La démission de Vital Kamerhe, sobrement justifiée par des « convenances personnelles », relève moins du choix individuel que d’un épilogue tragiquement prévisible. Pour la seconde fois de sa carrière, après l’épisode douloureux de 2009, l’homme politique congolais est contraint d’abandonner la présidence de l’Assemblée nationale, ce piédestal institutionnel dont il mesurait la grandeur mais dont il connaissait aussi les pièges mortels.
L’on pourrait se demander si Kamerhe est l’artisan malheureux de ses propres échecs ou la victime sacrificielle d’un système politique friand de boucs émissaires. Mais la réponse se trouve peut-être ailleurs : dans le télescopage brutal de deux ambitions aux tempéraments incompatibles.
D’un côté, Félix Tshisekedi, président auréolé d’un pouvoir qui se veut sans partage, obsédé par la consolidation de son magistère, quitte à s’entourer d’hommes liges plutôt que de partenaires véritables. De l’autre, Vital Kamerhe, héritier d’une longue tradition de tacticiens parlementaires, se voulant loyal mais demeurant fondamentalement indépendant, porté par une vision qui ne se résigne pas à l’asservissement politique.
La trahison des espérances
Le contentieux, chacun le savait, était lourd, presque insurmontable. Au sein de l’UDPS, Kamerhe n’a jamais trouvé grâce : honni comme un intrus, détesté pire qu’une peste politique, il a beau multiplier les gestes d’allégeance et les proclamations de loyauté, rien n’a pu dissiper la suspicion tenace qui l’entourait.
Ses adversaires internes, prompts à souffler sur les braises, ont trouvé matière à l’écarter. Deux fautes, ou plutôt deux refus d’alignement servile, lui furent imputés comme autant de crimes de lèse-majesté : ne pas avoir épousé avec le zèle attendu la stratégie d’hostilité viscérale contre le Rwanda, érigé en bouc émissaire commode des convulsions congolaises ; et ne pas avoir accordé son soutien sans réserve aux velléités de révision constitutionnelle, instrumentalisées pour pérenniser l’actuel régime.
Ainsi s’est refermée la parenthèse fragile d’une cohabitation politique que l’histoire jugera comme une mésalliance. Derrière les formules policées de sa lettre de démission, c’est un fracas silencieux qui résonne : le divorce consommé entre deux hommes qui ne purent jamais s’accorder, tant leurs visions du pouvoir se révélaient irréductiblement antagonistes.
Pour Tshisekedi, Kamerhe demeurait une menace latente, un allié trop encombrant pour ne pas être tôt ou tard sacrifié. Pour Kamerhe, Tshisekedi incarnait la figure d’un prince méfiant, prompt à se séparer de tout partenaire dont l’indépendance risquait de ternir l’éclat solitaire de son autorité.
Un divorce emblématique de la politique congolaise
Au final, cette démission n’est pas une simple péripétie institutionnelle, mais bien un jalon dans l’histoire politique congolaise : le signe éclatant qu’en République démocratique du Congo, les alliances opportunistes se consument à la vitesse des ambitions qu’elles nourrissent.
Le divorce entre Kamerhe et Tshisekedi révèle l’incapacité chronique de la classe politique congolaise à cultiver la confiance, préférant la logique des éliminations successives à celle des compromis durables.
Un divorce avec fracas, certes, mais aussi un avertissement : dans un champ politique saturé de rancunes et de calculs, les unions d’intérêt ne sont que des trêves précaires, vouées à se briser sous le poids des égos et des soupçons. Et si le Congo persiste dans ce cercle vicieux des alliances avortées, il risque de s’enfermer dans une instabilité chronique où chaque ascension ne serait qu’un prélude à une chute programmée.
« Il faut savoir quitter la table lorsque le respect n’est plus servi », écrit sobrement mais avec une profondeur désarmante Paulette Kimuntu, plume émérite de Kinshasa. En une formule ramassée, elle condense l’essence même de l’élégance politique : ce moment où la dignité prime sur l’entêtement, où la sortie volontaire devient plus éloquente que la servilité consentie.
Il faut saluer, dans cette sentence, la rare justesse d’une journaliste qui, loin de céder à la tentation de l’emphase ou du pathos, a su trouver les mots simples mais justes, les mots qui frappent par leur retenue autant que par leur vérité. En un trait de plume, Kimuntu élève le commentaire journalistique au rang de maxime intemporelle, rappelant que la grandeur d’un homme politique se mesure moins à sa capacité d’occuper la scène qu’à la noblesse avec laquelle il en accepte parfois le retrait.

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