Le désamour entre Sarkozy et les magistrats français

Redigé par Tite Gatabazi
Le 10 novembre 2025 à 10:01

L’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, va retrouver la liberté. En début d’après-midi de ce lundi, la Cour d’appel de Paris a accédé à sa demande de libération, mettant fin à son incarcération à la prison de la Santé, effective depuis le 21 octobre.

Dans une déclaration empreinte de gravité, l’ancien chef de l’État confiait : « Cette épreuve m’a été imposée, je l’ai traversée. C’est dur, infiniment dur. »

Ce matin encore, lors de sa plaidoirie en visioconférence, il est revenu sur les tourments éprouvés durant ces trois semaines de détention, qualifiées de véritable « cauchemar ».

Magistrature et présidence : un désamour historique

La défiance de Nicolas Sarkozy envers le corps judiciaire ne saurait être réduite à l’affaire de Pornic. Elle remonte à au moins 2005, et se manifeste par une succession d’incidents qui ont durablement froissé une institution d’ordinaire peu encline à la protestation.

Dès juin 2005, alors qu’il occupait la place Beauvau en qualité de ministre de l’intérieur, le futur Président exprime son ire à l’encontre du juge ayant autorisé la libération conditionnelle de l’un des assassins de Nelly Crémel, assassinée en forêt de Seine-et-Marne : « Il doit payer pour sa faute », déclare-t-il.

La réponse du magistrat, dans Le Parisien, ne se fait pas attendre, rappelant que la décision résultait d’un consensus judiciaire et des expertises psychiatriques favorables.

L’année suivante, en septembre 2006, sa critique s’étend à l’ensemble du tribunal de Bobigny, accusé de laxisme à l’égard des jeunes délinquants. La vigueur de ses propos suscite une réaction rarissime : Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, s’élève publiquement contre ce qu’il considère comme une atteinte à l’indépendance de la justice et à la séparation des pouvoirs.

Pour les magistrats, ces attaques ne relèvent pas du hasard. Selon Benoît Hurel, secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature, « Dès qu’il ambitionnait la présidence, il a ciblé les juges comme un élément de sa stratégie politique. »

Élu en mai 2007, Nicolas Sarkozy déçoit rapidement les espoirs de modération de la magistrature. En octobre 2007, évoquant la nomination de Rachida Dati à la Justice, il ironise sur l’uniformité supposée des magistrats : « Je n’ai pas envie d’avoir le même moule, les mêmes personnes, tous alignés comme des petits pois, identiques en couleur, en gabarit et dépourvus de saveur. » L’allusion ne passe pas inaperçue auprès des « petits pois ».

La réforme de la carte judiciaire, mise en œuvre dès 2010, entraîne la suppression de 178 tribunaux d’instance et de 23 tribunaux de grande instance, provoquant une mobilisation sans précédent du personnel judiciaire.

Parmi ses autres initiatives figurent la suppression envisagée du juge d’instruction et l’introduction de jurys populaires dans les tribunaux correctionnels, mesures interprétées par la magistrature comme autant de signes de méfiance et de confrontation avec le pouvoir.

Selon certains observateurs, cette posture est délibérée : en période de difficultés électorales, Nicolas Sarkozy aurait choisi de cliver l’opinion en opposant le peuple aux juges, renforçant ainsi son image de chef d’État intransigeant et proche des citoyens.

Ses critiques ponctuelles à l’encontre des décisions judiciaires se poursuivent après son accession à l’Élysée, qu’il s’agisse du casino d’Uriage en 2010 ou, plus récemment, de l’affaire du meurtre de Laëtitia, où il fustige la remise en liberté du présumé coupable, dénonçant une « faute » imputable à l’absence de suivi par les conseillers d’insertion.

Les magistrats, de leur côté, évoquent régulièrement le manque de moyens et se mobilisent avec une vigueur inhabituelle pour défendre l’indépendance de leur institution.

Lorsque Nicolas Sarkozy évoqua la haine lors de sa condamnation, il ne faisait pas allusion à une hostilité gratuite, mais à un contentieux ancien et lourd avec le corps judiciaire.

Par son comportement, en se plaçant dans une posture assimilable à celle d’un délinquant, il offrit aux magistrats une occasion en or, qu’ils ne laissèrent pas passer, le conduisant inexorablement à franchir le seuil de la prison.

La défiance de Nicolas Sarkozy envers la justice, présente depuis au moins 2005, s’est traduite par plusieurs incidents ayant froissé l’institution

Publicité

AJOUTER UN COMMENTAIRE

REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Publicité