder à la tentation du repli et de l’homogénéité culturelle. Ce tiraillement engendre une paralysie morale : incapables de défendre avec clarté les principes qui les ont fondées, les démocraties européennes laissent prospérer le discours simplificateur et vindicatif des populismes. Or, l’Histoire nous enseigne que l’absence de courage dans les moments de bascule ouvre toujours la voie aux forces les plus brutales.
Le Vieux Continent est donc face à lui-même : il ne s’agit plus de savoir seulement comment gérer l’arrivée de migrants, mais de décider ce qu’il veut être. Sera-t-il fidèle à son legs des Lumières, capable de conjuguer hospitalité et exigence, droits individuels et devoirs collectifs ? Ou se laissera-t-il dévorer par l’angoisse identitaire, acceptant de voir ses sociétés se rétrécir derrière des frontières psychologiques et politiques ? La contradiction est apparente, mais elle traduit en réalité une crise existentielle : l’Europe, entre mémoire universaliste et tentation de l’oubli, vacille, incapable de choisir le chemin du courage.

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