Beni face à l’innommable ou onze années de supplice et d’oubli

Redigé par Tite Gatabazi
Le 3 octobre 2025 à 11:40

Il y a des dates qui, au-delà de leur résonance chronologique, s’imposent comme des stigmates ineffaçables dans la mémoire collective d’un peuple meurtri.

Le 2 octobre 2014 appartient à cette catégorie funeste. Ce jour-là, dans le hameau de Mukoko, près d’Oicha, deux civils furent froidement égorgés par les rebelles ADF, marquant le prélude d’une interminable tragédie qui allait, onze années durant, endeuiller le territoire de Beni.

Depuis lors, la litanie macabre n’a cessé de se prolonger, au point que la mort s’y est banalisée, que l’horreur s’y est institutionnalisée, et que l’oubli s’y est cristallisé comme une seconde condamnation infligée à une population abandonnée à son sort.

Onze années d’un calvaire insoutenable, où des villages entiers ont été réduits au silence par le feu et la machette ; où des familles ont été décimées sans que la moindre protection n’ait été assurée ; où la mémoire des victimes se dilue dans la monotonie cynique des communiqués officiels, ces textes tièdes, convenus, prononcés comme pour se donner bonne conscience, sans jamais ébranler ni les bourreaux ni leurs parrains occultes.

Onze années d’atermoiements, de promesses jamais tenues, d’opérations militaires spectaculaires dans la forme mais dérisoires dans les résultats, comme si le gouvernement congolais et ses partenaires s’étaient résignés à faire de Beni une zone de non-droit, une périphérie sacrifiée sur l’autel des jeux d’influence et des calculs géostratégiques.

Ce drame n’est pas seulement celui d’une région périphérique. Il constitue le miroir grossissant de l’indifférence, de la démission et de la faillite morale d’un monde qui, prompt à invoquer les droits humains lorsque cela sert ses intérêts, se mure ici dans un silence assourdissant.

Les organisations qui se proclament « défenseurs de l’humanité » semblent, par leur inertie ou leur mutisme, plus proches de la complicité tacite que du courage de l’indignation. Elles préfèrent accumuler des rapports feutrés, calibrés pour les chancelleries, au lieu de dénoncer l’évidence et d’exiger, avec la force du droit, que les responsables rendent compte devant les juridictions compétentes.

Il est des tragédies que l’histoire juge avec une lenteur implacable mais imparable. L’hécatombe de Beni, si elle devait continuer à être reléguée aux marges de l’agenda international, finira par s’imposer, elle aussi, comme un témoignage accablant de notre lâcheté collective.

Car que valent onze années de sang versé, si elles n’éveillent ni la conscience nationale ni l’attention internationale ? Que signifie l’appartenance à une République, si l’État abdique devant ses responsabilités régaliennes et laisse ses citoyens à la merci des tueurs ? Et que vaut le mot « humanité » si, face à l’innommable, nous choisissons l’indifférence ?

En vérité, le drame de Beni dépasse la géographie et le temps. Il met en cause le sens même de notre rapport à la justice, à la solidarité et à la dignité humaine.

Tant que la communauté internationale se contentera de paroles émollientes, tant que les élites congolaises persisteront dans leur incurie, tant que les défenseurs autoproclamés des droits humains continueront de détourner le regard, les habitants de Beni demeureront les prisonniers d’une tragédie sans fin.

Onze années déjà. Combien encore ?

Tant que les élites congolaises resteront inertes et que les défenseurs des droits humains détourneront le regard, les habitants de Beni resteront prisonniers d’une tragédie sans fin

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