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L’ombre de Canossa sur Volodymyr Zelensky

Redigé par Tite Gatabazi
Le 15 mai 2025 à 12:33

Près d’un millénaire après l’humiliation de Canossa, c’est sur les rives du Bosphore que se rejoue, dans un décor feutré et une atmosphère saturée de faux-semblants, une scène de diplomatie sinistrée où l’Ukraine, transie d’attente, implore des gages de paix à une Russie absente, cynique et inflexible.

Ce jeudi, à Istanbul, des émissaires sans visage ni autorité véritable se réunissent autour d’une table désespérément orpheline de ceux dont la volonté pourrait infléchir le cours des choses. Ce ne sont point des négociations, mais un rituel. Non une percée, mais une liturgie d’impuissance.

Car l’absence de Vladimir Poutine, factuelle et symbolique, ôte à cette rencontre l’essentiel de sa substance. En refusant le face-à-face sollicité par Volodymyr Zelensky, le maître du Kremlin ne fait pas seulement obstacle au dialogue : il réaffirme la verticalité absolue de son pouvoir, et signifie au monde que l’issue du conflit ne se jouera ni à Istanbul, ni dans les salons du ministère turc des Affaires étrangères, mais sur les lignes de front et dans l’arrière-cour stratégique de l’Eurasie.

Le président ukrainien, quant à lui, multiplie les appels aux puissances occidentales dans une posture qui confine à la supplique, tandis que son armée s’épuise dans une guerre de positions dont l’issue semble s’éloigner à mesure que les mois s’égrènent.

Les raisons de l’agression russe ne sauraient être réduites à une lecture conjoncturelle. Elles plongent leurs racines dans une matrice idéologique archaïque, nourrie de ressentiment impérial et de fantasmes de reconstitution d’un espace civilisationnel prétendument menacé.

L’obsession poutinienne pour une Ukraine « neutralisée », soustraite à l’influence euro-atlantique, s’arrime à une vision de l’histoire qui nie à Kiev toute légitimité autonome. À cela s’ajoute un impératif géostratégique : sanctuariser la profondeur russe en créant un glacis sécuritaire, quitte à anéantir, par le feu et le fer, un voisin dont la seule volonté de se tourner vers l’Europe constitue, aux yeux de Moscou, une provocation existentielle.

Mais à cette agression s’ajoute, en miroir, l’aveu d’un échec européen. Car l’Union européenne, dans son idéalisme procédurier et sa diplomatie morcelée, a depuis longtemps renoncé à penser la puissance. Incapable d’élaborer une doctrine commune sur la sécurité du continent, elle a réagi à l’invasion de 2022 dans l’urgence, par salves de sanctions économiques et d’aides militaires timorées, sans jamais oser prendre la mesure stratégique du conflit. Ce déficit de vision, cette paralysie conceptuelle face au tragique de l’Histoire, ont laissé l’Ukraine seule, sinon sur le terrain, du moins dans les choix existentiels qui s’imposent à elle.

Ankara, pour sa part, joue les équilibristes. Recep Tayyip Erdogan, figure ambivalente d’un autoritarisme opportuniste, s’emploie à endosser le rôle de médiateur entre les puissances rivales, tout en entretenant avec Moscou un partenariat énergétique et militaire que nul ne peut ignorer.

La Turquie cherche moins à pacifier qu’à capitaliser sur le désordre, offrant un espace de dialogue qui n’engage à rien, mais flatte les ambitions régionales d’un pouvoir désireux de réaffirmer sa centralité dans le concert des nations.

Et pourtant, derrière les vitres blindées des hôtels d’Istanbul, les chances de succès de ces pourparlers restent infimes. Non que la paix soit illusoire par essence mais parce qu’aucune des conditions objectives ne semble réunie pour qu’un compromis émerge.

Kiev ne peut céder sur son intégrité territoriale sans trahir les morts de Boutcha, Marioupol ou Kharkiv. Moscou, auréolé de ses avancées tactiques et prisonnière de sa propre propagande, ne reculera que si la pression devient intenable ce qu’aucune puissance n’ose aujourd’hui garantir. Les États-Unis, tournés vers leurs échéances électorales et tiraillés par une ligne stratégique hésitante, envoient des signaux contradictoires.

L’Europe, quant à elle, menace, sanctionne, mais tarde à comprendre que sa crédibilité se joue désormais non dans les déclarations, mais dans les actes décisifs.

Ainsi, la rencontre d’Istanbul s’apparente davantage à une suspension du conflit dans les mots qu’à une avancée vers la paix. Elle sera, au mieux, un théâtre d’énonciations prudentes, un réceptacle de griefs, un lieu d’usure diplomatique supplémentaire. Les vraies négociations, si elles doivent advenir, ne pourront avoir lieu que lorsqu’une transformation profonde des équilibres militaires, politiques, narratifs aura eu lieu.

Lorsque l’un des protagonistes, ou plusieurs, auront renoncé à leurs certitudes de victoire. Lorsque le tragique aura cessé d’être l’unique langage de la géopolitique européenne.

D’ici là, Istanbul ne sera pas Yalta. Et la paix, hélas, restera un mirage, sacralisé dans les chancelleries, trahi sur les champs de bataille.

Un millénaire après Canossa, une nouvelle scène de diplomatie défaillante se joue à Istanbul, où l’Ukraine attend en vain des signes de paix d’une Russie absente et inflexible

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