L’épreuve du langage et la diplomatie des prisonniers

Redigé par Tite Gatabazi
Le 13 septembre 2025 à 04:47

Il est un paradoxe immémorial, propre aux relations humaines comme aux relations internationales : les mots, pourtant semblables dans leur forme, acquièrent une densité différente selon la bouche qui les prononce.

La sentence d’un puissant résonne autrement que l’aveu d’un faible, et les mêmes formules, selon l’autorité qui les porte, peuvent se muer en promesse solennelle ou en simple simulacre.

Tel est le cas, aujourd’hui, de l’annonce relative à l’accord d’échange de prisonniers en République démocratique du Congo, proclamée par M. Massad Boulos, conseiller spécial de Donald J. Trump pour l’Afrique.

Dans son communiqué, M. Boulos salue la signature du mécanisme négocié entre le gouvernement de Kinshasa et l’AFC/M23, qualifiant ce pas d’« étape cruciale vers la désescalade des hostilités et la promotion de la paix » dans l’Est congolais. Il précise que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) endossera le rôle d’intermédiaire neutre, chargé d’assurer l’identification, la vérification et la libération des détenus retenus par les deux parties. Et il n’omet pas de louer la médiation qatarie, désormais incontournable dans l’architecture diplomatique africaine contemporaine.

La lourde responsabilité confiée au CICR

Mais derrière la rhétorique policée des chancelleries, il est un drame humain qui ne saurait être occulté. La « patate chaude », pour reprendre une formule triviale mais éloquente, repose désormais entre les mains du CICR. Or, parmi les détenus que l’institution genevoise devra libérer se trouvent des Congolais tutsi, enfermés dans des conditions indignes et dégradantes, non pas pour des crimes avérés, mais pour la seule faute originelle d’être ce qu’ils sont : des Tutsi nés sur le sol congolais.

La persécution se double ici d’une tragédie identitaire, où l’appartenance ethnique devient un stigmate suffisant pour justifier l’humiliation, l’emprisonnement et parfois la mort.

Le CICR, fort de son expérience acquise dans d’innombrables théâtres de guerre, sait mieux que quiconque combien l’instrumentalisation de l’ethnicité nourrit la spirale de l’inhumanité.

De Srebrenica au Darfour, de Kigali aux collines du Kivu, l’organisation a vu, documenté et tenté d’amortir les catastrophes nées du refus de reconnaître la dignité universelle de l’homme. En ce sens, sa mission en République démocratique du Congo ne se réduit pas à un exercice technique de logistique humanitaire : elle est un test moral, une épreuve de vérité qui interroge la capacité de l’État congolais à dépasser les logiques d’exclusion et de haine.

Le silence complice des élites et l’urgence d’une paix réelle

Car il serait trop commode de célébrer l’accord comme une victoire diplomatique sans regarder en face le nœud du problème : l’ethnicisation de la citoyenneté en RDC, cette pathologie politique qui, depuis des décennies, justifie les pires violences à l’égard des Tutsi congolais.

La mise en scène d’un accord humanitaire ne saurait masquer la réalité brutale de geôles où l’on croupit non pour des actes, mais pour une origine. Le langage de la paix devient alors, entre des mains cyniques, un rideau de fumée destiné à masquer l’évidence d’une persécution.

Il appartient désormais au CICR, dans l’impartialité qui fonde son autorité morale, de dissiper cette brume et d’arracher à l’arbitraire ceux qui incarnent, par leur seule existence, la négation obstinée d’une nation véritablement inclusive.

L’expertise de l’institution, forgée dans l’adversité, inspire confiance ; mais elle ne saurait suppléer à l’aveuglement volontaire d’une classe politique congolaise qui, repue de ses privilèges, continue de se dérober aux responsabilités les plus élémentaires.

Ainsi, la véritable portée de l’annonce de M. Boulos ne se mesurera pas aux éloges convenus ou aux promesses répétées, mais à l’épreuve des faits. Si les Tutsi congolais, détenus pour leur identité et non pour leurs actes, recouvrent leur liberté et leur dignité, alors l’accord sera une étape vers la paix.

S’ils demeurent les otages invisibles d’un régime qui les stigmatise, alors ce mécanisme ne sera qu’une nouvelle page de l’interminable théâtre d’ombres qui accompagne la tragédie congolaise.

En définitive, c’est moins à la diplomatie des chancelleries qu’au courage des institutions humanitaires qu’il revient de prouver que les mots, parfois, peuvent réellement se muer en actes.

Derrière la diplomatie, un drame humain persiste, désormais pris en charge par le CICR

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